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Fiscalité numérique: quand la France joue avec le feu

Doubler la taxe numérique en visant les GAFAM, c’est prendre le risque d’un surcoût pour nos entreprises et d’une riposte américaine immédiate. Texte d’opinion par Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, publié dans Le Point.

La France a l’habitude de jouer avec le feu en termes de fiscalité, et généralement le retour de bâton est différé dans le temps. Pendant des décennies, le recours à une fiscalité de production, qui fait doublon avec la fiscalité traditionnelle, a laminé la compétitivité française. Par ricochet, cela a nui à la croissance et aux finances publiques. Mais la prise de conscience que cet engrenage fiscal jouait contre la production a été très lente.

Au contraire, il existe des domaines, comme la fiscalité internationale, où le retour de bâton est rapide. On s’attendrait à ce que la représentation nationale les aborde avec précaution, mais ce n’est pas le cas, comme l’illustre le probable doublement de la taxe sur les services numériques (TSN).

Dans les derniers jours, des parlementaires de tous bords ont déposé des amendements visant à augmenter la taxe dite GAFAM, mise en place en 2019, qui est une bête noire du président américain. Les plus gourmands ont été ceux de LFI, avec une proposition de porter le taux de la taxe numérique de 3 à 15 %. Les élus proches du gouvernement, un moment tentés par le quintuplement, ont voté un doublement de 3 à 6 % de la taxe numérique.

Selon eux, les géants du numérique américains seraient mis à contribution à hauteur de 1,5 milliard en 2026, au lieu de 750 millions en 2024, et cette démarche contribuerait à la souveraineté numérique. Deux affirmations qui sont sujettes à cautions.

D’abord, c’est une erreur économique mais aussi politique de dire que cette taxe sera acquittée par des acteurs étrangers. D’un point de vue économique, l’incidence de la fiscalité ruisselle du fort au faible. Les GAFAM sont quasi incontournables, ils reporteront la taxe numérique sur des acteurs français, qu’il s’agisse des entreprises ou des consommateurs qui achèteront leurs services plus chers. Ce sont donc au final des acteurs français qui assumeront cette fiscalité.

D’un point de vue politique, prétendre que cette taxe sera supportée par des entreprises américaines est un affichage risqué. Dès son retour au pouvoir, le président Trump a décrété des rétorsions contre les pays qui adopteraient des mesures ciblant leurs entreprises. Il est probable que les États-Unis réagiront en ciblant nos entreprises exportatrices, notamment dans le vin, les spiritueux ou le luxe. Et, là encore, ce seront des acteurs français qui seront pénalisés. Le doublement de la taxe GAFA risque d’être une bien mauvaise affaire pour l’économie et les finances publiques.

Enfin, prétendre que cette fiscalité contribuera à la souveraineté numérique relève du déni. Si la France, comme l’Europe, est en retard dans le numérique, c’est en raison d’une lacune structurelle. Contrairement aux États-Unis, nous n’avons pas une chaîne complète qui permette de financer de façon industrielle les premiers pas d’acteurs innovants (avec des fonds d’amorçage et du private equity) puis leur passage à l’échelle (avec l’équivalent d’un Nasdaq européen). Il manque 19 000 milliards de capitalisation boursière en Europe par rapport aux États-Unis, l’équivalent de la valeur boursière des géants numériques américains. Si nous ne traitons pas cette lacune structurelle, le retard ne cessera de se creuser, le risque étant que la France et l’Europe sortent de l’histoire économique.

 

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