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Les niches fiscales sociales

Texte d’opinion publié le 26 février 2013 sur 24hGold.

À première vue, cela peut paraître saugrenu de mettre côte-à-côte les mots « niches fiscales » et « sociales. » Pourtant ce pourrait être là une des principales innovations du quinquennat de François Hollande. Si les média ont surtout relayé la proposition faite le 17 février sur Europe 1 par Didier Migaud, président de la Cour des Comptes, de fiscaliser les allocations familiales, le dialogue avec le journaliste Jean-Pierre Elkabbache est riche d’enseignement sur les probables politiques de réduction des dépenses publiques à venir à travers la fiscalisation des prestations sociales.

Revenons donc sur ce dialogue. Didier Migaud évoque le problème des comptes publics : « ce que nous avons pu observer dans nos différents rapports, c’est que pour redresser les comptes publics, il faut agir à la fois sur les recettes, c’est-à-dire sur les impôts et taxes, et également sur les dépenses. » Et d’expliquer : « sur les recettes ça veut dire effectivement mettre sur la table ce que l’on appelle un certain nombre de niches fiscales » enchaînant tout de suite en disant que « les prestations familiales, les allocations familiales, le fait qu’elles soient fiscalisées ou pas c’est effectivement un sujet qui peut être mis sur la table. »

Surpris que l’expression « prestations familiales » et « niches fiscales » soient si proches, Jean-Pierre Elkabbache demande une explication, un éclaircissement : « c’est une niche ?, c’est une niche fiscale ? » Ce à quoi Didier Migaud répond avec un léger temps d’arrêt : « on peut considérer en tout cas que c’est une prestation qui rentre dans les revenus et qui peut, d’une certaine façon, être fiscalisée. »

Un tournant dans les finances sociales françaises

Tout d’abord il faut rappeler que la niche fiscale s’appuie soit sur une dérogation qui permet de réduire ses impôts ou d’en être exonéré, soit sur un vide législatif qui permet d’échapper légalement à l’impôt. En outre, la niche fiscale représente toujours un manque à gagner pour l’État. La France compte environ cinq cents niches fiscales, savamment utilisées par les contribuables les mieux informés afin de conserver une partie plus importante de leurs revenus.

Ensuite, les prestations familiales, à savoir celles qui concernent la « naissance du jeune enfant » et « l’entretien des enfants », versées par la caisse d’allocations familiales (CAF) représentent un peu plus de 29 milliards d’euros. Sans trop entrer dans les détails, mais pour donner une idée des coûts sociaux, il faut préciser que la prestation d’accueil du jeune enfant représente 12,7 milliards d’euros bénéficiant à 2,2 millions de familles. Les allocations familiales proprement dites pèsent quasiment 12 milliards d’euros pour 4,7 millions de familles. L’allocation de rentrée scolaire se monte à 1,4 milliards d’euros pour 2,8 millions de bénéficiaires.

Toutes ces prestations sont maintenant dans le viseur de l’État. Car ces compléments de revenus sont exonérés d’impôt et aucune disposition législative, à ce jour, ne prévoit de les fiscaliser. C’est cet aspect des prestations sociales qui les rapproche de la niche fiscale. Si elles venaient à être considérées comme telles, nous assisterions à un tournant fondamental de la politique sociale qui permettrait in fine de réduire les dépenses publiques.

Une manne de 62 milliards d’euros

Il est alors fort à parier que les politiques français ne se cantonneront pas aux seules prestations familiales. La CAF verse aussi les prestations logement qui se montent à 15,7 milliards d’euros, les allocations aux adultes handicapés pour 7 milliards d’euros et le revenu de solidarité active pour 9,4 milliards d’euros. Les dépenses sociales de la CAF, qui bénéficient à 11,4 millions de français, se montent en réalité à un total de 62 milliards d’euros. Une vraie manne pour l’État qui pourrait dépenser moins.

On le voit, le concept de « niche fiscale sociale » est apparue dans le paysage fiscal français et ne risque pas d’en sortir. Très concrètement cela signifie que les aides sociales diminueront à proportion de leur fiscalisation. Le processus est inéluctable dans un État économiquement aux abois. Alors en ne niant pas que les prestations familiales soient des niches fiscales, Didier Migaud a bel et bien ouvert la boite de Pandore.

Sylvain Charat est docteur en histoire de l’Université Paris IV Sorbonne. Professeur d’Histoire à Détroit aux États-Unis de 1998 à 2002, il collabore entre 2002 et 2008 avec Alain Madelin, ancien ministre des Finances, à l’Assemblée Nationale puis au Fonds Mondial de Solidarité Numérique à Genève. En 2008, il rejoint le secteur privé et devient Business Development Manager en charge du Maghreb et de l’Afrique pour des entreprises françaises et britanniques. Il est aujourd’hui analyste des politiques publiques et collabore avec l’Institut de Recherches Economiques et Fiscales (IREF), Contribuables Associés ainsi qu’avec le think tank The Center for Vision and Values aux États-Unis.

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