Prix des médicaments innovants : pourquoi le débat est tronqué
Texte d’opinion publié le 2 octobre 2016 dans l’Opinion.
Au cours des derniers mois, la Ligue contre le cancer, Médecins du Monde et un groupe de 110 cancérologues se sont élevés contre les prix des médicaments innovants. Cette révolte alimentera sans doute les discussions autour du prochain projet de financement de la Sécurité sociale dont l’objectif affiché est de maîtriser les coûts.
Pourtant cette démarche est superficielle, à l’image de la dernière campagne de Médecins du Monde laissant entendre que ce sont les seuls laboratoires qui fixent le prix du médicament. Ils estimeraient pour nous « le prix de la vie » en fonction de leurs critères de rentabilité. D’où l’appel de l’organisation en faveur d’une intervention de l’État pour faire baisser le prix des médicaments.
Ce discours passe sous silence le fait qu’en France le prix du médicament est déjà un prix administré. Il est fixé par des pouvoirs publics en situation de monopole, à partir de leur perception des apports des nouvelles molécules et de leurs coûts de développements et de production. Si le prix de certains médicaments peut paraître élevé, c’est davantage en raison de facteurs économiques, sanitaires et réglementaires.
Il est impossible de conclure que ces prix administrés sont « indécents » et qu’il y a nécessairement une marge de manœuvre significative pour les faire baisser à court terme, sauf à assumer le risque de nuire à l’innovation pharmaceutique. De même, il est impossible de conclure que plus de régulation générerait plus d’économies. Bien au contraire. La question d’une organisation plus concurrentielle du système de santé pourrait offrir des pistes d’amélioration.
Médicaments innovants - des prix administrés : En France, commercialiser un médicament est un long parcours réglementaire, jalonné d’instances publiques qui administrent le prix du médicament. Le laboratoire doit d’abord déposer une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Si l’analyse bénéfices-risques de l’ANSM conduit à l’autorisation, le laboratoire doit décider s’il désire que son médicament soit inscrit sur la liste des médicaments remboursables. S’il ne le souhaite pas, il est libre de fixer le prix du médicament. Dans le cas contraire, il doit déposer un dossier devant la Commission de transparence de la Haute autorité de la santé qui va évaluer le service médical rendu (SMR) puis l’amélioration du service médical rendu (AMSR) par le médicament.
Le SMR analyse la valeur thérapeutique du médicament au regard des stratégies thérapeutiques existantes. Cette évaluation détermine le taux de remboursement défini par l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (UNCAM). L’ASMR observe l’amélioration fournie par le médicament par rapport aux médicaments déjà utilisés. A partir de cette analyse, le Comité économique des produits de santé (CEPS) détermine le prix du médicament.
Le prix des médicaments innovants remboursables est donc contrôlé par les pouvoirs publics qu’il s’agisse de l’ANSM, de l’UNCAM ou du CEPS. Etant donnée la volonté de maîtrise des dépenses publiques, il est logique que le CEPS détermine leur prix de manière à limiter les abus et se fonde sur des critères objectifs.
Un développement long et risqué : La réglementation des prix se fonde en grande partie sur les spécificités de l’industrie. Celle-ci est marquée par un fort besoin de R&D qui est par nature risquée. En effet, les investissements en R&D sont longs – en moyenne 12 années entre la découverte d’une molécule et sa commercialisation. A titre d’exemple le cycle de développement est de 6 à 8 ans dans l’aéronautique, de 2 ans dans l’alimentaire et de seulement 15 à 22 mois dans l’électroménager.
Le taux d’échec y est aussi très important. Seule une molécule sur 10 000 criblées sera finalement commercialisée. En conséquence, seuls 14 % à 20 % des médicaments innovants commercialisés seront rentables et ces derniers doivent couvrir l’ensemble des échecs de l’industrie sans quoi les innovations futures seraient impossibles. Concrètement, la nécessité d’innover se traduit par un poids de la R&D plus élevé que dans l’ensemble des autres secteurs. Du point de vue économique, ces dépenses sont des coûts irrécouvrables – sunk costs – qu’il convient de considérer comme des investissements à amortir et non des dépenses courantes. Suivant cette définition, il apparaît que les retours sur investissement dans le secteur sont relativement faibles (8 % en 2015) et comparables aux autres industries (7 % dans l’aéronautique, 10 % dans l’automobile et 14 % dans le commerce de détail).
Des rendements décroissants : À cela s’ajoute le fait que les pathologies qui ne sont pas encore soignées sont par définition les plus complexes, nécessitant toujours plus d’investissement en R&D pour découvrir un traitement. Ainsi, depuis 2008, les investissements en R&D des plus grands laboratoires ont augmenté de 22 %, alors que le nombre de médicaments commercialisés est resté stable.
Comme le montre la loi EROOM (ou loi de Moore inversée), à niveau d’investissement constant en R&D, le nombre de médicaments commercialisés est divisé par deux tous les 9 ans – ce qui implique d’investir toujours davantage pour produire de nouveaux médicaments. Or, les montants investis et l’incertitude quant à leurs résultats représentent aussi un risque financier majeur.
Au total, le coût actuel d’un médicament innovant s’établit à plus de 4 milliards d’euros.
Par ailleurs, ces médicaments ciblant un nombre de plus en plus restreint de patients, la logique économique contraint à fixer un prix par patient de plus en plus élevé.
Une réglementation coûteuse : Au-delà des contraintes économiques, les délais d’autorisation ainsi que l’incertitude relative aux modalités de remboursement impliquent des coûts supplémentaires qui peuvent expliquer en partie l’importance des prix.
Le secteur des médicaments innovants compte parmi les plus réglementés avec près d’un tiers des médicaments passant l’ensemble des phases de tests qui ne seront jamais mis sur le marché. Si la réglementation est fondamentale pour protéger les futurs patients et l’ensemble de la société, il est toutefois nécessaire de comprendre qu’elle représente un coût lorsqu’elle reporte ou prévient la mise en marché d’un médicament.
Deux voies possibles : La régulation actuelle des prix semble imparfaite et pourrait mettre en péril la pérennité du système car elle ne permet pas en même temps d’assurer l’innovation médicamenteuse, de fournir un accès aux thérapies nouvelles à tous et de maîtriser les dépenses publiques.
S’il s’avérait que les prix de certains médicaments innovants étaient économiquement trop élevés, ce qui n’est en aucun cas une certitude puisqu’il n’existe quasiment pas de marché libre en la matière, cela révélerait plutôt une défaillance des régulateurs. Ces derniers fondent leurs démarches sur leur perception des apports des nouvelles molécules et des coûts de développements et de production. Or ces deux aspects peuvent être difficiles à appréhender dans un univers très régulé, de nature à freiner l’émergence de signaux pertinents.
Aussi, plutôt que d’incriminer le prix des médicaments en tant que tel, il convient de s’interroger sur la capacité d’un système monopolistique à générer des informations fiables sur les avantages et coûts tout en garantissant un rapport qualité-prix optimal. Du point de vue économique il n’est pas évident qu’un système construit pour orchestrer une maîtrise comptable des coûts soit le plus à même de préserver l’efficacité des dépenses de soins.
En matière de prix il existe probablement deux voies. Celle empruntée par les pouvoirs publics visant à réguler sans cesse des procédures de fixation de prix imparfaites, et celle s’appuyant sur une réelle mise en concurrence dans la fixation des prix, faisant confiance à des acteurs décentralisés. La dernière voie est sans aucun doute la plus prometteuse, mais elle constituerait une rupture avec la pratique actuelle. Au lieu de laisser des entités monopolistiques négocier les prix avec les industriels, elle impliquerait de faire confiance à de multiples négociations entre assureurs ou mutualistes – garants de la recherche de meilleurs rapports qualité prix – et industriels du médicament.
Pierre Bentata est chercheur associé à l’Institut économique Molinari, institut spécialisé dans l’analyse des politiques publiques. Il est aussi professeur d’économie à l’ESC Troyes et cofondateur du Cercle Belem. Il est l’auteur de la note Médicaments innovants : les prix sont-ils trop élevés?