Baisser les dépenses publiques: ils l’ont fait, pourquoi pas nous?
Présentation publiée sur www.iedm.org le 1er juin 2010.
Bonsoir à tous, mon nom est Jasmin Guénette, je travaille à l’Institut économique de Montréal. Nous sommes un centre de recherches en politique publique, un peu comme l’IREF. Nous accomplissons notre mission par le biais de nos publications, nos évènements ; nous avons des chroniques et publions des textes d’opinion dans les journaux et nous donnons de nombreuses interviews dans les radios et les stations de télévision au Québec et au Canada.
Nous sommes très heureux de collaborer à cet évènement ; je tiens à saluer les gens de Contribuables Associés et les gens de l’IREF pour leur excellent travail et leur très bonne initiative ; je tiens à remercier particulièrement Nicolas pour son excellent travail de coordination et je suis heureux d’être de retour ici parce que je vois plein d’amis que je n’avais pas vus depuis très longtemps. Je vous salue tous.
Je vais vous parler brièvement de la vision que j’ai de l’héritage de la réforme de l’État au Canada ; mais avant de commencer, je voudrais vous montrer un tout petit papier que l’Institut économique de Montréal a publié en collaboration avec l’Institut économique Molinari. Malheureusement je n’ai pas assez de copies pour tout le monde ce soir, mais si vous allez sur notre site Web ou sur le site de l’Institut économique de Molinari, vous pouvez tout simplement télécharger le document en PDF gratuitement. Le document porte sur la réforme de l’État au Canada. « Il faut réfléchir à deux fois avant de creuser la dette publique, les leçons de l’expérience canadienne » alors je vous invite à lire le document.
L’expérience canadienne est pour beaucoup de gens en France le modèle de réforme de l’État. Je ne pense pas que la méthode canadienne puisse nécessairement s’exporter telle qu’elle en France mais espérons que cette expérience, malgré ses imperfections, pourra servir de source d’inspiration. Vous savez, au Canada, de 1970 à 1993, il y a eu 22 budgets déficitaires consécutifs et, par la suite, le gouvernement a réussi non seulement à boucler son budget et tous les budgets suivants jusqu’à l’an dernier ; mais il a également bouclé son budget en ayant des surplus, année après année, ce qui a permis au Canada notamment de diminuer considérablement sa dette.
Je vais vous présenter un peu ma vision de l’héritage, du futur de la réforme de l’État au Canada et des enseignements qu’on peut en tirer. La première chose que j’aimerais dire évidemment, c’est que cette réforme envoie un message d’espoir, je dirais, aux pays qui souhaitent faire de telles réformes. La réforme enseigne en quelque sorte qu’il est possible de réformer malgré le clientélisme politique, malgré souvent une bureaucratie lourde qui cherche, selon certains, trop souvent à simplement augmenter son influence sur les choix publics. Et bien, vous savez, sans une bureaucratie coopérative, ce genre de réformes se fait difficilement et la taille de la fonction publique, au moment de la réforme, a été quand même réduite de 23 % au Canada, ce qui n’est pas rien.
Un autre enseignement que nous pouvons tirer de la réforme de l’État est qu’une réforme comme celle-ci ne se prépare pas en une seule nuit ; il faut beaucoup de travail, travail qui commence plusieurs années avant que la réforme devienne nécessaire. En 1993, les élites politiques de tous les partis, les milieux des affaires, le public en général, comme l’a montré M. Cappe, et un très grand nombre de groupes organisés partageaient la conviction que le Canada devait regagner sa souveraineté fiscale. Et c’est le constat que faisaient plusieurs personnes à l’époque, notamment Jocelyne Bourgon, dans un discours prononcé ici même, à Paris, qui elle, est l’une des architectes de la réforme au Canada. Donc le travail que font les organisations comme l’IREF, Contribuables Associés, l’Institut Turgot, l’Institut économique Molinari, la Fondation Atlas – à travers son appui à l’initiative -, Un Monde Libre ici, en France – tout ce travail n’est pas simplement pour aujourd’hui comme tel, bien qu’il soit primordial évidemment de diffuser les idées, mais il faut penser que le travail d’aujourd’hui est en fait pour préparer les solutions de demain.
Je dirais qu’aujourd’hui, au Canada, l’équilibre budgétaire est presque érigé en dogme. Ça reste fragile bien sûr, mais c’est l’héritage, je crois, le plus important de la réforme, ce que très peu de politiques vont affirmer que les déficits, en fait, ce n’est pas important. Entre 1997 et 2008 – en fait, M. Cappe parlait de 13 budgets consécutifs excédentaires – à cette période-là, la dette a quand même été réduite de 98 milliards de dollars canadiens, ce qui est très important. Vous savez, les Canadiens voient ce qui se passe présentement aux États-Unis, les Canadiens voient ce qui se passe présentement en Europe, notamment en Grèce, les Canadiens voient ce qui se passe au Japon et je pense que cela renforce les convictions, déjà maintenant assez profondes, non seulement du citoyen ordinaire, mais également de la classe politique et de l’élite économique, comme quoi l’équilibre budgétaire est primordial.
Le Canada a déposé un budget déficitaire l’an dernier, même chose pour cette année, mais on voit déjà que le Premier ministre, Stephen Harper, mentionne qu’il faut revenir à l’équilibre budgétaire le plus rapidement possible et certaines actions ont été prises en ce sens ; notamment dans un récent discours, il affirmait ne pas vouloir dépasser l’ensemble de l’argent prévu à son plan de relance économique. Et dans le dernier budget déposé par le ministre des Finances, il est écrit, au début de la citation : « la saine gestion financière fondée sur le principe que les gouvernements devraient vivre selon leurs moyens est la pierre angulaire du plan économique du gouvernement. Un budget équilibré ne constitue pas une fin en soi mais bien une façon de créer de meilleurs emplois et de renforcer une croissance viable ». Et je pense que ce genre d’affirmation montre en quelque sorte les bienfaits collatéraux, si je puis dire, de la réforme, c’est que les idées d’une saine gestion et de l’équilibre budgétaire sont érigés en vérité fondamentale.
Un autre héritage de la réforme s’est manifesté en l’an 2000 quand le gouvernement a annoncé des réductions d’impôts. De 2000 à 2005, les taxes ont été réduites de 100 millions de dollars canadiens, et comme le mentionnait M. Cappe précédemment, plutôt qu’un cercle vicieux de l’endettement, les réformes ont entraîné un cercle vertueux des surplus et le contribuable en a profité. Maintenant, je crois que ces baisses d’impôts et de taxes là auraient pu être plus importantes mais, malgré tout, c’était un pas dans la bonne direction. Enfin, je veux rappeler que la bonne situation financière du Canada, lorsque la crise financière mondiale a commencé, la position financière du Canada a été enviable, son ratio de la dette nette par rapport au PIB si on prend l’ensemble des administrations publiques avait reculé à 23,5 % en 2007 ; et donc cette bonne santé financière du Canada a permis au pays d’être moins affecté que bien d’autres pays au tout début de la crise.
Maintenant, quelques mots sur le futur, si je puis dire, de la réforme. D’abord, je dois avouer que l’avenir n’est pas nécessairement tout rose. Si la grande majorité des politiciens sont d’accord pour dire que l’équilibre budgétaire est essentiel, les occasions de déroger à ce principe sont nombreuses et les pressions peuvent se faire très fortes. La dernière crise est un bon exemple ; le gouvernement canadien a subi une forte pression, de l’intérieur comme de l’extérieur, notamment des Américains, pour mettre en place un plan de relance économique. Peut-être que le plan de relance était nécessaire, peut-être que ce n’était pas nécessaire : je ne veux pas débattre de cette question-là maintenant ; mais il reste néanmoins qu’après tous ces budgets consécutifs excédentaires, le gouvernement canadien est retombé dans les déficits.
Il y a plusieurs commentateurs également qui affirment que le Canada s’éloigne de plus en plus de l’esprit de la réforme ; et cet éloignement-là viendra en quelque sorte anéantir les efforts qui ont été faits et les gains qui ont été réalisés grâce à cette réforme-là. Dans un texte d’analyse publié par le National Post, quotidien pan-canadien, on apprenait que les dépenses du gouvernement vont, d’ici seulement quatre ans, être plus élevées de 11 %, ce qui représente 30 milliards de dollars. L’an dernier, en incluant les provinces canadiennes, le déficit du Canada dans son ensemble, a fait 88 milliards et on projette pour cette année 80 milliards. Et dans le cas canadien, ce qui a causé le déficit, ce n’est pas le simple fait d’une relance économique, mais c’est plutôt son incapacité actuelle à contenir les dépenses et pourtant, comme l’a montré M. Cappe, la réforme avait enseigné les bienfaits de bien contrôler les dépenses ; mais, malgré tout, le Canada est un des meilleurs élèves ; dans la tourmente récente, les banques canadiennes n’ont pas eu à être sauvées par les autorités ; les déficits actuels et la dette, en proportion du PIB, sont les plus bas de tous les pays du G8 et parmi les plus bas du G20.
Et même si la situation du Canada est meilleure que celle de bien d’autres pays, il faut quand même se poser la question suivante : comment garder le cap et s’assurer, en fait, du futur, de l’héritage de la réforme ? J’aimerais tout d’abord dire qu’il faut en premier lieu du leadership politiques ; j’occupe actuellement le poste qui était avant occupé par Maxime Bernier, député conservateur canadien et ancien ministre de l’Industrie. Maxime Bernier martèle constamment un message de rigueur sur le plan fiscal, sur le plan budgétaire et il est un champion d’une plus grande libéralisation des échanges. Dans un discours qu’il faisait le 21 janvier dernier, il disait que, selon lui, il faut que le gouvernement annonce que l’État va cesser de grossir et qu’à partir d’aujourd’hui, toute nouvelle dépense d’un côté doit s’accompagner nécessairement d’une réduction équivalente de l’autre côté. Maintenant, je ne veux pas nécessairement débattre de cette idée comme telle, mais l’impact de ce genre d’idées sur l’ensemble du débat entourant les finances publiques est important ; et je pense qu’on a besoin de ce genre de leadership pour préserver l’héritage de la réforme et ce genre de leadership dans tous les partis, que ce soit le parti conservateur du Canada ou le parti libéral du Canada, on a besoin de ce leadership à travers les partis.
Pour garder le cap évidemment, cette part du leadership intellectuel – les centres de recherche, les commentateurs, les intellectuels, les universitaires, les activistes – ces gens-là qui refusent les excuses faciles, doivent continuer à marteler ce message important et doivent répéter le plus souvent l’importance de l’équilibre budgétaire sur le plus de tribunes possibles.
Pour garder le cap, il faut aussi le leadership de la communauté des affaires, les entrepreneurs, ceux qui créent véritablement la richesse, doivent appuyer des mesures qui font en sorte que le gouvernement respecte sa capacité de dépenser.
Et en terminant, je sais qu’ici, la fonction publique, la bureaucratie, c’est un enjeu important ; mais il faut également un leadership qui vient de celle-ci. La Fonction publique, la bureaucratie gouvernementale n’a pas très bonne réputation mais, comme à l’époque de M. Cappe, sans une bureaucratie coopérative, ce genre de réforme se fait très très difficilement et c’est pourquoi il faut trouver des mécanismes pour avoir une bureaucratie plus participative à ce genre de réforme et montrer qu’en fait, quand même, c’est dans son intérêt de collaborer.
Et donc si on peut jumeler, comme c’était le cas au Canada, parce qu’il y a eu une conjoncture de beaucoup de facteurs, une conjoncture favorable, en jumelant un leadership politique et un leadership économique, intellectuel et le savoir-faire de la bureaucratie parce que, sans elle, ces réformes-là se font très difficilement. En jumelant tout ce beau monde, je pense qu’on pourra au Canada, préserver l’héritage de la réforme et assurer le futur de celle-ci. Merci de votre attention.
Jasmin Guénette est vice-président de l’Institut économique de Montréal.