Une occasion manquée de parler du rôle de l’État
Texte d’opinion publié le mercredi 2 mai 2012 dans Le Figaro.
À quatre jours de l’élection du président français, un constat s’impose.
Nous sommes malheureusement en train de gâcher un rendez-vous vérité d’autant plus important que la crise rend urgent la remise à plat de nos modes de fonctionnement.
L’humeur générale en France est à la sinistrose, l’attentisme, la peur, l’impuissance. De plus en plus de Français comprennent que notre modèle est à bout de souffle et qu’on ne peut pas continuer à creuser les déficits, en demandant à l’État de faire toujours plus. Pour autant ils s’interrogent sur notre capacité collective à surmonter les épreuves. Or nous ne sommes pas nécessairement dans une impasse et il existe des raisons d’espérer. Notre histoire, comme celle de plusieurs pays, nous montre qu’il n’y a rien d’inéluctable. Des réformes courageuses, permettant de libérer les forces pour s’en sortir par le haut, sont toujours possibles.
Que nous enseigne donc notre histoire ? Que pendant près de 44 ans, de 1914 à 1958, la France a glissé sur le terrain d’une inflation rampante si bien qu’en 1959, le Franc ne valait plus que 0,4% de ce qu’il valait en 1914. Entre 1914 et 1958, l’offre de monnaie papier (et de dépôts à vue) a été multipliée par 632, le service de la dette par 370, le coût de la construction dans la région parisienne par 320, la dette nationale par 240, l’indice des prix au détail par 200 et le prix des loyers par 60.
Cela ressemblait bien à une réelle descente aux enfers : les Français – pour chercher à se protéger contre l’érosion de leur pouvoir d’achat – ont placé leur épargne à l’étranger, l’ont transformée en or et l’ont thésaurisée plutôt que de la mettre au service de projets d’investissements. Ils ont ainsi dépensé une énergie incroyable à essayer de conserver – avec plus ou de moins de succès – leur richesse plutôt que d’en créer de nouvelles.
En 1958, le déficit de l’État s’élevait à 600 milliards d’anciens francs et le déficit prévisionnel pour 1959 atteint le double, soit 1200 milliards. La situation est critique lorsque le général de Gaulle prend la tête du gouvernement. L’économiste Jacques Rueff et le ministre des finances Antoine Pinay échafaudent alors un plan de redressement qui va mettre fin à cette période désastreuse.
Ce plan, sans être révolutionnaire, marque un vrai retour aux réalités. Les mots d’ordre sont simples : les revenus doivent couvrir les dépenses ; ces dernières doivent avant tout servir à financer les fonctions essentielles de l’État ; il faut cesser de monétiser la dette et repousser les problèmes à demain ; il est vital de limiter l’État providence et la bureaucratie et de s’ouvrir au marché commun naissant.
Plus près de nous, il suffit de regarder vers le Canada des années 1990 pour constater que, là aussi, des réformes radicales ont pu être conduites. La dette publique canadienne dépassait les 100 % du PIB au milieu des années 1990, soit l’un des niveaux les plus élevés parmi les pays de l’OCDE. En une vingtaine d’années, la dette fédérale par personne a été réduite d’environ 40 % déduction faite de l’inflation. Les déficits ont été considérablement réduits, au point de disparaître durant l’exercice 1997-98. En 2007-2008, le Canada enregistrait son onzième budget excédentaire consécutif, alors que nous réalisions en France notre trente troisième déficit d’affilée depuis 1974.
Comme lors du retour au pouvoir du général de Gaulle, ce résultat fut obtenu grâce à un réexamen du rôle de l’État. Cette remise en cause fut d’autant plus consensuelle que le délabrement prolongé des finances avait de facto réduit les capacités d’intervention publiques. Cela donna lieu à des coupes importantes dans les dépenses de nombreux ministères entre 1994-95 et 1997-98, avec des budgets parfois réduits de moitié. Les transferts aux provinces ont baissé de 20%, le nombre d’employé dans le secteur public fédéral de 17%. Il faut aussi noter que parallèlement, la baisse des dépenses a été accompagnée de recettes budgétaires plus importantes, dues en partie à la croissance économique retrouvée, mais aussi à de nouvelles levées fiscales. C’est grâce à ces réformes structurelles radicales que le Canada affronte la crise actuelle avec beaucoup plus de sérénité que nombre de pays européens, en évitant par exemple de tomber dans des débats ne pouvant rien amener de bon, tels celui sur l’intérêt d’un retour au protectionnisme.
Il n’y a pas de fatalité. Il est cependant dommage de n’avoir pas profité de la campagne présidentielle française pour tenir un discours de vérité. C’est un fait que notre État a des limites et qu’il faut revoir ce qui doit relever de sa responsabilité et de celle de tout un chacun. C’est un sujet que le futur Président français ne pourra pas se permettre de reporter aux calendes grecques.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.