Le clivage haut-bas en passe de remplacer le clivage gauche-droite ?
Texte d’opinion publié le 24 avril 2017 sur PolitiqueMatin.
Maintenant que le premier tour des élections présidentielles française est passé, nous avons des résultats tangibles sur lesquels disserter. De mon point de vue – partagé par de nombreux commentateurs –, le résultat le plus important n’est pas la victoire d’un Emmanuel Macron ou d’une Marine le Pen mais plutôt la déconfiture des deux partis traditionnels de France. Celle-ci s’inscrit sans doute dans un processus qui œuvre depuis plusieurs décennies.
Le vote des Anglais pour la sortie du Brexit a pour moi été le premier coup de semonce. En effet, je ne l’avais pas du tout vu venir. Que n’avais-je pas compris ? L’élection de Donald Trump aux États-Unis m’a beaucoup moins surprise. Je comprenais que des tendances étaient à l’œuvre mais quelles étaient-elles ? Ce qui s’est avéré rassurant et utile, c’est que d’autres se posent les mêmes questions. Le conservateur américain David Brooks – créateur du terme bobo (bourgeois-bohème) et journaliste au New York Times – reconnaissait avoir écrit entre 2015 et 2016 près de 30 articles expliquant pourquoi Donald Trump ne serait jamais le candidat républicain. Fort de son analyse erronée, il essaie aujourd’hui de comprendre ce qui se passe dans le monde.
En particulier, lui comme d’autres, soulignent un phénomène crucial au sein de la société actuelle, à savoir que justement les idées qui ont marqué le clivage traditionnel droite-gauche, républicain-démocrate ne sont plus dominantes. Un nouveau clivage s’est progressivement imposé que le terme populiste ne suffit pas à comprendre.
David Brooks explique ainsi que si Donald Trump a été élu, c’est parce qu’il a compris que le débat au sein de la société américaine avait profondément changé. En effet, encore jusqu’à récemment le débat démocrate-républicain tournait autour de l’idée de la place de l’État dans la société. Les démocrates défendaient un État très impliqué pour favoriser l’égalité. Les républicains, plus attachés à la notion de liberté, recommandaient d’en réduire la taille. Un Trump a compris ce que les deux partis n’ont pas compris aux États-Unis, à savoir que le débat était maintenant autour de l’idée société ouverte versus société fermée.
D’un côté, il y a les « gagnants » de la mondialisation et d’une certaine forme de méritocratie. Ceux-ci sont favorables au libre-échange, à l’ouverture des frontières et une plus grande tolérance à l’égard des mœurs car ils y voient des opportunités sans fin. De l’autre, on trouve « les perdants » de la mondialisation, ceux dont les emplois ont été détruits ou sont menacés par la concurrence internationale. Ceux-là sont favorables à la fermeture des frontières économiques et au contrôle des flux migratoires.
La montée en puissance de cette tendance explique aussi en partie la victoire du oui à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. La question pour les élections françaises était donc de savoir si cette tendance existait en France et si elle avait la force de changer profondément le paysage politique française. La réponse est claire. Le géographe Christophe Guilluy, qui s’intéresse à cette question depuis de nombreuses années, expliquait encore dans Paris Match, il y a quelques jours : « Il est frappant de noter que le candidat qui a gagné la primaire de droite et le candidat qui a gagné la primaire de gauche courent tous les deux le risque de ne pas passer la barre du premier tour. Nous assistons au basculement du système qui a régi notre vie politique depuis soixante ans. Les partis n’ont pas su, pas pu, pas voulu se réformer à temps. Les électeurs le font à leur place. »
Cet auteur dans ses livres, notamment Le crépuscule de la France d’en haut, dresse un constat extrêmement important pour qui veut comprendre la société française actuelle (et peut-être plus généralement les tendances à l’œuvre dans toutes les sociétés développées). Il dessine une recomposition de la société entre ce qu’il appelle « la France métropolitaine » et « la France de la périphérie » qui, sur fond territorial, recoupe la distinction entre les perdants et les gagnants de la mondialisation. Sans entrer ici dans les détails de sa démonstration passionnante, je retiens la chose suivante:
L’élection actuelle marque un tournant dans le paysage politique qui a au moins le mérite de rendre les choses plus visibles. D’un côté, un centre porté par Emmanuel Macron et incarnant l’ouverture. De l’autre, on trouve des extrêmes puissantes favorables au repli. Christophe Guilluy estime à 60% la France d’en bas qui pourrait se retrouver dans ces extrêmes. Nous sommes dans un phénomène de long terme qui mérite qu’on en comprenne toute les dimensions si on veut pouvoir le modifier.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.