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Haro sur les Marques : destructeur et contreproductif

Texte d’opinion publié le 15 février 2013 dans Le Temps.

Au nom de la santé publique, les pouvoirs publics multiplient les réglementations qui limitent les entreprises dans l’utilisation de leurs marques. Loin d’être efficaces sur le plan de la santé, elles détruisent de la valeur pour le consommateur.

De plus en plus de produits visés.

Le tabac est ainsi dans le collimateur des pouvoirs publics depuis quelques années. Le paquet dit « neutre » est devenu une réalité en Australie depuis décembre 2012. Il y est interdit aux fabricants d’utiliser des logos, dessins, couleurs ou tout autre signe distinctif pour faire référence à une marque et leur permettant de différencier leurs produits.

Cette politique est aussi envisagée en Nouvelle-Zélande ou au Royaume-Uni. Elle est à l’étude en France, tandis que les instances européennes discuteront de la mesure dans le cadre de la révision de la directive sur les produits du tabac.

Cette tendance ne se limite pas au tabac. Des images-choc sur les boissons alcoolisées sont proposées en Thaïlande et le gouvernement britannique mentionne l’emballage neutre lors de la consultation publique concernant sa nouvelle « stratégie » sur l’alcool. Le sujet est enfin évoqué au nom de la lutte contre l’obésité pour le fast food et un ensemble d’aliments gras ou sucrés, de boissons gazeuses, etc.

À n’en pas douter, si les pouvoirs publics continuent sur cette lancée, les consommateurs auront bientôt du mal à choisir non seulement leurs marques de cigarettes, de whisky, de bière ou de vin, mais aussi de chips, de colas, de confiseries et d’autres produits que divers groupes de pression pourraient jugés néfastes pour la santé.

Or, s’il est attrayant politiquement, un tel acharnement contre les marques oublie leur rôle économique incontournable.

Les marques permettent, en effet, avant tout aux consommateurs de gagner un temps précieux quand ils font leurs courses. La marque est, en réalité, un moyen efficace pour identifier plus facilement les produits, leur provenance (qui en est le fabricant ?) et certaines de leurs caractéristiques qu’il est difficile de juger avant de les avoir consommés. Elles donnent aussi la garantie que le produit recherché gardera une qualité constante dans le temps (en matière de goût, de texture, de durabilité, etc.).

Ceci explique pourquoi les entreprises attachent autant d’importance à leur marque et les soigne avec beaucoup d’attention. Elle leur permet, en effet, de se différencier de leurs concurrents et de gagner des parts de marché. En mesure de récolter les bénéfices liés à une meilleure réputation et à une meilleure image de marque, les fabricants sont alors incités à investir pour innover et améliorer sans cesse leurs produits. Dans un tel environnement de concurrence, ils ont intérêt à anticiper les préférences des consommateurs.

L’huile de palme préoccupe le consommateur ? Que ce soit fondé ou pas, des enseignes commerciales se sont en conséquence engagées à réduire son utilisation dans les produits de leurs marques. McDonald’s – célèbre pour ses hamburgers-frites – a dans la même logique lancé toute une gamme de salades pour mieux satisfaire une clientèle de plus en plus préoccupée par les questions de nutrition.

L’existence de marques bénéficie avant tout aux consommateurs qui se voient ainsi offrir des produits s’approchant au plus près de la qualité désirée et de leurs préférences. Sans marques commerciales, la diversification des produits n’aurait pas existé et en tant que consommateurs, nous serions en quelque sorte déboussolés, obligés de consacrer davantage de temps et d’efforts pour nous procurer les produits de tous les jours.

Mais ce n’est pas tout. La destruction des marques par la politique de l’emballage neutre pourrait être inefficace, voire néfaste, pour la santé.

Imaginons une telle situation. Deux cas de figures sont possibles. Soit les consommateurs restent capables d’identifier leurs produits préférés et ne changent pas de comportements : l’emballage neutre et l’interdiction des marques s’avère alors tout simplement inutiles. Soit les consommateurs en sont incapables et se détournent tôt ou tard des produits de marque, laissant aux fabricants le choix de baisser le prix (et la qualité) de leurs produits, ou de fermer boutique. Quel que soit le cas, la politique de destruction des marques aura alors débouché sur une baisse de prix des produits visés.

Or, une telle baisse favorise généralement une augmentation de la consommation des produits visés, soit un effet opposé à celui officiellement recherché.

L’expérience en Californie au début des années 1990 le confirme. Avec des prix de 20% à 50% moins élevés que les cigarettes de marques, les cigarettes « génériques » ou « sans marque » ont fait une percée avec des parts de marché passant de 11 à 40% entre 1988 et 1993. Résultat ? Augmentation du taux d’initiation au tabagisme parmi les 12-17 ans et absence de réduction perceptible dans le nombre des personnes arrêtant de fumer.

L’augmentation des taxes ne serait-elle pas une solution à ces effets pervers de l’emballage neutre?

Peut-être si le marché noir en matière de cigarettes n’était pas déjà dynamique et prospère, nourri par des taxes égales à 80% ou plus du prix du détail. Alourdir la charge davantage pourrait bien le faire exploser.

Or, la consommation de produits illicites, notamment dans le cas du tabac et de l’alcool, est reconnue pour être plus dangereuse pour la santé. Dans le cas des boissons gazeuses, aliments gras, produits sucrés, etc., le risque sera de voir les consommateurs se rabattre sur d’autres produits tout aussi, voire plus, caloriques. Dans tous les cas, les objectifs de santé sont compromis.

Tous les moyens de lutter contre le tabagisme, l’alcoolisme ou l’obésité semblent justifiés de nos jours. Y compris s’il faut y sacrifier les marques. Ce faisant les pouvoirs publics auront cependant détruit de la valeur sans pour autant régler le problème de santé.

Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et auteur de « Détruire les marques commerciales : une solution aux problèmes de tabagisme, d’alcoolisme et d’obésité ? »

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