Travail du dimanche : les arguments à déconstruire pour dépolluer le débat
Texte d’opinion publié le 3 novembre 2013 sur Atlantico.
Contrairement à leur concurrent Bricorama, les magasins Leroy Merlin et Castorama viennent d’être autorisés à ouvrir le dimanche. Le Tribunal de commerce de Bobigny le leur avait pourtant interdit, ne serait-ce que le mois dernier. Ces affaires, à laquelle on peut ajouter l’interdiction frappant Sephora et Monoprix d’ouvrir en soirée, illustrent à quel point la réglementation actuelle – qui érige en principe l’interdiction du travail dominical – devient incompréhensible et source de conflit. Pourquoi ne pas simplifier la chose en laissant les Français libres de travailler ou pas ?
Or, pour maintenir le statu quo, un argument est invariablement martelé. Lequel ? L’ouverture le dimanche résulterait en un simple report des achats effectués les autres jours de la semaine vers le « jour du seigneur ». Lever l’interdiction serait donc sans intérêt. Dans un cas comme dans l’autre, le montant total d’achat serait le même.
Or, il s’agit d’un sophisme trompeur qu’il est important de déconstruire afin qu’il cesse de « polluer » le débat public.
Car l’interdiction de travailler – que ce soit le dimanche ou encore en soirée – est aussi bien source d’inefficacité que d’injustice notamment vis-à-vis des jeunes, particulièrement frappés par le chômage.
Contrairement à ce qui est avancé, la réglementation actuelle est bel et bien la cause d’une perte de chiffre d’affaires et donc une opportunité manquée de créer de la valeur. Les achats qui auraient pu être effectués par exemple par des touristes qui quittent la France en fin de semaine (ou le lendemain matin comme dans le cas de Sephora) ne peuvent pas être reportés et des ventes possibles sont ainsi « perdues ».
La perte de performance peut être plus subtile car le report dans le temps d’un achat n’est pas sans conséquence, même si cela échappe à la « logique comptable » officielle mise en avant.
Par exemple, les consommateurs qui souhaitent effectuer un achat important (électroménager, mobilier, etc.), veulent pouvoir faire le tour des magasins avant de se décider. Se libérer en semaine est problématique pour nombre d’entre eux et faute de magasins ouverts, ils reportent leurs décisions d’achat à plus tard. Un tel report –parfois plusieurs semaines – signifie que les marchandises restent plus longtemps dans les rayons ou en réserve.
Or, cela ne laisse pas intacte la rentabilité de l’espace de vente des magasins à l’heure où ceux-ci subissent déjà la concurrence des ventes sur Internet et les effets de la crise. En effet, même fermés, les magasins supportent des coûts fixes liés au loyer, au stockage des marchandises, etc.
Cette moindre performance du commerce de détail affecte également les producteurs en amont, dont les produits ont tendance à s’écouler relativement moins vite, les « robinets » étant fermés un jour sur sept, ou en soirée alors que la gros de la clientèle est présent précisément à ce moment-là (cas de Sephora). Les effets néfastes de l’interdiction de travailler s’étendent donc bien au-delà du seul secteur de la distribution.
Mais ce n’est pas tout. Lever les interdictions de travailler présenterait d’autres avantages nets indéniables, difficiles à comptabiliser mais pourtant bien réels et faciles à comprendre.
Le fait-même que les consommateurs préfèrent effectuer leurs achats le dimanche plutôt qu’un autre jour, démontre clairement que cela crée de la valeur ajoutée supplémentaire. Celle-ci peut prendre plusieurs formes. Car n’oublions pas que l’acte d’achat ne comprend pas que la facture payée en caisse. Il implique pour les consommateurs d’autres coûts en termes de temps perdu (sur la route ou dans le magasin), de frais d’essence, d’efforts pour trouver une place de parking, etc. Faire ses courses le dimanche parce que la circulation est plus fluide, parce qu’il est plus facile de se garer ou parce qu’il y a moins de files d’attente en caisse peut ainsi diminuer la « facture globale » des consommateurs.
Contrairement aux idées reçus, cela leur laisse in fine plus de pouvoir d’achat à dépenser ailleurs ou plus de temps à passer en famille, à consacrer à une activité associative, sportive ou culturelle. Il ne faut pas oublier que celles-ci ont souvent lieu en semaine et une opportunité de faire ses courses le dimanche permettrait à beaucoup de Français de mieux les gérer.
Mais ce service supplémentaire ne pénaliserait-il pas les salariés qui travailleront le dimanche ? Certes, certaines personnes décident de renoncer à leur repos dominical. Mais cela ne se fait pas sans contrepartie puisqu’ils sont en général payés plus chers. De quel droit l’État peut-il empêcher des individus de travailler précisément le dimanche ou en soirée si cela représente pour eux la seule manière de gérer leurs projets personnels ?
La fin de l’interdiction ouvrirait d’ailleurs de nouvelles opportunités d’emplois notamment pour les étudiants et les jeunes travailleurs qui ont aujourd’hui tant de mal à mettre le « pied à l’étrier ».
Enfin, lever l’interdiction ne signifie pas que tous les magasins choisiront d’ouvrir le dimanche ou en soirée. Encore faut-il que toutes les conditions « gagnant-gagnant » soient réunies. Quand elles ne le sont pas, les magasins n’ont aucune raison d’ouvrir et l’interdiction actuelle est alors inutile. Lever l’interdiction ne revient pas à obliger d’ouvrir, de travailler ou d’acheter le dimanche.
Il est temps de libérer les salariés, les propriétaires de magasins et leurs clients et de les laisser « décider » au cas par cas s’il y a un intérêt, ou pas, à ouvrir le dimanche ou en soirée.
Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.