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PLFSS 2026 : le cœur du réacteur de l’apocalypse budgétaire

Alors que la France s’enfonce dans un déficit public persistant, le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2026 révèle le vrai cœur du réacteur budgétaire : les dépenses sociales et les retraites. Interview avec Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans Atlantico.

Pourquoi le PLFSS est-il devenu, plus encore que le budget de l’État, le vrai cœur du réacteur de la crise budgétaire française ?

Parce que les masses en jeu sont très importantes en lien avec le vieillissement, mais aussi le manque de calcul économique à long terme. Selon le PLFSS les recettes et dépenses des administrations de protection sociale représentent 27% du PIB en 2026. Les dépenses de protection sociale représenteraient l’an prochain 808 milliards d’euros, dont 666 milliards au titre des régimes obligatoires de base de sécurité sociale, soit bien plus que les dépenses de l’Etat et de ses opérateurs (621 milliards, dont 501 milliards pour l’Etat) ou que les dépenses des collectivités locales (332 milliards). Au total la protection sociale mobilise 49% des dépenses publiques.

Comment expliquer que plus de la moitié de la hausse de la dette publique soit liée à la protection sociale et aux retraites ?

La protection sociale – conçue pour élargir l’accès aux soins à la Libération – a été incapable de faire sa mue pour s’adapter au vieillissement depuis la fin du baby-boom.

La protection sociale a été réorganisée en 1945 autour de la Sécurité sociale, pensée comme si la rareté n’était pas un sujet. Elle s’est immédiatement montrée plus généreuse que les mutualistes qu’elle remplaçait, qui avaient développé des mécanismes de responsabilité permettant de contenir l’envol des dépenses. La mise en place de la Sécurité Sociale s’est accompagnée, dès les années 1950, de déficits. Mais ce n’était pas un sujet : les besoins étaient importants au sortir de la guerre et la croissance était au rendez-vous durant les Trente glorieuses. Ajoutons que les professionnels de santé étaient ravis. Ils étaient libérés de la tutelle des mutualistes qui avaient l’habitude de négocier âprement les tarifs, voire de mettre en place des structures mutualistes qui salariaient les praticiens pour faire pression à la baisse sur les tarifs des médecins ou des pharmaciens libéraux.

Entre 1950 et 2024, la part de la consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) dans le PIB a été multipliée par 3,5 en passant de 2,5 % à 9 %. Dans le même temps, les dépenses de retraite ont quasiment triplé, en passant de 5 à 14 % du PIB.

Le vrai point de bascule se situe au milieu des années 1970, avec la fin du Baby-boom et des trente glorieuses, lorsque les déficits publics deviennent quasi systématiques. Ce n’est pas un hasard si, depuis 1974, nous n’avons jamais équilibré les comptes publics et si les déficits sont toujours croissants. C’est parce que notre pays vieillit et que nous n’avons rien fait pour éviter que le financement inadapté de la protection sociale ne déstructure l’économie et les finances publiques.

Ce PLFSS 2026 apporte-t-il des réponses structurelles ou n’est-il qu’un ensemble de rustines posées sur un navire qui prend l’eau ?

C’est une collection de rustines sur un navire qui prend l’eau. Depuis les années 1990 la stratégie des pouvoirs publics est de freiner l’envol des dépenses de retraite ou de santé. Mais elle ne permet pas de traiter les problèmes structurels, notamment le mauvais rapport cout/bénéfice.

En matière de retraite, les pouvoirs publics ont cherché à freiner l’augmentation des prestations. Mais ils on fait l’impasse sur la généralisation de la capitalisation, alors que cette mesure était clef pour éviter que le financement des retraites ne pénalise la compétitivité et les salaires nets, mais aussi pour préserver le pouvoir d’achat des générations futures de retraité.

L’anomalie n’est pas le montant des pensions, qui représente en moyenne les deux tiers du salaire moyen, mais leur mode de financement. Nous vivons dans l’illusion qu’un financement intégral des retraites par répartition est encore possible. Mais, dans les faits, nous sommes sortis du tout-répartition, avec des retraites qui ne sont plus intégralement financées par les cotisations des actifs. Lorsque le nombre de retraités progresse plus vite que le nombre d’actifs, le tout-répartition conduit à fiscaliser toujours plus les actifs ou à reculer sans cesse le départ à la retraite, ce qui suscite inquiétudes et opposition. C’est de là que vient la multiplication des déficits au sein de certaines caisses de retraite mal gérées.

En matière de santé, le problème est du même ordre. La stratégie de la sécurité sociale est de freiner l’augmentation des dépenses. Mais elle n’a pas développé une approche qui permette de s’assurer du meilleur rapport coût/bénéfice, en développant proactivement la prévention qui permet de faire des économies durables.

La sécurité sociale pilote les prix et les quantités, en privilégiant le court terme. Or c’est impossible de maîtriser la dépense sur la longue durée si l’on fait fi du temps long. Si l’on oublie les coûts à long terme, si l’on considère la prévention comme un coût à court terme, en oubliant que c’est un levier d’économies, impossible de prendre les décisions responsables à l’instant t qui limiteront l’envol des coûts futurs.

Quelles pistes de refondation pourraient permettre à la France de sortir par le haut de cette impasse (nouveaux modes de financement, réformes systémiques, refonte du pacte social) ?

En matière de retraite, il faut généraliser la capitalisation collective dans le secteur privé, en complément de la répartition et des dispositifs de capitalisation facultatifs existants. C’est ce qui a été fait dans l’administration et dans quelques professions prévoyantes. Depuis 20 ans tous les mois, 4,5 millions de fonctionnaires capitalisent collectivement au sein de l’ERAFP, un fonds de pension cogéré par les syndicats et les employeurs de la fonction publique. Cela leur permet de se constituer une retraite supplémentaire, qui s’ajoute à leur retraite de base et aux compléments de retraite que certains constituent à titre individuel (Préfon ou autres PER individuels…). De même, tous les pharmaciens bénéficient de retraites complémentaires conjuguant répartition et capitalisation (CAVP).

Les simulations faites lors du conclave montrent que pour les jeunes générations, travailler une heure de plus par semaine pour alimenter une capitalisation collective permettrait d’augmenter le taux de remplacement à la retraite de 17 %. Au lieu de baisser, le pouvoir d’achat des retraités serait préservé sans que cela ne pèse sur les générations futures.

En complément, il faut provisionner le régime des retraites des fonctionnaires pour éviter qu’il ne pèse sur les finances publiques et les contribuables, et confier la gestion du régime général aux partenaires sociaux. L’État a fait l’erreur de laisser la Caisse d’assurance vieillesse sans gouvernance responsable. Pour corriger cela, la solution la plus pragmatique est de la confier aux partenaires sociaux pour qu’ils mettent en place les mesures de redressement et une gouvernance adaptée au temps long.

En matière de santé, il faut investir bien plus dans la prévention et offrir le choix de l’assureur santé, à l’image de ce que font les néerlandais.

La Sécurité sociale raisonne en comptabilité de caisse, ce qui de facto conduit à sous évaluer la prévention et privilégier le curatif. La France a dépensé 110 euros par personne en prévention en 2023, soit trois fois moins que les Pays-Bas, qui ont par ailleurs fait le choix d’organiser une concurrence entre opérateurs. L’administration, au lieu de gérer la sécurité sociale et de mettre sous quasi tutelle les complémentaires santé, se focalise aux Pays-Bas sur la définition du cadre réglementaire. Ce sont des assureurs mutualistes, l’équivalent de nos complémentaires santé, qui gèrent l’équivalent de notre régime général et de nos complémentaires. C’est la voie à suivre si l’on veut améliorer le rapport qualité prix des prestations de santé.

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