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Corée du sud : les conglomérats sont aussi victimes du manque de transparence

Texte d’opinion publié le 15 janvier 2018 dans La Tribune.

Au delà de la condamnation de l’héritier de Samsung, le gouvernement sud-coréen veut pénaliser financièrement les conglomérats (les « Chaebol »), piliers de l’économie du pays, soupçonnés de favoriser la corruption. Mais il serait préférable de leur imposer plus de transparence en matière de comptabilité et de gouvernance pour redonner confiance aux investisseurs.

En février prochain, la Haute Cour de Séoul rendra sa décision lors du procès en appel de Lee Jae-yong, l’héritier de Samsung, condamné en août dernier à 5 ans de prison. En dépit de sa condamnation, il est important de souligner que les conclusions des juges du Tribunal du district central de Séoul n’avaient pas vraiment pu avancer des preuves directes de sa corruption. Selon la Cour, les actions de M. Lee auraient davantage consisté en une soumission passive aux pressions du gouvernement de Park Geun-hye visant à financer des projets impliquant sa conseillère controversée Choi Soon-sil. M. Lee pouvait difficilement écarter ces pressions sans menacer en même temps ses activités opérationnelles.

Position ferme à l’égard des Chaebol

Le président actuel, Moon Jae-in, a défendu la décision de la Cour au nom d’une position ferme à l’égard des Chaebol, ces énormes conglomérats sud-coréens à la source du succès économique du pays. Dans le but de montrer sa fermeté, il a nommé Kim Sang-jo à la tête de la Commission de la concurrence, l’autorité antitrust du pays, sans accord de l’Assemblée nationale. M. Kim est professeur d’économie à l’Université de Hansung. Connu pour être « le tueur des Chaebol », il était à la tête d’un groupe de citoyens visant à faire passer des réformes économiques notamment pas le biais de divers procès gagnés contre de grandes entreprises coréennes. Les deux hommes veulent réformer les Chaebol mais « leurs réformes » consistent davantage à les sanctionner financièrement et à les punir fiscalement dans le but d’affaiblir leur pouvoir économique.

Manque de transparence

Plus que de se concentrer sur la punition de mauvais comportements, le gouvernement devrait essayer de les prévenir tout en renforçant la compétitivité des Chaebol. En effet, le problème principal de ces entités qui est un problème majeur pour leurs investisseurs, c’est le manque de transparence en matière de comptabilité et de gouvernance. Les réglementations sud-coréennes ne sont pas suffisamment claires en matière de holding et de fusion. La comptabilité financière et le management des conglomérats restent flous et deviennent des cibles faciles de tentatives de corruption. Compte tenu de la lenteur législative, les entreprises peuvent avoir intérêt à répondre favorablement à des demandes de « soutien financier » en échange d’une tranquillité dans la gestion des opérations.

Prises de décision malavisées

Evidemment, ce flou réglementaire a aussi pour effet de favoriser des prises de décision malavisées, ce que nombre de critiques soulignent. On peut néanmoins penser que ce comportement relève plus du « cavalier seul » que d’une faiblesse inhérente aux conglomérats. Les réformes visant une meilleure transparence financière peuvent éliminer ce problème, tout en préservant la structure des Chaebol. La formulation de règles claires concernant la structure juridique des holdings et la consolidation des comptes peut simplifier les relations entre les entreprises au sein d’un même conglomérat et fournir une meilleure vision des choses aux investisseurs. En effet, une telle transparence permettrait à des créanciers et actionnaires potentiels de mieux évaluer la performance financière des entités tout en en comprenant mieux les risques inhérents. Ce contrôle resserré pourrait être un puissant incitatif à une prise de décision plus avisée, de sorte qu’il serait plus rare de les voir investir dans des domaines complètement étrangers à leur cœur de métier ou de prendre des décisions à la va-vite sous la pression de quelques actionnaires majoritaires.

Réformer le droit des actionnaires

Autre réforme importante à mener, celle des droits des actionnaires. Aujourd’hui, les actionnaires minoritaires n’ont pas de statut clair. Par conséquent, leur pouvoir de contrôle est très réduit. En leur donnant davantage de pouvoir, il y a là encore moyen d’encourager de meilleures prises de décision. En effet, une entreprise cultivant l’opacité risquerait ainsi de voir ses performances financières négativement affectées. Il y aurait alors une forte incitation de la part des investisseurs à sanctionner un top management défectueux.

Ces réformes n’ont pas pour condition nécessaire de démanteler les Chaebol. Elles établissent des règles claires de gouvernance qui éliminent les tentations de corruption ou de mauvaises décisions par le management et plus encore par les membres du gouvernement. En effet, des règles claires atténuent grandement la tentation de trouver des « soutiens financiers » auprès des Chaebol. La rhétorique agressive de M. Moon pendant la campagne présidentielle, si elle était suivie d’effet, nuirait sans doute à l’économie sud-coréenne dont les principaux marchés sont à l’étranger. D’autant plus que la Corée du Sud est un petit pays qui importe l’essentiel de ses matières premières et de son alimentation. Il a besoin des ses exportations pour rester prospère. Ces éléments semblent évidents pour la population qui, si elle s’exaspère des scandales à répétition, n’en reste pas moins très fière du succès des Chaebol dont elle veut qu’ils gardent leur compétitivité.

Chose encourageante, on observe déjà un changement de politique au sein des Chaebol eux-mêmes qui pour certains ont déjà adopté une structure juridique plus simple et plus claires. D’autres ont amélioré la rémunération de leurs actionnaires et les droits de participation. Certains ont même fait des provisions susceptibles d’aider des fournisseurs en difficulté. M. Kim, à la tête de la Commission de la concurrence, a ainsi adouci son discours à leur égard. Il apparaît plus judicieux de chercher à réformer le cadre institutionnel que de tomber dans une forme de guerre contre les Chaebol.

Gabriel A. Giménez Roche est chercheur associé à l’Institut Économique Molinari et professeur assistant d’économie à NEOMA Business School.

Gabriel A. Giménez-Roche

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