Loi Bachelot : des conséquences risquées à long terme
Article publié dans La Tribune le 06 juin 2009.
La loi Bachelot suscite des débats houleux. Pour en comprendre la portée et tenter d’en prévoir les conséquences à long terme, il faut la replacer dans une perspective historique et comparer les évolutions actuellement à l’oeuvre en France avec ce qui prévaut ailleurs en Europe.
À cet égard, le texte présenté par la ministre de la Santé renforce le poids de l’État en matière d’organisation des soins et de contrôle des dépenses, et rapproche le système français du système anglais, où l’accès aux soins est strictement rationné et où les dépenses n’ont pas été maîtrisées pour autant.
La France a la réputation de jouir de l’un des systèmes de santé les plus efficaces. Ses performances reposent sur un secteur libéral développé aux piliers solides : liberté d’installation et liberté de prescription pour les médecins, liberté de choix du médecin par le patient. Pourtant, depuis sa création au lendemain de la Seconde guerre mondiale, la Sécurité sociale a connu des déficits chroniques. Jusqu’à 1996, les pouvoirs publics ont tenté de les juguler en augmentant les cotisations sociales ou en multipliant les déremboursements. Avec la création en 1996 de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), la France a franchi un pas dans la maîtrise publique des coûts : celle-ci a pris un aspect essentiellement comptable, et les moyens mis en oeuvre pour parvenir à l’équilibre ont consisté à réglementer les actes des patients et des médecins.
Cette érosion progressive du secteur libéral, déjà renforcée en 2004 par la réforme Douste-Blazy, trouve une nouvelle expression avec la loi Bachelot. Les Agences régionales de santé (ARS), qui devraient être mises en place dès 2010, organiseront l’ensemble des soins au niveau régional, sous la tutelle du ministère. Les soins ambulatoires, jusque-là relativement libres, seront inclus dans les nouveaux schémas d’organisation des soins. À terme, c’est l’existence même de la médecine libérale qui est menacée. Au final, la France tend à se rapprocher du système entièrement public qui prévaut outre-Manche.
Au Royaume-Uni, la totalité du secteur est placée sous contrôle de l’État. Il n’existe, pour ainsi dire, pas de secteur libéral au sens où nous l’entendons en France. La liberté d’installation des médecins est encadrée, de même que leur activité. Plus de 128 000 d’entre eux sont directement employés par le National Health Service (NHS), les autres travaillant sous contrat avec les autorités de santé locales. Les patients disposent d’une liberté de choix restreinte, et leur accès aux médicaments est limité.
Malgré les contrôles mis en place à tous les étages, le Royaume-Uni n’est pas parvenu à maîtriser ses dépenses de santé : entre 1998-1999 et 2007-2008, le budget du NHS a crû de 81,9 %, hors inflation. En revanche, le système, presque depuis ses origines, impose aux patients une limitation de l’accès aux soins, que ce soit par l’allongement des files d’attente – en janvier 2009, plus de 150 000 patients devaient attendre deux à trois mois avant de pouvoir être admis à l’hôpital – ou par les restrictions à l’accès aux médicaments. Pour des pathologies telles que le cancer ou la maladie d’Alzheimer, de nombreux patients se sont vu refuser des traitements jugés trop coûteux par les autorités alors que ceux-ci sont couramment utilisés dans les autres pays européens, au premier rang desquels figure la France.
Au Royaume-Uni, la rationalisation des soins a donc pris la forme d’un véritable rationnement. Cette logique est inhérente à la volonté de confier à l’État l’intégralité du secteur : les pouvoirs publics décident, uniformément pour tous les citoyens, des services qui peuvent être délivrés et couverts. Face à cela, les Anglais sont de plus en plus nombreux, quand ils en ont les moyens, à acheter directement leurs soins dans le secteur privé, renonçant ainsi à toute prise en charge publique du coût de leur traitement.
En France, des maux similaires à ceux endurés par les Britanniques commencent à poindre, et seront probablement renforcés si la loi Bachelot était appliquée en l’État. Des pénuries de médecins apparaissent dans de nombreuses régions rurales ou dans certaines banlieues sensibles. Dans les années à venir, les files d’attente devraient s’aggraver.
Pour éviter cela, la France doit préserver un secteur médical libéral. En effet, seule une organisation souple permet de répondre de manière adéquate à la demande de soins. A contrario, une escalade dans la réglementation et le contrôle rigidifierait l’ensemble du secteur de la santé, sans pour autant permettre une maîtrise des dépenses. L’exemple du Royaume-Uni est éloquent et devrait nous inciter à réfléchir à de nouvelles pistes de réforme.
Guillaume Vuillemey est chercheur à l’Institut économique Molinari