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Concurrence postale? Sur un siège éjectable!

Article publié le vendredi 9 avril 2010 dans L’Écho.

Conformément à la réforme européenne, l’ensemble des services postaux belges est censé devenir concurrentiel à la fin de l’année. Mais un nouveau projet de loi met en danger la nouvelle concurrence postale et ses bénéfices économiques potentiels. L’ouverture initiée par la Commission européenne pourrait s’avérer un leurre également ailleurs en Europe à cause d’une re-réglementation de plusieurs marchés postaux nationaux.

Il ne faut pas oublier que ce qui rend un marché réellement concurrentiel, c’est l’absence de barrières légales à l’entrée. Or, la réforme européenne ne va pas suffisamment loin à cet égard. Elle tolère en effet que de nouvelles barrières à l’entrée soient érigées par la plupart des pays membres de l’Union européenne.

Projet de loi

Prenons le cas de la Belgique. La Poste belge devra en théorie faire face à la concurrence à la fin de l’année comme la plupart de ses homologues européens. Les pouvoirs publics belges étudient cependant des moyens détournés de protéger ce futur ex-monopole et bloquer ainsi l’entrée des nouveaux concurrents.

Sur le papier, ces derniers ne seront pas interdits de concurrencer la Poste traditionnelle. Mais en pratique, leur entrée pourra être soumise à des conditions qui en diminuent largement l’intérêt. Un projet de loi, toujours à l’étude, prévoit par exemple d’imposer aux nouveaux prestataires de services postaux l’obligation de couvrir 80% du territoire belge après 5ans. D’autres obligations pourraient être aussi ajoutées en cours de route avant que la loi ne soit définitivement adoptée.

Mais que se passera-t-il s’il n’est pas rentable d’assurer une couverture du territoire en 5 ans et que par conséquent des concurrents décident de ne le couvrir qu’en partie?

Il suffit de se pencher sur le cas de la Finlande pour trouver la réponse. Avant la Belgique, la Finlande a en effet soumis l’entrée de tout nouvel opérateur à des conditions similaires difficiles à remplir. Il y est découragé d’offrir une couverture partielle du territoire, au risque sinon de payer une «taxe» comprise entre 5% et 20% de son chiffre d’affaire. La distribution du courrier doit aussi y être offerte chaque jour ouvrable.

Résultat? Alors que la Finlande est l’un des premiers pays de l’UE à avoir ouvert officiellement son marché postal en 1991, le seul concurrent à avoir obtenu une licence l’a laissée expirer en 2003 sans même s’en être servi! La Commission européenne a elle même conclu que «le régime d’octroi des licences a bloqué la concurrence dans le service de la distribution du courrier adressé en Finlande», mais paradoxalement de telles barrières administratives sont toujours tolérées au lieu d’être interdites.

Barrière infranchissable

Imposer de telles conditions d’entrée revient en effet à dresser une barrière légale presque infranchissable pour les nouveaux opérateurs. Les expériences espagnoles, allemandes et hollandaises montrent en effet que les nouveaux concurrents se sont d’abord lancés dans certaines régions, y proposant parfois même une distribution moins fréquente du courrier, mais qui est aussi moins chère pour l’utilisateur. L’extension au reste du territoire – quand elle a été économiquement justifiée et a eu lieu – s’est faite spontanément et de manière progressive, sans être le résultat d’une exigence réglementaire. Il ne sert à rien donc de «forcer» la main aux nouveaux opérateurs postaux comme projettent de le faire les pouvoirs publics belges.

Cette tendance de re-réglementer le secteur postal n’est cependant pas l’apanage de la Belgique ou de la Finlande. En effet, les pouvoirs publics ailleurs dans l’UE ne manquent pas d’imagination quand il s’agit de protéger leurs ex-monopoles publics, empêchant ainsi la concurrence de jouer correctement son rôle. Les opérateurs publics peuvent par exemple bénéficier d’injections de capital ou d’aides financières de la part des pouvoirs publics, comme en France. Cependant, l’existence de tels concurrents «gonflés aux stéroïdes anabolisants» crée inévitablement des distorsions vis-à-vis des opérateurs privés et met à mal la future concurrence postale.

Beaucoup d’idées…

Pour rajouter l’insulte à l’injure, les nouveaux opérateurs – qui ne bénéficient pas d’un tel soutien étatique – peuvent aussi se retrouver soumis à une autre obligation anticoncurrentielle, celle d’alimenter un «fonds de compensation » (cas de l’Italie et bientôt de la France). Leurs contributions visent à financer l’opérateur public, qui est pourtant leur principal concurrent, et ce même s’ils n’utilisent pas son réseau postal !

D’autres pays ont, quant à eux, décidé de re-réglementer les conditions de travail. L’Allemagne a ainsi adopté un salaire minimum postal avant d’ouvrir le secteur postal à la concurrence début 2008, supérieur de 23% au salaire pratiqué en moyenne par les concurrents de l’ex-monopole Deutsche Post et renchérissant ainsi artificiellement leurs coûts de près de 12%. En dépit d’un rejet de la réglementation au début 2010, l’impact sur la concurrence a été important: en 2008 le nombre d’employés des concurrents s’est effondré de près de 40% (environ 19.000 emplois supprimés) et l’un des concurrents, PIN Group, a été acculé à la faillite.

Enfin, un régime fiscal à plusieurs vitesses – soit des exemptions de TVA pour les ex-monopoles mais pas pour les autres concurrents – est aussi une source de distorsions pour la concurrence dans plusieurs pays, comme le Royaume-Uni.

Les pouvoirs publics belges devraient s’abstenir de copier ce type de«gadgets» réglementaires visant, par des moyens contournés, à semer des embûches à l’entrée des nouveaux prestataires. Faute de quoi, la concurrence postale se retrouvera sur un siège éjectable, privant les Belges de ses bénéfices économiques.

Valentin Petkantchin est directeur de la recherche à l’Institut économique Molinari.

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