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Le Sénat récolte les dividendes de la capitalisation retraite

Les deux tiers de la retraite des sénateurs et des fonctionnaires de la chambre haute sont assurés par la capitalisation, allégeant d’autant la charge pour le contribuable. Un article de Thibaud Vadjoux, publié dans L’Agefi du 9 décembre 2025, qui s’appuie sur l’analyse de l’Institut économique Molinari

La richesse du Sénat apparaît moins sous les ors du Palais du Luxembourg que dans la bonne gestion de ses caisses de retraite en capitalisation. Les provisions s’élèvent encore à 1,8 milliard d’euros à fin 2024, dont 896 millions d’euros d’actifs gérés par la caisse de retraite pour le personnel du Sénat et 815 millions d’euros pour la caisse des anciens sénateurs. Ces montants ont pu alimenter le fantasme d’une cagnotte cachée. « Il est important de déconstruire l’idée caricaturale, contresens historique et financier, selon laquelle des sénateurs égoïstes auraient mis en place une capitalisation retraite pour arrondir leurs pensions », réagit Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari.

Les caisses ont permis de provisionner la retraite des sénateurs et du personnel. « Depuis la création de la Caisse en 1905, les sénateurs et le personnel du Sénat financent eux-mêmes les prestations de leur régime sans faire appel à des transferts financiers en provenance de l’État ou des autres régimes sociaux. Il n’y a ni dotation d’équilibre, ni subvention d’équilibre, ni transfert financier venant de l’extérieur », rapporte le Sénat à L’Agefi.

Dans un système de retraite français qui s’enfonce dans ses déficits, les sénateurs estiment avoir fait un bon usage de leurs indemnités publiques. Ils ne rougissent pas de leurs 3.400 euros de retraite moyenne (2.200 euros net pour un mandat de six ans) car ils sur-cotissent à plus de 40 % du niveau moyen des Français pour leur part en capitalisation et perçoivent le rendement de leur épargne. Aujourd’hui, deux-tiers de leur retraite provient de la capitalisation. La caisse du Sénat est devenue un régime mixte en « répartition provisionnée » où les revenus des placements financiers et les réserves compensent les déficits techniques de la répartition (cotisations-prestations).

Une longue histoire

Au XIXème siècle, les fonctionnaires d’Etat disposaient de différentes caisses de retraite, aux modèles mixtes mais aux équilibres souvent précaires. En 1853, Napoléon III supprime Ies caisses des ministères pour les intégrer au budget de la nation. Puis, le Sénat crée une caisse autonome pour son personnel, craignant que la chambre haute soit supprimée sous la IIIème République. En 1905, les sénateurs suivent l’exemple du personnel. Les caisses de retraite sont provisionnées intégralement, les réserves assurent l’avenir du régime à long terme. Les caisses traversent les guerres et les crises financières.

Mais, elles affrontent aujourd’hui la dégradation des rapports démographiques qui les oblige à puiser dans les réserves. Malgré les revenus financiers, les deux caisses affichaient un résultat comptable déficitaire de -1,5 million d’euros en 2019, -23 millions d’euros en 2020, -18 millions d’euros en 2021, -12 millions d’euros en 2022, +1 million d’euros en 2023 et -11 millions d’euros en 2024, indique le Sénat dans ses comptes.

D’après les calculs de l’institut Molinari, le taux de couverture des engagements (en valeur économique, en intégrant les plus-values latentes) de la caisse du Sénat est passé de 101% en 2007 à 65% en 2024. Les réserves représentaient 28 ans de prestations en 2007 contre 16 ans aujourd’hui.

Une transparence limitée mais des gains réels

Le Sénat reste très discret sur sa caisse, craignant peut-être de susciter des polémiques. Malgré son caractère public, le Sénat ne communique pas d’informations sur la trajectoire financière des caisses ni sur la gestion d’actifs. A une autre échelle, le Fonds de Réserves des retraites ou l’Etablissement de retraite additionnelle de la fonction publique (Erafp), gérés en capitalisation, font, eux, preuve d’une véritable transparence.

Les comptes du Sénat laissent voir un portefeuille global d’actifs composé de 50 à 60% d’obligations, d’environ 30% d’actions, de 8% d’actifs illiquides, de 2,5% d’immobilier et de 2% de monétaire.

Le portefeuille a bien servi les sénateurs et… le contribuable. « Ces capitaux ont rapporté en moyenne 4,1% par an sur quinze ans. La création de valeur est de l’ordre de 2,6% nets au-delà de l’inflation contre un TRI de 2,7% pour l’Erafp depuis sa création (…) Ainsi, de 2008 à 2022, la capitalisation retraite a fait économiser 657 millions d’euros d’argent public au Sénat ou 13% de ses dépenses de fonctionnement », affirme Nicolas Marques. Pour l’année 2024, les produits financiers ont permis d’économiser 70 millions d’euros sur les 110 millions de retraites versées aux personnel et élus de la Chambre haute. « Sans la capitalisation, l’Etat aurait dû accorder un budget plus élevé de 20% aux sénateurs en 2024 », souligne le directeur de l’Institut Molinari.

Pour ce dernier, le modèle du Sénat constitue un gisement ignoré d’économies de la dépense publique qui pourrait être généralisé aux fonctionnaires. « Si l’Etat avait capitalisé comme le Sénat dans un fonds souverain, il aurait placé 920 milliards dont les produits auraient permis d’auto-financer 55% des pensions des fonctionnaires, soit une économie 433 milliards d’euros de 2008 à 2022 », affirme Nicolas Marques.

La capitalisation reste pertinente, y compris dans la situation actuelle de d’endettement, « car les capitaux placés à long terme rapportent significativement plus que le coût de la dette publique ». Mais, la capitalisation résiste mal au temps politique. Le FRR a souffert de sa sous dotation et des ponctions à partir de 2010 malgré les revenus qu’il assure à l’Etat. La caisse de retraite par capitalisation de la Banque de France, existant depuis 1808, doit également disparaitre dans le cadre de la réforme des retraites. Depuis 2023, les nouveaux collaborateurs s’affilient au régime général. L’Assemblée nationale qui disposait d’une caisse comparable au Sénat a été alignée sur le régime des fonctionnaires.

 

Nicolas Marques

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