Dans les médias

Les effets pervers de la baisse des tarifs du roaming imposée par l’Union européenne

Article publié dans le journal suisse Le Temps le 3 octobre 2007. Une version de cet article a aussi été publiée dans La Libre Belgique le 17 juillet 2007.

Le plafonnement bureaucratique des prix du roaming (appelés aussi prix d’itinérance) dans l’UE – allant à l’encontre du libre marché – est un dangereux précédent qui nuira à terme par moins de concurrence et des réseaux de moindre qualité que cela n’aurait été le cas autrement.

Suite au plafonnement des prix européens du roaming international (appelés aussi prix d’itinérance), imposé par l’UE, les opérateurs mobiles en Suisse, Swisscom en premier, ont décidé de baisser, sans y être contraints par la législation européenne, leurs propres tarifs. Bien que les consommateurs puissent dans l’immédiat profiter d’appels moins chers, un tel plafonnement bureaucratique des prix du roaming dans l’UE – allant à l’encontre du libre marché – est un dangereux précédent et leur nuira à terme par moins de concurrence et des réseaux de moindre qualité que cela n’aurait été le cas autrement.

Mais Viviane Reding, membre de la Commission européenne et responsable des Télécommunications, n’a-t-elle pas au contraire déclaré que grâce aux contrôles des prix du roaming, le « marché intérieur européen sera enfin vraiment sans frontières » pour ce qui est de la téléphonie mobile? Pourquoi alors ne pas recourir en Suisse à ce même type de réglementation?

Des voix se sont d’ailleurs élevées en Suisse pour suivre le même exemple. Monsieur Prix a réclamé que le Conseil fédéral intervienne pour que les Suisses puissent bénéficier de baisses de prix comme celles décidées au sein de l’UE. Une « Pétition pour de justes prix en roaming international », appuyée par plusieurs organisations de consommateurs et médias de consommation, a été lancée avec le même objectif. Il s’agit, en effet, de faire pression sur le gouvernement pour que les prix européens du roaming soient aussi imposés aux opérateurs suisses.

Cependant, la déclaration venant de la part de Bruxelles – censée protéger la libre concurrence – est doublement surprenante et inexacte. Elle ne devrait pas nous faire ignorer la nature et les effets pervers de tels contrôles bureaucratiques des prix.

D’une part, l’absence dans les pays membres d’un authentique marché des bandes de fréquences radioélectriques – en étroite liaison avec celui de la téléphonie mobile – rend les propos de Viviane Reding absurdes et il est évident que le plafonnement des prix n’apporte pas de solution à cet égard. Les fréquences sont en effet attribuées de manière administrative par les différents gouvernements nationaux alors qu’elles sont indispensables pour tout opérateur mobile. Parler alors d’un «marché» européen dans le domaine de la téléphonie mobile, c’est comme si on prétendait avoir accompli un «marché» du PC tout en ayant une fourniture et une fabrication nationalisées des microprocesseurs.

D’autre part, comment une mesure bureaucratique totalement contraire à la nature même du marché, où les prix résultent du jeu de l’offre et la demande, peut-elle accomplir un tel exploit?

Pour la première fois, l’Union européenne impose un contrôle des prix de détail: des « eurotarifs » plafonds de 49 centimes d’euro hors taxes pour les appels effectués à l’étranger et de 24 centimes pour les appels reçus en dehors du pays de résidence ont ainsi été prévus. Une baisse des plafonds est également planifiée d’ici à 2009.

En tant que clients, on pouvait certes regretter que les prix à l’international soient plus élevés que les prix nationaux. Mais contrairement à une authentique baisse des prix provenant d’une concurrence accrue dans le marché, le fait d’imposer réglementairement des prix maxima – comme l’ont fait les instances européennes – a ses propres effets pervers et revient à mettre la charrue avant les boeufs.

L’imposition de tels prix rend la production et les investissements dans le service réglementé moins rentables. Des ressources et des facteurs de production sont incités à quitter le secteur où un tel contrôle des prix est exercé. La conséquence directe est soit de créer une pénurie du bien ou service réglementé, soit d’empêcher ou de retarder son amélioration. De manière générale, bien que des prix plus bas puissent profiter à certains consommateurs dans l’immédiat, ils finissent – en pénalisant les producteurs – par porter préjudice à terme à l’ensemble des consommateurs.

Ainsi, des prix uniformes du roaming au sein de l’UE profiteront, certes, à certains consommateurs, y compris en Suisse, qui téléphoneront à l’étranger. Cependant, le plafonnement bureaucratique des prix risque de retarder le déploiement, l’augmentation des capacités ou le remplacement des réseaux des opérateurs mobiles notamment dans les régions éloignées ou dans les endroits où il est plus coûteux de le faire et où l’itinérance s’avère une source importante de revenus.

Plus grave. Au lieu d’intensifier la pression concurrentielle dans la téléphonie mobile européenne, la nouvelle réglementation, au contraire, la diminuera.

D’abord, elle risque de provoquer une consolidation artificielle de l’industrie en excluant du marché les opérateurs les plus sensibles aux contrôles des prix.

Ensuite, le plafonnement bureaucratique des prix d’itinérance affecte aussi des secteurs connexes susceptibles d’offrir les mêmes services de communication. Par exemple, les technologies de Voix par Internet (VoIP) et de Wi-Fi permettent des communications mobiles sans fil au niveau local et utilisant ensuite les différents types de réseaux filaires.

Déjà disponibles dans plusieurs endroits, ces technologies peuvent fournir des alternatives au téléphone portable traditionnel pour appeler dans le monde entier. Des entreprises à l’image de Mobiboo – un des fournisseurs de services VoIP au Royaume-Uni – ou de Netgear et Skype, n’hésitent pas à faire leur promotion en mettant en avant les économies que les consommateurs peuvent réaliser par rapport aux appels mobiles internationaux plus chers.

Ces alternatives concurrentes, en développement ou à l’étude, et toutes les autres qui pourraient être commercialisées un jour risquent d’être rendues moins attractives par le contrôle vers le bas des prix. Ainsi, à terme les consommateurs peuvent être privés d’options dont ils auraient pu bénéficier autrement.

Le contrôle des prix n’est pas la solution aux tarifs d’itinérance élevés. Si les instances européennes voulaient effectivement accomplir un marché sans frontière, elles auraient dû s’attaquer aux barrières à l’entrée qui subsistent dans les différents pays membres au lieu de recourir à une mesure «à la soviétique» comme le plafonnement des prix.

Il s’agit d’une mesure qui est d’autant plus dangereuse qu’elle crée un précédent pour d’autres contrôles possibles du même type de la part des instances européennes mais aussi des autorités réglementaires de pays en dehors de l’UE, comme l’illustre la campagne en leur faveur en Suisse. Ce n’est pas le marché, mais le contrôle des prix, qui est en train finalement de devenir « sans frontières ».

Valentin Petkantchin, directeur de la recherche, Institut économique Molinari

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