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Soutenons l’ouverture du marché postal!

Article publié dans Le Temps, le 9 septembre 2008.

Chaque fois qu’un secteur de l’économie est ouvert à la concurrence, les craintes sont invariablement les mêmes. L’ouverture fera, dit-on, augmenter les prix tout en dégradant la qualité des services rendus aux consommateurs. La rhétorique prend le pas sur le bon sens et le raisonnement économique.

En avril 2009, La Poste devrait perdre son monopole sur les plis d’un poids compris entre 50 et 100 grammes. Sauf que ce processus est menacé par la très récente décision de la commission des télécommunications du Conseil national qui, à la suite de la commission du Conseil des États, refuse cette ouverture plus importante du marché postal suisse. Le syndicat de la communication de s’en féliciter. Cela doit aussi réjouir Robert Métrailler, secrétaire général du syndicat Transfair qui, dans une tribune publiée le 22 juillet dernier dans les colonnes du Temps, dénonçait l’ouverture des marchés postaux dans certains pays européens et les atteintes au service universel. Les arguments avancés méritent cependant d’être dissipés car ils sont infondés.

Chaque fois qu’un secteur de l’économie est ouvert à la concurrence, les craintes sont invariablement les mêmes. L’ouverture fera, dit-on, augmenter les prix tout en dégradant la qualité des services rendus aux consommateurs.

La théorie comme la pratique vont pourtant à leur encontre. La théorie : un nouveau concurrent n’entre sur un marché protégé jusqu’alors que s’il pense pouvoir offrir aux consommateurs des services plus performants ou moins chers que ceux déjà offerts. Autrement dit : si La Poste, une fois le marché libéralisé, continue d’offrir ses services de messagerie dans les conditions actuelles, toute entreprise qui parviendra à lui prendre la moindre part de marché sera nécessairement une entreprise qui offrira des services plus adaptés à la demande, ou moins chers à ses clients. En outre, une entreprise performante n’a pas à craindre la concurrence dans l’immédiat : elle se sait en mesure de satisfaire ses clients mieux qu’aucune autre entreprise ne pourrait le faire!

Quant à la pratique, elle illustre les effets bénéfiques de la concurrence pour le consommateur. En Suède, le service s’est amélioré, la gestion a été rationalisée, tandis que les prix sont restés dans la moyenne européenne. Le cas du Royaume-Uni, en revanche, doit être cité avec précaution, car l’ouverture est très récente (2006). Contrairement à ce que prétendent les opposants à l’ouverture, les premiers éléments semblent cependant positifs, selon les autorités britanniques. La Chambre des communes remarque ainsi que « les preuves montrant que la libéralisation permet d’offrir de meilleurs services aux consommateurs sont incontestables ». La gestion de Royal Mail a ainsi été davantage rationalisée et 3000 emplois ont été créés dans le secteur postal britannique.

Pour défendre le monopole dans le secteur postal suisse, il est courant d’insister sur les efforts de rationalisation déjà accomplis par La Poste au cours des dernières années. Il ne faut pourtant pas oublier de préciser que ceux-ci ont essentiellement été réalisés dans l’optique de la fin de son monopole protégé. C’est donc bien la pression de la concurrence à venir qui a poussé La Poste à s’améliorer.

Il est néanmoins des cas où l’ouverture d’un marché peut se traduire, en apparence, par des hausses de prix. C’est le cas lorsque les prix antérieurs étaient subventionnés. Or, il est inapproprié de comparer des prix subventionnés à des prix de marché. Au prix apparent – celui payé par le client lors de l’achat d’un service, par exemple d’un timbre – il convient d’ajouter le montant des subventions. Seule une comparaison de ce « prix complet » en situation de monopole avec le prix de marché est économiquement pertinente. Mais il est courant d’user, en Suisse comme ailleurs, de la première comparaison pour faire croire à des hausses de prix. La rhétorique prend le pas sur le bon sens et le raisonnement économique.

Or, certains prix traditionnellement pratiqués par les monopoles postaux sont justement subventionnés. Par exemple, tous les clients privés paient un prix identique pour des services ayant pourtant des coûts différents : il est plus coûteux de livrer un courrier dans un village alpin enclavé que dans une aire urbaine. Ceux d’entre eux situés dans des régions fortement peuplées subventionnent donc une partie de l’acheminement du courrier de ceux situés dans des régions faiblement peuplées : c’est le « principe du service universel ».

Mais est-on obligé de maintenir un monopole postal pour conserver un tel mécanisme? Pas nécessairement. En Suède, au Royaume-Uni ou en Allemagne, où les marchés ont été libéralisés, le service universel reste pourtant toujours assuré. Le maintien d’un monopole postal n’est pas indispensable à cet égard.

Ni la défense des consommateurs ni celle du service universel ne permettent donc de justifier l’acharnement des syndicats notamment à garder le monopole actuel. Leur véritable intérêt dans son maintien réside sans doute dans la préservation des avantages du statut de postier, plus protecteur qu’un statut de travailleur dans le secteur privé. Transfair l’avoue d’ailleurs lui-même à demi-mot en déclarant que « la condition pour toute nouvelle ouverture du marché est la conclusion d’une convention collective de travail de branche ». L’USS est sur la même position. L’ouverture du secteur ne serait donc acceptable que lorsque le statut des employés privés des possibles nouveaux concurrents aura été aligné sur celui des employés de La Poste.

Pourtant, même si une telle position venant des principaux intéressés peut se comprendre, la fixation de manière centralisée des conditions d’embauche et de rémunération de tous les employés d’un secteur n’est pas économiquement justifiée. La concurrence naît de la différenciation et non de l’uniformité. Concurrencer une entreprise, ce n’est pas offrir la même chose qu’elle dans des conditions identiques. C’est offrir quelque chose de différent, mieux ou moins cher.

Pour cela, les entreprises doivent notamment pouvoir différencier les conditions auxquelles elles embauchent leurs salariés, avec l’accord de ces derniers ou de leurs syndicats, comme c’est le cas pour les nouveaux concurrents privés en Allemagne. Ceux qui souhaitent sur-réglementer le secteur postal referment en réalité la porte à toute concurrence réelle qui pourrait émerger après son ouverture.

Les décisions récentes des deux Commissions des télécommunications si elles atteignent leur objectif pénaliseront les consommateurs, qui financent le monopole actuel, et qui ne pourront pas bénéficier des prix plus faibles ou des services plus adaptés à leurs besoins que la concurrence leur aurait apportés.

Guillaume Vuillemey, chercheur, Institut économique Molinari

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