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Ne le dites surtout pas à Angela, 1ère partie

Texte d’opinion publié le 27 juin 2012 dans Protection & Rendements.

Dans toute union monétaire, il est primordial de ne pas perdre le contrôle sur la création monétaire. Celle-ci est en principe centralisée au sein de la Zone euro entre les mains de la BCE. Or, en contradiction avec ce principe, les textes européens permettent paradoxalement aux banques centrales nationales de la Zone euro de faire aussi tourner en leur nom la «planche à billets» sous le prétexte d’un programme opaque dit de «soutien d’urgence à la liquidité» («Emergency Liquidity Assistance» ou ELA).

Il s’agit en réalité d’une brèche réglementaire que les pays de la Zone euro en difficulté pourraient facilement exploiter pour aider leurs banques à la dérive. Une telle création monétaire menacerait la monnaie unique et in fine le pouvoir d’achat de vos propres euros. Il est donc important de ne pas l’ignorer.

Mais comment s’informer sur ELA quand la BCE ne fournit pas de données et que les conditions de son utilisation sont gardées secrètes ?

Plusieurs pays y auraient eu recours depuis l’éclatement de la crise financière en 2007-2008. Par exemple, la Banque nationale de Belgique et la Bundesbank auraient ainsi injecté à l’époque jusqu’à 51,3 milliards et 38 milliards d’euros respectivement, selon les estimations de la Citi. L’Irlande aurait utilisé ELA pour aider ses banques en 2009, avec des montants estimés à 49 milliards d’euros en décembre 2010. Mais qu’en est-il depuis lors, alors que la crise s’est aggravée ?

Entre 121 milliards et 184 milliards d’euros «imprimés» grâce à ELA en avril 2012

Un reclassement comptable d’avril dernier a été «opéré afin d’harmoniser l’information financière relative à la facilité d’urgence octroyée par les banques centrales de l’Eurosystème». Les actifs détenus à ce titre dans l’Eurosystème ont en conséquence été regroupés sous la rubrique 6 de son bilan, intitulée «Autres créances en euros sur des établissements de crédit de la Zone euro». Grâce à cela, il est maintenant possible de percer en partie le secret qui entoure ELA.

Pour l’ensemble de la Zone euro, le reclassement a ainsi résulté au rajout de 121,1 milliards d’euros au 20 avril 2012 (sur la Figure 1, il s’agit de la différence entre 2012W15 en vert et 2012W16 en bleu). Par conséquent, il est possible de déduire que l’ELA totale utilisée au sein de la Zone euro s’est située à cette date entre un minimum de 121,1 milliards et un maximum de 183,7 milliards (au cas où la rubrique 6 correspondrait dans sa totalité à des opérations d’ELA).

Figure 1 : Autres créances en euros sur des établissements de crédit de la Zone euro, avril-juin 2012*

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* Le reclassement concernant ELA a eu lieu la semaine se terminant le 20 avril 2012 (2012W16).

Source : BCE.

Selon les chiffres de la BCE, la rubrique 6 a gonflé par la suite, passant de 183,7 à 250,6 milliards d’euros au 1er juin dernier. Il est probable que ce bond substantiel d’environ 67 milliards d’euros (+36,4%) soit dû notamment à ELA. Il a par la suite baissé à 189,5 milliards d’euros. Cette baisse s’expliquerait facilement par le fait que certaines banques (grecques ?) ont sans doute arrêté de profiter d’ELA revenant à nouveau, au début du mois de juin, se refinancer auprès de la BCE.

Dans un jeu de vases communiquants, cette baisse probable d’ELA (-61 milliards d’euros) a ainsi été plus que compensée par les 68,2 milliards d’euros supplémentaires, injectés en opérations principales de refinancement par la BCE pendant cette même période (voir Tableau 1).

Tableau 1 : Création d’euros dans l’Eurosystème via les opérations de refi et dans le cadre d’ELA

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Source : BCE

A l’évidence, les liquidités coulent à flot, de plusieurs manières, en direction des banques commerciales. Si elles ne peuvent plus se refinancer auprès de la BCE, elles s’adressent à leur banque centrale nationale qui crée en quelques clics de souris – grâce à l’ELA – les quantités d’euros dont elles ont besoin.

Le bilan de l’Eurosystème dépasse ainsi désormais les 3 000 milliards d’euros. Son expansion continue est le reflet d’une création monétaire qui met à risque le pouvoir d’achat de vos euros. Et ceci d’autant plus qu’ELA représente dans sa logique-même une menace inflationniste importante à cet égard. Pourquoi ?

Bien que certaines règles encadrent en théorie les opérations d’ELA – à l’image de l’interdiction de soutenir des banques insolvables – dans la réalité la création monétaire est laissée à l’appréciation et à la discrétion des banques centrales nationales qui la font à leurs propres risques et périls. Celles-ci sont le seul juge de la qualité et du type de collatéral demandé en contrepartie des liquidités fournies.

Par exemple, la Banque nationale de Grèce aurait accepté, selon Der Spiegel, des obligations de banques grecques, garantie par l’État grec, soit un collatéral à la valeur fort douteuse et incertaine. Bref, grâce à ELA les banques nationales sont capables de créer des milliards d’euros en contrepartie de rien ou presque.

L’arrêt d’une utilisation d’ELA ne peut être décidé concrètement qu’à la majorité des deux tiers des voix du Conseil des gouverneurs de la BCE. Mais que se passerait-il si, sous la pression de la France et des pays en difficultés, la BCE hésitait à l’avenir à faire valoir son veto et fermait plus facilement les yeux ?

Ce n’est pas tout. Car derrière l’ELA agrégée au niveau de l’Eurosystème se cachent en réalité des situations nationales qui sont une source de risque supplémentaire pour la Zone euro et votre portefeuille. Ce qu’on découvre en effet dans les bilans de certaines banques centrales nationales n’est pas rassurant, loin de là. C’est ce que nous verrons lundi.

(à suivre…)

Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

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