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L’Europe tombe dans le piège de REACH

Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique Molinari.

Le Conseil des ministres de l’Union européenne s’est prononcé mardi 13 décembre en faveur de la nouvelle réglementation des produits chimiques. C’est au nom de la santé et de l’environnement des citoyens que les pouvoirs publics pourront ainsi autoriser, restreindre ou prohiber leur mise sur le marché.

Le Conseil des ministres de l’Union européenne s’est prononcé mardi 13 décembre en faveur de la nouvelle réglementation des produits chimiques. REACH[[Registration Evaluation and Authorization of Chemicals (Enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques).]], approuvé en première lecture le 17 novembre dernier par le Parlement européen, est porteur d’enjeux considérables. Environ 30 000 substances présentes dans une multitude de produits de consommation courante, tels que les cosmétiques, les téléviseurs ou les produits d’entretien, devront être enregistrées et testées dès lors qu’elles seront fabriquées dans des quantités dépassant la tonne annuelle. C’est au nom de la santé et de l’environnement des citoyens que les pouvoirs publics pourront ainsi autoriser, restreindre ou prohiber leur mise sur le marché.

En conformité avec le principe de précaution inspirant ce texte, la charge de la preuve sera inversée. Ce sera aux industriels, présumés coupables, de prouver l’innocuité de leurs produits. Cela signifie que les autorités gouvernementales pourront interdire la production et la commercialisation de ces substances, sans preuve de leur nocivité. En plus d’être en porte-à-faux avec les fondations d’une société libre selon lesquelles tout individu est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, cette législation nous semble menacer sérieusement les conditions générales de la prospérité sans offrir d’amélioration sur le plan de la gestion du risque.

Avant d’examiner les coûts négligés de REACH, il est utile de porter son attention sur ses avantages supposés. Le projet a largement été soutenu à l’aide d’estimations chiffrées relatives au décès et maladies qui seraient dus à des produits chimiques. Il est par exemple prétendu dans l’étude Tufts[[Ackerman et Massey, The True Costs of REACH, p. 51.]], reprenant des travaux de la Commission européenne, que REACH pourrait sauver 4 500 vies. Au-delà des difficultés pratiques d’imputer à certains produits la cause d’un décès quand une multitude d’autres causes sont possibles, il devrait être clair que toute estimation chiffrée suppose de connaître les effets des produits en question. Or, REACH vise en principe à identifier des produits chimiques potentiellement dangereux, dont les propriétés sont largement inconnues du régulateur aujourd’hui. De telles estimations sont donc scientifiquement douteuses[[A ce sujet, voir l’étude de l’Institut Hayek: «La directive REACH: Dommageable pour l’économie mondiale, suicidaire pour l’Europe», pp. 24-46]].

Quels que soient les chiffres réels, ils ne peuvent pas prouver qu’une telle législation serait bénéfique. REACH consistant essentiellement en un transfert de la gestion des risques dans les mains des Etats, il faudrait démontrer que celle-ci est plus efficace qu’une gestion privée et décentralisée. Ce n’est pas une question de statistiques, mais d’incitations. Les gestionnaires publics ne supportent pas directement les conséquences des choix qu’ils font pour les citoyens car leurs rémunérations et leurs carrières n’en dépendent pas directement. La négligence dans le choix des substances à mettre sur le marché ou non est beaucoup plus coûteuse pour des industriels dont les revenus dépendent du soutien des consommateurs. Si des entrepreneurs agissant pour leur propre compte doivent se préoccuper de leur réputation vis-à-vis de leurs clientèles et salariés, c’est qu’ils n’ont aucun intérêt systématique à les empoisonner.

Néanmoins, il est clair que la législation actuelle ne reconnaît que lâchement les responsabilités dans les pollutions et dommages provoqués par des produits toxiques. Mais cela suggère une toute autre piste de réforme qu’une législation prohibant a priori l’usage de substances à risque: prendre la pollution pour ce qu’elle est, une invasion de la propriété des victimes. Les producteurs et utilisateurs de n’importe quelle substance auraient alors systématiquement intérêt à se préoccuper des possibles dommages que leurs activités pourraient infliger à autrui, dès lors qu’ils auraient des comptes à rendre devant un tribunal. Au contraire, si un dommage réel est infligé par une substance autorisée dans le cadre de REACH, on voit mal de quel recours la victime pourrait se prévaloir.

Si la gestion des risques peut difficilement être améliorée par REACH, cette législation porte aussi un coup aux consommateurs en restreignant la concurrence. La procédure implique d’abord de payer des droits d’enregistrement, c’est-à-dire une nouvelle taxe, droits pouvant être partagés entre des firmes qui s’accorderaient pour enregistrer conjointement leurs substances. Elle implique aussi au minimum des «frais de dossiers». Les firmes exportant en Europe ne pourront s’enregistrer directement, les importateurs devant remplir cette obligation pour elles. Ainsi, un biais systématique en faveur des firmes européennes avec une assise financière déjà forte sera instauré, donnant une impulsion à la concentration de l’industrie et isolant les entreprises les mieux «installées» de leurs concurrents potentiels, au détriment du pouvoir d’achat des consommateurs et de la qualité des produits offerts.
La législation REACH a donc la double conséquence d’offrir une cartellisation forcée de l’industrie, nuisible aux consommateurs européens, et une gestion du risque relativement déficiente par rapport à ce qui prévaut aujourd’hui, et encore plus par rapport à ce qui prévaudrait si la responsabilité jouait pleinement.

Xavier Méra est chercheur associé à l’Institut Economique Molinari.

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