9 questions pour Cécile Philippe : La mondialisation des échanges marchands (3)
Troisième question tirée d’une grande interview réalisée par Grégoire Canlorbe avec Cécile Philippe, directrice générale de l’IEM, pour le compte de l’Institut Coppet.
Troisième question tirée d’une grande interview réalisée par Grégoire Canlorbe avec Cécile Philippe, directrice générale de l’IEM, pour le compte de l’Institut Coppet. En plus d’avoir été publiée sur le site de l’Institut Coppet, cette interview a été publiée sur le site de 24hGold et dans le numéro 16 de la revue Laissons Faire.
Grégoire Canlorbe: Il existe encore un troisième facteur auquel on impute couramment (à l’instar du prix Nobel Maurice Allais) la responsabilité du chômage: à savoir la mondialisation des échanges marchands.
Le raisonnement qui sous-tend cette assertion peut se formuler comme suit: Dans le contexte de la mondialisation des échanges entre des pays caractérisés par des niveaux de salaires différents, plus le salaire minimal (déterminé par les forces du marché ou fixé par la loi) est élevé dans les pays développés, et plus les importations en provenance des pays à bas salaires sont favorisées. Ces importations sont certes compensées en valeur par des exportations. Cependant la compétition des travailleurs dans les pays développés avec les pays à bas salaires détruit nécessairement des emplois – à moins que le patronat ne réussisse à procéder à une baisse du coût du travail.
Dès lors la mondialisation des échanges mène soit à une hausse du chômage s’il y a rigidité des salaires, soit au nivellement vers le bas des salaires (et à une explosion des inégalités de revenu) s’il y a flexibilité des salaires. Grâce aux délocalisations et aux importations en provenance des pays à bas salaires, les consommateurs peuvent cela dit acheter des produits meilleur marché. En contrepartie de cette baisse des prix les consommateurs doivent cependant subir la perte de leur emploi ou la baisse de leurs salaires. Ce sont tout à fait ces conséquences qu’on peut observer en France depuis trente ans.
Que rétorqueriez-vous à cette analyse en vogue?
Cécile Philippe: Pour répondre à votre question, je crois qu’il faut d’abord bien comprendre que l’échange dans nos sociétés est à la fois indispensable et source de grande richesse. Comme je l’explique dans mon livre, les capacités de l’homme isolé sont limitées, aussi bien dans le temps que dans l’espace. Il lui est impossible de produire tout ce dont il a besoin. En effet, il lui est indispensable d’échanger avec les autres pour satisfaire ses besoins.
Ce phénomène nous est devenu tellement familier et habituel que nous ne nous réjouissons plus de trouver sans difficulté de quoi manger, lire ou s’habiller. Nous en sommes même rendus à un point où nous pouvons nous permettre d’être très exigeants en la matière. De même que nous ne nous étonnons pas de pouvoir respirer, nous restons de marbre devant le miracle qui s’accomplit sous nos yeux, à savoir que des milliers d’individus œuvrent chaque jour à notre confort matériel et à notre bien-être psychique.
Or force est de constater que si nous devions aujourd’hui tenter de nous procurer par nous-mêmes ce que nous utilisons et consommons chaque jour, nous nous rendrions compte que ce serait tout simplement mission impossible.
Songeons simplement à ce qu’il nous faudrait pour confectionner une pizza à partir de nos seules ressources. La pizza est, par excellence, un produit simple. Elle se compose d’une pâte (un mélange d’eau et de farine), de fromage et de tomates. Il faut aussi la faire cuire. Or, pour disposer de farine, il faut posséder une terre et y avoir fait pousser du blé. Il faut avoir au préalable sélectionné des semences, les avoir plantées et attendre qu’elles poussent pour ensuite les récolter. Le processus est identique pour les tomates. Le fromage, quant à lui, suppose d’avoir du lait et donc des vaches. Celles-ci doivent naître puis grandir pour donner le lait qui permettra alors de faire un fromage. Le four à pain nécessite aussi des matières premières et des compétences pour le confectionner au même titre que le fromage ou la pâte à pain.
On l’aura compris, celui qui ne peut pas obtenir d’autres personnes ce qu’il veut consommer, devra attendre des mois avant de pouvoir déguster une pizza. Pendant ce laps de temps, il lui faudra subvenir à ses besoins autrement et surmonter toutes sortes d’obstacles.
Ce miracle qui permet d’avoir envie d’une pizza et d’en dévorer une dans l’heure a une explication: la division du travail. Chacun, en se spécialisant, peut augmenter sa productivité et ainsi produire ce qui lui permettra d’acquérir ce que d’autres développent.
Donc pour revenir à la mondialisation des échanges, si on reconnaît qu’ils sont seulement une extension de nos échanges locaux et proches, on ne peut que se réjouir de leur extension à une zone géographique plus large, qui plus est si cela nous donne accès à des produits moins chers et plus variés.
Car cela libère du pouvoir d’achat qui permet d’acquérir d’autres biens. Mais encore faut-il que ceux-ci soient produits et donc qu’on laisse les entreprises s’adapter aux nouvelles demandes. Le fonctionnement d’une économie de marché repose intrinsèquement sur la création et la destruction simultanées d’emplois. Ce processus est indispensable pour permettre aux entreprises de s’adapter à l’évolution des préférences des consommateurs et aux changements technologiques. Ce faisant, l’économie prospère et le niveau d’emplois peut augmenter et compenser les destructions qui ont nécessairement lieu.
Dans un pays comme la France qui cherche avant tout à bloquer les destructions d’emplois, ce processus d’adaptation des entreprises est fortement retardé. On maintient trop longtemps des personnes dans des emplois sans avenir si bien que lorsque l’inéluctable arrive, il leur est parfois extrêmement difficile de s’adapter aux nouvelles offres d’emplois.
Vous mentionnez la baisse des salaires provoquée par la concurrence des bas salaires dans les pays émergents, par exemple. C’est vrai pour toute une catégorie d’emplois mais par pour tous les emplois et la baisse des salaires dans les secteurs concernés ne devrait pas inéluctablement conduire à une baisse de pouvoir d’achat. En effet, si la monnaie conserve sa valeur (à savoir n’est pas inflationniste) et que par ailleurs, nombre de biens et services voient leur valeur baisser, alors les travailleurs moins payés ne s’en trouvent pas forcément moins bien.
Divers problèmes viennent de ce que la monnaie (dans tous les pays du monde) est fortement manipulée et perd de sa valeur en alimentant des bulles qui font augmenter les prix comme ceux de logement, de l’énergie (au moins en Europe), etc. L’augmentation du prix de ces biens et services – cruciaux pour le bien être – fait plus que compenser les baisses d’autres biens et services dont nous pouvons profiter par ailleurs. D’où le malaise.
Incriminer la mondialisation et souhaiter le repli nationaliste et protectionniste est cependant très dangereux car cela nous conduirait au pire des mondes, à savoir un monde dans lequel nous subirions les hausses des prix, sans avoir accès à des produits bon marché et plus variés, un monde dans lequel le marché du travail continuerait de dysfonctionner et de générer du chômage, bref une société dans laquelle nous en aurions tous moins pour notre argent.
Les pertes d’emplois et le baisses de salaire sont des choses inéluctables car elles sont liées aux changements technologiques, aux changements des préférences des consommateurs, etc. Vouloir les empêcher est un gaspillage d’énergie et de ressources. On peut, par contre, en limiter les effets, en adoptant des structures flexibles et en cessant de manipuler comme on le fait aujourd’hui nos monnaies.
Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.
L’interview en parties
Votre parcours intellectuel, universitaire et professionnel (1)
Le marché du travail français (2)
La mondialisation des échanges marchands (3)
La théorie dite autrichienne du cycle des affaires (5)