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La spéculation sur le banc des accusés

Article publié dans L’Écho, le 26 mai 2010.

Les plans de réforme financière découlent essentiellement d’un désir d’empêcher la spéculation dans les marchés. Celle-ci serait le principal facteur derrière la défaillance des marchés. Mais quand on se penche sur la nature de la spéculation, on se rend vite compte qu’il vaudrait mieux se focaliser sur le facteur institutionnel qui permet une situation de déséquilibre persistant dans le marché. Et c’est ce déséquilibre persistant qui rend la spéculation apparemment préjudiciable à l’économie.

Essentiellement, la spéculation consiste à effectuer dans le marché des achats ou ventes, opérations qui sont fondées sur des estimations des variations des prix futurs des biens et titres. Ainsi, si le vendeur estime que le prix d’un actif augmentera dans le futur, il sera prêt à acheter davantage de cet actif aujourd’hui – dans le cas contraire, il vendra davantage de cet actif aujourd’hui s’il en possède. Si le consommateur – eh oui, les consommateurs, eux aussi, spéculent ! – estime que le prix d’un bien baissera dans le futur, il préférera acheter moins ou rien du tout aujourd’hui pour le faire massivement demain – dans le cas contraire, il achètera davantage aujourd’hui et moins, ou rien du tout, demain.

Histoire d’équilibre

On peut en déduire que le spéculateur est un agent pourvoyeur de liquidité et régulateur de l’équilibre inter-temporel des marchés, puisque le déséquilibre doit précéder l’activité spéculatrice pour que celle-ci élimine ce déséquilibre !

Quand la production d’un bien est trop abondante et que son prix tombe bas – un souci typique des producteurs agricoles –, le spéculateur est là donc pour demander davantage de cet actif et empêcher une baisse désastreuse du prix de ce bien. De la même façon, quand la production d’un bien est insuffisante et que son prix augmente beaucoup – cette fois-ci, il s’agit d’un souci particulier aux consommateurs –, le spéculateur est là pour offrir davantage de bien et, ainsi faisant, d’empêcher une hausse trop forte du prix de ce bien. L’action même du spéculateur d’augmenter la demande à un moment ou l’offre à un autre moment fait que les prix se redressent dans le marché. De cette manière, le déséquilibre inter-temporel tend à être éliminé par l’action spéculatrice et les prix varieront entre des marges plus étroites que si la spéculation n’existait pas. Le spéculateur fonctionne comme un arbitragiste inter-temporel et, par ce fait, il révèle aux participants du marché le déséquilibre en existence.

Ces participants pourront alors corriger leurs productions et consommations afin d’éviter de tels déséquilibres dans le futur.

Mais pourquoi cette même spéculation, bénéfique aux marchés, serait-elle associée à leur dysfonctionnement ? Pour le comprendre, il ne faut surtout pas oublier l’origine même de l’activité spéculatrice : un déséquilibre inter-temporel qui est anticipé par le spéculateur.

La racine du problème ne serait pas alors l’existence du déséquilibre, mais sa persistance : l’incitation à la production continuellement trop abondante ou insuffisante d’un bien, et à la consommation continuellement exagérée ou trop timide d’un bien.

En temps normal, la spéculation tend à éliminer ces incitations tant par l’action du spéculateur que par la révélation qu’il fait des déséquilibres. Alors, pour qu’il y ait persistance, il faut que quelque chose empêche que la spéculation élimine définitivement ce déséquilibre.

Interventions

Dans les marchés, un producteur persistera avec la surproduction si on lui propose de transférer les pertes qui en découlent à quelqu’un d’autre – autrement dit, le producteur est subventionné à trop produire. Le producteur persistera avec la sous-production s’il y a une interdiction ou si on le paie pour ne pas produire. De même, un consommateur persistera à trop consommer si on le subventionne ou si on lui facilite l’acquisition auxquels il n’aurait pas accès d’habitude. Et le consommateur persistera à consommer peu ou rien si on l’interdit ou si on le paie pour ne pas le faire.

Maintenant, il faut remarquer que les activités de subvention, d’interdiction ou de compensation décrites ci-dessus ne sont pas naturelles aux spéculateurs. En effet, ces activités ne sont même pas naturelles aux marchés, mais aux institutions gouvernementales. Dans les marchés des biens, c’est l’État qui distribue des subventions, interdit des biens, contrôle des prix et fournit des compensations aux producteurs et consommateurs pour qu’ils n’entrent pas dans le marché. Dans les marchés financiers, c’est l’État, par le biais de sa Banque centrale, qui augmente ou diminue l’offre monétaire à sa guise et qui, par conséquent, contrôle le prix des fonds de capital (l’intérêt), interdit des produits financiers et donne des compensations aux banquiers et débiteurs pour qu’ils entrent ou non dans le marché. On voit que le problème n’est pas la spéculation en soi, mais le facteur institutionnel, à savoir les politiques gouvernementales qui créent des déséquilibres et qui en consolident la persistance.

Les formateurs d’opinion, politiciens, et même beaucoup de ces « spécialistes » économiques qui accusent la spéculation comme étant l’un des vrais problèmes des marchés ne font que démontrer leur ignorance, leur malveillance, ou leur biais idéologique. Mais jamais ils ne s’approchent vraiment de la vérité ou d’une solution fiable aux problèmes qui apparaissent dans l’économie.

Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie au Groupe ESC Troyes. Il est aussi maître de conférences à Sciences Po Paris.

Gabriel A. Giménez-Roche

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