ENTRETIEN. Alors que le conclave voulu par François Bayrou n’a pas abouti, faut-il repenser en profondeur notre système de retraite ? Nicolas Marques, de l’Institut Molinari, dresse un constat sans détour. Propos recueillis Beatrice Parrino, publiés le 26/06/2025
Le Point : Comment notre système de retraite se porte-t-il ?
En 2024, les retraites étaient déficitaires de 1,7 milliard d’euros, selon le Conseil d’orientation des retraites. Sans nouvelle réforme, le déficit représentera 6,6 milliards en 2030 et sept fois plus en 2070. Dans les faits, la situation est encore plus critique. Les chiffres officiels ne tiennent pas compte des besoins de financement liés aux retraites des fonctionnaires ou des entreprises publiques qui représentent une soixantaine de milliards d’euros par an.
Une nouvelle réforme est-elle inéluctable ?
Oui, car c’est impossible de financer des retraites généreuses intégralement en répartition sans générer de déficits publics majeurs. Ce n’est pas un hasard si nous n’avons jamais réussi à équilibrer les comptes publics depuis 1974 marquant la fin du baby-boom.
Vous militez pour un passage au système par capitalisation. Certains disent que ce n’est pas une si bonne idée que cela et que cela pourrait peser sur nos comptes publics. Que répondez-vous ?
C’est la faiblesse des capitalisations qui explique la dégradation de nos finances publiques dans un contexte de vieillissement. Si nous capitalisions comme la moyenne des pays développés, nous aurions 88 % du PIB placés, ce qui générerait 3 % du PIB par an de dividendes et plus-values au service des retraites, soit une centaine de milliards d’euros par an.
Ce n’est pas un hasard si les champions de la capitalisation en Europe – le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède – ont des comptes publics équilibrés ou bien plus florissants que la France et si, a contrario, les déficits inquiétants sont dans des pays européens ayant tout misé sur la répartition.
Passer à la capitalisation permettrait il de ne pas repousser toujours plus l’âge de départ à la retraite ?
Oui. En ajoutant une dose de capitalisation collective dans le secteur privé, à l’image de ce qui a déjà été fait dans le secteur public depuis 2005, nous pourrions préserver le pouvoir d’achat des retraités à l’horizon 2070.
Les simulations faites par l’administration dans le cadre du conclave, à la demande d’une organisation patronale, montrent que travailler une heure de plus pour alimenter une capitalisation collective obligatoire permettrait de créer jusqu’à 13 % de pouvoir d’achat pour les retraités des années 2070. Elles montrent aussi que capitaliser collectivement est une solution plus profitable que de cotiser plus en répartition. À cotisation égale, le gain de pouvoir d’achat est supérieur lorsqu’on capitalise, puisque les dividendes et les plus-values générées par les placements créent un pouvoir d’achat complémentaire.
La capitalisation n’est plus assimilée à un acte individuel égoïste, qui ne devait en aucun cas être organisé collectivement. Cette position n’est plus tenable à une époque où les retraites par répartition sont à la peine, et il est de plus en plus difficile de les réformer.
Pourquoi ce sujet n’emballe-t-il pas les gouvernements successifs, les syndicats et même le patronat ?
La capitalisation a été présentée par certains comme un épouvantail, notamment par ceux qui craignent que la généralisation de la capitalisation ne renforce le soutien à l’économie de marché. Dès 1909, Jean Jaurès, unificateur du mouvement socialiste et ardent défenseur de la capitalisation collective, soulignait que « ceux qui se font un monstre de la capitalisation commettent une erreur étrange ».
Les lignes se sont inversées depuis la fin du baby-boom, qui marque la fin de la période faste de la répartition. La capitalisation n’est plus assimilée à un acte individuel égoïste, qui ne devait en aucun cas être organisé collectivement. Cette position n’est plus tenable à une époque où les retraites par répartition sont à la peine, et il est de plus en plus difficile de les réformer.
Dans la fonction publique, beaucoup se souviennent de la déconfiture du CREF (complément retraite facultatif). Ce complément de retraite fonctionnait en grande partie en répartition et a dû drastiquement baisser ses prestations versées à 450 000 cotisants ou retraités. A contrario, l’ERAFP – le fonds de pension des fonctionnaires, qui vient de fêter ses 20 ans avec 48 milliards d’euros placés pour le compte de 4,5 millions de fonctionnaires – apparaît comme une grande réussite.
Généraliser la capitalisation devient un enjeu social. Dans son best-seller Le Capital au XIXe siècle, Thomas Piketty prédit une augmentation des inégalités entre ceux qui épargnent et les autres. Défendre le statu quo, c’est laisser se creuser un fossé entre ceux qui bénéficient de la capitalisation et le reste de la population.
Quand on pense capitalisation, on pense États-Unis. Cela fait peur…
Assimiler capitalisation et les États-Unis relève de la pure rhétorique. La capitalisation retraite est proportionnellement plus développée en Europe – avec notamment 204 % du PIB placés au Danemark, 188 % en Islande ou 150 % aux Pays-Bas, soit plus qu’aux États-Unis (147 %).
Ajoutons que les États-Unis sont aussi plus prévoyants que nous en matière de répartition. Ils ont eu la sagesse de doter leur régime public de réserves, avec deux ans de prestations placées pour amortir le choc du vieillissement. En France, le régime général géré par l’État n’a pas de réserves, et l’État a pillé le Fonds de réserve des retraites (FRR), en dépit de la valeur ajoutée qu’il apporte. Les seules caisses ayant des réserves significatives sont les contractuels, les professions libérales (CNAVPL, CAVP…) et les indépendants, avec de quatre à huit années de prestations mises de côté pour adoucir les effets du vieillissement.
À ce stade, les Français ont bien compris qu’il faut ajouter une dose de capitalisation, comme le montrent les sondages d’opinion. La solution la plus pragmatique est de généraliser la capitalisation sous une forme collective et paritaire en s’appuyant sur la réussite de l’ERAFP, le fonds de pension des fonctionnaires, et de l’Agirc-Arrco, le régime complémentaire des salariés du privé. À n’en pas douter, partenaires sociaux et politiques vont s’emparer de ce sujet, car le statu quo n’est pas tenable.