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Est-il possible d’honorer une dette publique sans augmenter la pression fiscale ni recourir à l’inflation ?

Texte d’opinion publié le 19 août 2013 sur 24hGold.

Doit-on se résigner à ce que la dette publique soit nécessairement l’impôt de demain ? En d’autres termes, une puissance publique peut-elle gérer sa dette de manière à éviter de recourir à la hausse de la pression fiscale ?

Pour répondre à cette question, envisageons un cas d’école, celui d’une puissance publique gérant ses finances publiques dans le respect de l’intégrité patrimoniale des citoyens. Ceci exclut d’emblée que notre État fictif « roule sa dette » indéfiniment (c’est-à-dire emprunte pour rembourser les échéances de ses dettes précédentes). Car comme on le comprendra très vite, rouler une dette revient à accumuler un passif économiquement insoutenable. Ensuite, rappelons qu’en tant qu’État – et à la différence d’une entreprise commerciale – notre puissance publique ne peut pas non plus émettre d’actions.

Il ne lui reste donc que deux façons d’honorer son passif : (1) dégager une capacité d’autofinancement courant (sans augmenter la pression fiscale) et/ou (2) céder des actifs. Intéressons nous ici à la première option.

Par « non augmentation de la pression fiscale », on entendra « stagnation du ratio prélèvements obligatoires / PIB » (ce qui équivaut à une règle d’or). Une puissance publique endettée ne peut alors dégager de capacité d’autofinancement qu’en diminuant ses dépenses ultérieures et/ou en comptant sur un supplément de recettes (essentiellement fiscales) induites par la croissance économique.

De ces deux options, celle portant sur la diminution des dépenses est a priori la plus sûre. En effet, l’espérance de recettes induites par la croissance relève, dans notre cas d’école, du pari entrepreneurial. Pourtant, objectera tel ou tel auteur keynésien, une diminution de la dépense publique risque de diminuer le PIB et de priver notre État de précieuses recettes fiscales : il s’agit là d’un argument « anti-austérité » convenu dont la pertinence dépend largement de la manière dont les économies sont réalisées.

Pour couper court à toute objection, notre État va donc jouer la carte du pari entrepreneurial et espérer de la dépense financée par la dette, une croissance induite. Ce pari correspond, on l’oublie trop souvent, à l’idée keynésienne de base selon laquelle les recettes fiscales issues des phases d’expansion économique sont censées combler les déficits encourus en période de récession, de sorte que la pression fiscale n’augmente pas (car en bonne orthodoxie keynésienne, augmenter les impôts revient à diminuer la dépense privée, donc la croissance).

Supposons donc une puissance publique qui, au cours de l’année T, emprunte 100 sur les marchés financiers aux conditions qui sont actuellement celles de l’État français : la maturité de la dette est de 7 ans et le taux d’intérêt annuel de 1,4%[[Voir le site http://www.aft.gouv.fr/ : le taux moyen des émissions annuelles de titres de dette est de 1,44% au 18 juillet 2013 et la maturité moyenne de la dette française est de 7 ans et 14 jours au 31 mai 2013.]].

Au bout de 7 ans, notre pays fictif doit rembourser la dette et ses intérêts (cela revient à ce que les créanciers prêtent le montant des intérêts leur étant dus jusqu’à l’échéance de l’emprunt ; cette condition permet de simplifier le calcul et ne change pas significativement le raisonnement). L’État ne dispose d’aucune ressource hormis ses recettes courantes, fiscales et non fiscales. Il ne peut pas rouler sa dette. Il n’y a pas d’inflation (ni de déflation). Durant les 7 années qui séparent l’emprunt de son remboursement, son budget primaire (hors intérêts de la dette, donc) est strictement en équilibre. Enfin, cet État fictif prélève une part considérable du PIB : 45% sous forme de recettes fiscales et 5% sous forme de recettes non fiscales.

À l’échéance de l’emprunt, notre État doit donc rembourser 100 de principal plus 10,22 d’intérêts composés. Or, il ne dispose que des prélèvements sur le PIB pour ce faire et par hypothèse, il « n’a droit » qu’à 50% de la richesse nationale annuelle. Cela signifie qu’en 7 ans, une dette publique de 100 doit avoir généré un PIB de 220,44. Cela représente un taux de croissance de 11,95% l’an[[(220,44 / 100)1/7 – 1.]].

Une croissance de 12% l’an en équilibrant son budget et en prélevant la bagatelle de la moitié du PIB : telle est la condition, dans notre cas d’école, d’une dette fiscalement soutenable.

Ce petit exemple donne une idée plutôt vertigineuse de l’épée de Damoclès fiscale créée par la dette publique française : nos administrations publiques empruntent depuis 60 ans, à un taux d’intérêt qui n’a pas toujours été aussi bas que celui de 2013, en se permettant des déficits budgétaires récurrents depuis 1975 et ce alors que depuis dix ans, le taux de croissance annuel du PIB en volume dépasse péniblement 1%.

Naturellement, d’ailleurs, la pression fiscale a augmenté de dix points de PIB (environ) ces quarante dernières années.

Il reste pourtant une « bouée de sauvetage » que mon cas d’école a exclue : l’inflation ou plus rigoureusement, la hausse du niveau général des prix des biens et des services induite par la création monétaire. Grâce à l’inflation, le PIB peut croître en termes nominaux et non en termes réels. Cela permet de rembourser la dette publique de manière indolore, simplement en créant de la monnaie. Les pays de l’OCDE ne connaissent pas d’autre régime de croissance qu’inflationniste depuis 1945 ; et comme par hasard, cette inflation structurelle va de pair avec l’augmentation tendancielle de leur ratio dépenses publiques/PIB.

Cependant – et heureusement car c’est un sujet à part entière – le recours à l’inflation n’éclaire en rien la problématique ici abordée, celle de l’autofinancement de la dette. D’abord parce que l’inflation est un impôt subreptice sur l’épargne qui, bien que n’apparaissant pas directement comme prélèvement sur le PIB, pénalise les ménages et notamment les ménages les plus modestes[[Sur ce point assez contre intuitif, voir Pierre Leconte, De la crise financière vers l’hyper-inflation, Jean-Cyrille Godefroy, 2009, p. 35.]].

Ensuite parce qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre : emprunter sur des marchés financiers « globalisés » à un taux d’intérêt relativement bas suppose de contenir l’inflation (car les taux d’intérêt demandés par les prêteurs incorporent des anticipations d’inflation).

La conclusion est donc implacable : autofinancer la dette publique exige de dégager des excédents budgétaires. Et l’on sait à quel point les puissances publiques y répugnent. Pas étonnant, dès lors, que l’histoire internationale de la dette publique soit parsemée de défauts de paiement, d’inflations galopantes, de dévaluations et d’emprunts forcés[[Pour le lecteur anglophone, voir http://www.nber.org/papers/w13946.pdf?new_window=1.]].

Peut-on, dès lors, compter sur le produit de la cession du patrimoine des administrations publiques pour inverser le cours des choses, celui d’une collectivisation rampante de l’économie française ? En comptabilité privée, de tels produits de cession constituent des « produits exceptionnels ».

Dans le cas qui nous occupe, il faudrait que ces produits deviennent exceptionnels par leur ampleur plutôt que par leur occurrence, pour nous donner des raisons d’espérer. On abordera cette question dans un prochain (et dernier) article sur le sujet de la dette publique française.

Erwan Queinnec est Diplômé de l’IEP Paris. Il est enseignant-chercheur en économie-gestion.

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