Dans les médias

Trop d’entraves à l’innovation pharmaceutique en Europe

Des versions différentes de cet article ont été publiées dans la Revue Parlementaire de novembre 2008, L’Écho (Belgique), le 28 novembre 2008, et dans l’Agefi (Suisse), le 6 novembre 2008.

Le débat public tourne souvent autour des profits des laboratoires pharmaceutiques et il n’est guère populaire d’avoir un propos qui semblerait se porter en leur faveur. Mais pourtant, doit-on s’interdire de se demander si le fait de les pénaliser régulièrement et de renchérir l’innovation ne risque tout de même pas d’étouffer in fine leurs efforts dont on attend pourtant les remèdes de demain ?

Car au-delà des effets que pourraient avoir la crise actuelle sur les investissements en R&D dans ce secteur, cette innovation se heurte à plusieurs obstacles structurels.

D’une part, les coûts de l’innovation sont en hausse et les investissements nécessaires pour la mise au point et la commercialisation d’une nouvelle molécule ont fortement augmenté. Étalés sur une période de 12-13 ans, ils seraient équivalents en moyenne à environ un milliard d’euros.

Cette hausse des coûts de l’innovation est notamment due au fait que l’accès des nouveaux produits au marché est rendu de plus en plus difficile. En effet, sous l’impulsion de ce qu’on appelle aujourd’hui le « principe de précaution », des politiques d’approbation de plus en plus exigeantes, lourdes et coûteuses s’appliquent aux produits innovants. Des échantillons plus larges, des délais plus longs et des formalités administratives plus nombreuses renchérissent inévitablement les projets d’innovation des laboratoires. Par exemple, le coût des essais cliniques indispensables pour obtenir l’approbation des pouvoirs publics est ainsi estimé avoir quintuplé entre 1980 et 2000. Et cette tendance ne semble pas s’inverser.

Selon un spécialiste de l’Organisation européenne pour la recherche et le traitement du cancer, la directive européenne votée en 2001 aurait, à elle seule, augmenté les coûts des essais en Europe de 85 %. Cela a contribué à faire chuter leur nombre de 38 essais, initiés avant la réforme, à seulement 7 après la mise en place de celle-ci. Des baisses de 25 % en Suède, de 60 % en Irlande et de 90 % en Pologne ont aussi été rapportées concernant les lancements de nouveaux tests cliniques suite à l’entrée en vigueur de la directive.

D’autre part, une fois que les nouveaux traitements ont réussi à franchir ces obstacles d’accès au marché, d’autres politiques « prennent le relais » en pénalisant leur libre commercialisation par les entreprises innovantes, leurs prix et leur utilisation. Il existe ainsi toute une panoplie de mesures liées à la maîtrise publique des dépenses de santé en Europe sous la forme de contrôles des prix, de systèmes de reference pricing, d’objectifs quantitatifs limitant les prescriptions des médecins, etc. La maîtrise des dépenses en médicaments est à cet égard l’une des priorités des pouvoirs publics.

En plus d’introduire un biais dangereux où les professionnels de santé peuvent être poussés à privilégier une baisse comptable des coûts des régimes d’assurance maladie aux dépens de la santé de leurs patients, la conséquence inévitable de ces politiques est de réduire les incitations à innover. Des marges de profits réduites et des revenus moindres en Europe ont également leur impact négatif sur l’innovation future et n’incitent certainement pas à investir davantage en R&D !

Enfin, les revenus des laboratoires sont souvent considérés comme un réservoir inépuisable où les États piochent volontiers en cas de besoin. Il s’agit à l’évidence de ressources dont les entreprises innovantes sont privées et qu’elles ne pourront plus dédier à leur R&D. En Allemagne, par exemple, des « rabais » sont imposés aux laboratoires, représentant plus de 1,2 milliard d’euros en 2007, soit près de 27 % de leurs investissements en R&D !

En France, autre grand marché du médicament en Europe, les compagnies pharmaceutiques sont, quant à elles, soumises à plusieurs taxes spécifiques en plus de la fiscalité générale commune à toutes les entreprises. Elles ont représenté 831 millions d’euros en 2006, soit un montant supérieur à l’ensemble de leurs investissements industriels dans le pays (818 millions d’euros) ! Sans lien avec les résultats des laboratoires, le montant de ces taxes dépend paradoxalement des déficits du régime d’assurance maladie : plus ces derniers sont élevés, plus on ponctionne dans leurs revenus. En dépit de la baisse de son chiffre d’affaires de 2%, un laboratoire aurait ainsi vu ses taxes augmenter de 42 % en 2005; pour un autre le fardeau fiscal se serait envolé de 235 % en 2006 !

Comment imaginer que des prélèvements et des dispositions fiscales aussi arbitraires ne finiront pas par pénaliser l’industrie pharmaceutique et par réduire les capacités des laboratoires à innover ?

Dans ces conditions d’obstacles structurels à plusieurs niveaux, faut-il s’étonner que le nombre de molécules lancées par les laboratoires européens ait été divisé par deux au cours des vingt dernières années ? Il est ainsi passé en moyenne de 97 molécules entre 1988 et 1992 à 48 entre 2003 et 2007.

L’innovation pharmaceutique s’est d’ailleurs orientée de plus en plus vers les États-Unis où le marché et les prix des médicaments sont traditionnellement moins réglementés. Mais cette situation plus favorable à l’innovation pourrait bien changer et l’innovation dans ce pays pourrait se trouver pénalisée à son tour, si des politiques concernant le système de santé, similaires à celles en Europe, sont mises en place avec l’arrivée au pouvoir de Barack Obama. Un tel changement Outre-Atlantique fera ressentir de manière encore plus importante les effets néfastes des obstacles européens actuels qui ralentissent l’innovation pharmaceutique.

Il ne faut pas oublier qu’en dépit de ses bénéfices, cette innovation ne doit pas être considérée comme acquise. Elle est par nature une activité risquée et ne peut se poursuivre si les entreprises innovantes se trouvent régulièrement pénalisées. Ce n’est pas le rôle des pouvoirs publics d’assurer les profits des laboratoires, mais à trop vouloir les taxer et en ignorant les coûts de ces politiques, on risque de porter un coup fatal à l’innovation de demain!

Valentin Petkantchin, directeur de la recherche, Institut économique Molinari

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