Retraite: la capitalisation fait désormais consensus
Travailler une heure de plus par semaine et placer le gain dans une capitalisation collective permettrait à terme d’augmenter le taux de remplacement à la retraite de 7 % à 17 % selon le type de gestion. Texte d’opinion par Thibaut Bechetoille, Philippe Berthelot, Philippe Desfossés et Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans l’Opinion.
Cinquante ans après la fin du baby-boom, il est devenu évident pour une majorité de personnes qu’il faut généraliser la capitalisation retraite. Un sondage récent Odoxa montre que 57 % des Français sont favorables à un système mixte – mêlant répartition et capitalisation –, le tout-capitalisation attirant 22 % des répondants et le tout-répartition 20 %.
La capitalisation est désormais un sujet qui rassemble. En l’espace de vingt ans, elle est devenue consensuelle, alors qu’il s’agissait auparavant d’un tabou. Un point de bascule a été atteint dans un pays où seulement 5 % des cotisations de retraite sont capitalisées.
C’est la conséquence logique d’un lent processus de dégradation des retraites et de maturation de l’opinion. Il est loin le temps où le tout répartition apparaissait comme souhaitable et tenable. Depuis vingt ans, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV) n’a équilibré ses comptes que deux fois, en dépit d’une succession de réformes initiées dès la fin des années 1990. Au fil des années, les réformes paramétriques visant à réduire la progression des dépenses de retraite sont devenues de plus en plus coûteuses politiquement, comme en témoigne la façon dont les deux mandats d’Emmanuel Macron ont été perturbés par la question des retraites. Surtout, une grande majorité des Français a intégré que le tout répartition conduit à l’appauvrissement des retraités. Les prévisions du Conseil d’orientation des retraites montrent que si rien ne change d’ici à 2070, le niveau de vie des retraités chutera de 15 % par rapport à la population moyenne. En dépit de cotisations significatives les pensions s’effriteront, ce qui légitime une généralisation de la capitalisation retraite.
Pendant très longtemps, ce message n’était pas audible. Seules quelques rares professions – comme celle des pharmaciens libéraux – ont eu la clairvoyance de généraliser la capitalisation collective en complément de la répartition. Au sein même des régimes par répartition, seules des caisses complémentaires – comme l’Agirc-Arrco ou celles des professions libérales – ont eu la précaution de constituer des réserves et de les placer pour faire face à la baisse de la natalité. Dans le secteur public, la capitalisation n’avait jamais disparu dans certaines institutions prévoyantes (Banque de France, Sénat) et il existait, grâce à Préfon, un complément retraite mis en place par quatre syndicats de fonctionnaires en 1964.
La situation a radicalement changé à partir de 2003 avec la loi Fillon qui reconnaît l’intérêt de la capitalisation, en la rendant obligatoire pour les fonctionnaires. La capitalisation collective a été généralisée pour les fonctionnaires grâce à la mise en place de la Retraite additionnelle de la Fonction publique (RAFP). Avec une progression de 14 % par an, les capitaux cogérés de façon responsable par les partenaires sociaux croissent trois fois plus vite que ceux des produits facultatifs (+4% au-delà de l’inflation par an depuis 2006). En quelques années, le RAFP, alimenté tous les mois par des cotisations obligatoires de 4,5 millions de fonctionnaires, est devenu le plus gros fonds de pension français, avec près de 50 milliards d’euros d’épargne retraite mutualisés.
Cette révolution s’est faite sur une base consensuelle, paritaire et additionnelle. Elle a permis de reléguer à l’arrière-plan tous les discours caricaturaux selon lesquels généraliser la capitalisation serait impossible. C’est dorénavant fait dans la fonction publique. Pourquoi cela ne serait pas faisable dans le secteur privé sur des bases identiques, paritaires et additionnelles ? Dans le cadre du conclave dédié aux retraites et organisé sous la houlette de François Bayrou, des simulations ont été faites par les pouvoirs publics à la demande de la CPME. Elles montrent que travailler une heure de plus par semaine et placer le gain dans une capitalisation collective permettrait à terme d’augmenter le taux de remplacement à la retraite de 7 à 17 % selon le type de gestion. Capitaliser permettrait de contrebalancer l’érosion du niveau de vie des retraités d’ici à 2070.
La mise en place d’une Retraite additionnelle des salariés du privé, copié-collé du RAFP des fonctionnaires, présenterait un maximum d’avantages. D’une part, le RAFP, géré de façon paritaire par et au profit des fonctionnaires, est une grande réussite. D’autre part, la généralisation d’une capitalisation additionnelle n’implique pas une réforme systémique. La probabilité de succès est accrue, ce type de réforme étant bien plus simple à mener.
L’approche que nous préconisons au sein de Capissens, la structure que nous venons de créer en faveur de la généralisation de la capitalisation dans le privé est éminemment pragmatique. Elle permet de séparer les sujets, en garantissant que l’ajout d’une dose de capitalisation ne remette pas en cause l’existant, qu’il s’agisse notamment des caisses de retraite par répartition bien gérées (Agirc-Arrco, professions libérales) ou des produits facultatifs d’épargne retraite (PER individuels ou d’entreprise).
Bien sûr, il reste des oppositions à surmonter. Pour certains, capitaliser risquerait de déstabiliser la répartition. Elle l’est déjà puisque qu’en dépit de la faiblesse de la capitalisation française, la répartition multiplie les déficits depuis 20 ans. Surtout, l’expérience des pharmaciens, qui, au sein de la CAVP, bénéficient d’un régime complémentaire obligatoire mixte montre que la capitalisation épaule la répartition. Capitaliser permet de dégager des dividendes et plus-values et donc de moins solliciter la répartition.
Pour d’autres, la capitalisation doit rester du domaine du libre choix. Mais comment légitimer qu’elle soit obligatoire dans le secteur public et facultative dans le secteur privé ? Et comment légitimer que les cotisations de retraite obligatoires alimentent seulement la répartition, alors que c’est un mode de financement particulièrement coûteux en raison des tendances démographiques de long terme à l’œuvre depuis le contrechoc du baby-boom. Rester dans la situation actuelle, caractérisée par une capitalisation facultative, favoriserait mécaniquement l’explosion des inégalités entre retraités. Le fossé se creuserait entre ceux disposant de retraites bonifiées par le rendement de l’épargne et ceux n’ayant qu’une répartition structurellement moins rémunératrice.
Pour d’autres enfin, nous disposerions déjà de tous les outils pour capitaliser. Mais c’est ignorer que les dispositifs facultatifs (PER individuels, PER col, PER ob) ne permettent pas de combler le retard par rapport aux pays développés. Ces produits facultatifs n’attirent pas tous les actifs. Le PER individuel est attrayant pour les personnes assujetties à l’impôt sur le revenu, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Il est aussi coûteux à vendre et donc assorti de frais de gestion qui réduisent sa performance. Autant d’obstacles qui n’existent pas dans les formules collectives. Ajoutons que la coexistence de Préfon et du RAFP dans la fonction publique montre que le développement de la capitalisation collective depuis vingt ans ne s’est pas fait au détriment des produits facultatifs. Il y a de la place pour tout le monde : en France, le stock d’épargne retraite (13 % du PIB) est deux fois moins développé que la moyenne européenne (28 %), sept fois plus faible que dans la moyenne des pays développés (92 %) et seize fois moins significative qu’au Danemark, champion du monde de l’épargne retraite (206 % du PIB placés fin 2024).
Enfin, au-delà des enjeux de pouvoir d’achat et de soutenabilité de la protection sociale, généraliser la capitalisation est un enjeu systémique. C’est clef pour l’innovation et la souveraineté. Si la France, comme l’Europe, est en retard dans la tech, la bio-tech, l’IA ou la transition énergétique, c’est en raison d’une lacune structurelle. Contrairement aux pays disposant d’une épargne retraite abondante, et en particulier aux États-Unis, nous n’avons pas un écosystème qui génère suffisamment de capital patient à long terme pour financer les premiers pas d’acteurs innovants puis leur passage à l’échelle avec l’équivalent d’un Nasdaq européen. Il manque 19 000 milliards d’euros de capitalisation retraite en Europe par rapport aux États-Unis. Si nous ne traitons pas cette lacune structurelle, le retard ne cessera de se creuser. Nous aurons des retraités pauvres dans une zone pauvre. La généralisation de la capitalisation est un impératif à la fois social et économique.
Thibaut Bechetoille, entrepreneur, Président de Capissens
Philippe Berthelot, Président de la CAVP et de la CNAVPL
Philippe Desfossés, ancien directeur du RAFP
Nicolas Marques, Directeur général de l’Institut économique Molinari



