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Les écueils de la libéralisation du marché postal

Article publié dans Le Temps le 14 mai 2010.

Si les pouvoirs publics veulent que les Suisses bénéficient pleinement de cette concurrence, ils devraient pour une fois s’abstenir de re-réglementer et éviter ainsi de suivre le mauvais exemple des pays membres de l’UE.

Les syndicats et la gauche viennent d’annoncer la collecte de près de 120 000 signatures en faveur du maintien du monopole postal actuel. Si les pouvoirs publics suisses veulent un marché plus efficace et plus proche de ce que désire l’ensemble des consommateurs, ils ne devraient pas céder à cette pression en poursuivant sa libéralisation. Mais, il est tout aussi essentiel qu’ils évitent les écueils rencontrés dans l’Union européenne (UE) à cet égard. Car, parallèlement à l’ouverture de leur marché postal, plusieurs États membres l’ont en même temps re-réglementé par des moyens détournés, étouffant la concurrence et risquant d’annihiler par la même occasion ses bénéfices économiques potentiels.

En Suisse et dans une grande majorité de pays membres de l’UE, il existe encore et ce jusqu’à la fin de l’année un monopole légal pour les envois de moins de 50 grammes, interdisant à des nouveaux opérateurs de se lancer dans cette «niche» du marché et ne laissant guère le choix aux consommateurs que de se tourner vers le monopole postal en place. Faire tomber cette interdiction est à l’évidence un élément indispensable de libéralisation.

Cependant, c’est loin d’être suffisant. Car contrairement à ce qui est souvent avancé, ce n’est pas en supprimant cette limite de poids que le marché postal – que ce soit dans l’UE ou en Suisse – deviendra automatiquement libéralisé.

N’oublions pas que ce qui rend un marché réellement concurrentiel, c’est l’absence de barrières légales à l’entrée et la possibilité pour les acteurs économiques de fournir des services postaux sans tracas particulier et sans devoir subir les interventions systématiques de l’État. Si parallèlement à l’ouverture du marché postal en fonction du poids des envois, les pouvoirs publics sèment toute une série de nouvelles «embûches», la concurrence restera entravée.

C’est précisément sur ce point que l’expérience dans l’UE fournit un exemple à ne pas suivre pour la Suisse. La libéralisation dans les pays membres où la limite de poids a déjà été levée n’a pas été totale et la concurrence reste fortement entravée.

La réforme initiée par l’UE a tout d’abord laissé intactes plusieurs distorsions existantes sur les marchés postaux nationaux.

En effet un contrôle des prix – pourtant incompatible dans un régime de réelle concurrence – est ainsi toujours exercé par les pouvoirs publics des États membres. Cela inclut le tarif unique sur tout le territoire d’un pays alors que les coûts économiques d’acheminement diffèrent. Des prix administratifs fixés à des niveaux trop faibles rendent les services postaux non rentables dans certaines régions éloignées et empêchent par conséquent les concurrents privés de les fournir.

La réforme postale européenne tolère aussi – au lieu d’interdire – le soutien de l’État sous forme d’injections de capital, d’aides financières, etc., dont bénéficient les opérateurs nationaux postaux, souvent encore sous un contrôle étatique quasi total. En France, la loi de 2010 a même rendu La Poste «imprivatisable» et l’État compte y injecter 2,7 milliards d’euros. Un tel soutien crée évidemment des distorsions vis-à-vis des opérateurs privés.

Mais ce n’est pas tout. En plus de ces distorsions, toute une panoplie de nouvelles réglementations ont fleuri au sein de l’UE empêchant la concurrence de jouer correctement son rôle. Il ne faudrait pas que cela inspire les pouvoirs publics suisses!

Premièrement, l’entrée de nouveaux concurrents peut être soumise à des conditions difficiles à satisfaire. En Finlande – l’un des premiers pays de l’UE à avoir pourtant «ouvert» son marché en 1991 – tout nouvel opérateur doit fournir une distribution du courrier chaque jour ouvrable et en cas de couverture partielle du territoire, payer une «taxe» à l’État comprise entre 5% et 20% de son chiffre d’affaire.

Résultat? Le seul concurrent de la poste nationale finlandaise à avoir obtenu une licence l’a laissée expirer en 2003 sans même s’en être servi! D’autres pays, comme l’Estonie ou la Belgique, prennent une voie similaire.

Deuxièmement, les nouveaux opérateurs peuvent aussi se retrouver soumis à une autre obligation anticoncurrentielle, celle d’alimenter un «fonds de compensation». C’est le cas en Italie et en France où la création d’un tel «fonds» est effectivement prévue par la loi de 2010. Les contributions des nouveaux opérateurs visent à financer l’opérateur public même s’ils n’utilisent pas son réseau postal! Ce dernier est pourtant leur principal rival et une telle contribution diminue leur rentabilité.

Troisièmement, un régime fiscal à plusieurs vitesses comprenant notamment des exemptions de TVA pour les ex-monopoles mais pas pour les autres concurrents peut aussi être source de distorsions pour la concurrence, comme au Royaume-Uni.

Enfin, certains pays ont décidé de re-réglementer les conditions de travail. En Allemagne, un salaire minimum a ainsi été adopté fin 2007, soit peu avant l’ouverture complète du secteur postal, intervenue le 1e janvier

2008. La Suisse semble s’engager sur la même voie, les nouveaux concurrents postaux étant tenus de respecter les soi-disant «conditions de travail usuelles» dans la branche.

Or, de telles re-réglementations ont un caractère particulièrement anticoncurrentiel dans le secteur postal car elles renchérissent artificiellement les coûts de mains-d’œuvre des nouveaux prestataires. Elles diminuent inévitablement l’intérêt économique qu’il y a à entrer – ou rester – dans le marché postal.

En Allemagne, la législation sur le salaire minimum correspondait ainsi à un bond de 23% du salaire pratiqués en moyenne par les concurrents de l’ex-monopole Deutsche Post. Cela représentait, selon les estimations, à un surcoût de près de 12%. Même si l’instauration d’un salaire minimum a finalement été rejetée début 2010 pour vice de procédure, elle a déjà affecté la concurrence postale en Allemagne. Elle a contribué aux licenciements massifs qui ont eu lieu suite à son adoption, le nombre d’employés chez les concurrents de Deutsche Post s’effondrant de près de 40% entre 2007 et 2008, soit une suppression d’environ 19 000 emplois. PIN Group, l’un des principaux concurrents de Deutsche Post, a aussi été acculé à la faillite.

À l’évidence, les pouvoirs publics – que ce soit en Allemagne ou en Suisse – veulent protéger à tout prix les conditions de travail de leur opérateur national. Pourtant, ces conditions datent d’une époque où ils bénéficiaient d’un monopole protégé et elles ne reflètent pas la productivité de la main-d’oeuvre en situation concurrentielle. Elles ne doivent pas être considérées comme gravées dans le marbre.

La Suisse a raison de vouloir ouvrir l’ensemble du secteur postal à la concurrence. Mais si les pouvoirs publics veulent que les Suisses bénéficient pleinement de cette concurrence, ils devraient non seulement résister à la pression actuelle des syndicats mais aussi, pour une fois, s’abstenir de re-réglementer, évitant ainsi de suivre le mauvais exemple des pays membres de l’UE.

Valentin Petkantchin est directeur de la recherche à l’Institut économique Molinari.

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