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Faut-il avoir peur de Mittal?

Article publié par La Libre Belgique le 13 février 2006.

« Il faut sauver le soldat Arcelor !» C’est dans un climat de quasi-hystérie que le géant de l’acier Mittal s’essaye à une offre publique d’achat sur son concurrent. La terminologie guerrière employée pour dénoncer l’opération donne l’impression que la famille Mittal commet un hold-up. Pourtant, une OPA, aussi « hostile » soit-elle, n’est qu’une proposition d’achat. Si les actions changent de mains, c’est que les actionnaires actuels auront accepté de les vendre. Qu’y a-t-il alors de si alarmant dans cette opération ? « Un fleuron de l’industrie européenne est en danger !», nous répète-t-on sans plus d’explications. La force rhétorique du propos ne compense pas sa faiblesse sur le fond.

Puisqu’on fait grand cas de l’origine indienne des actionnaires majoritaires de Mittal, un « danger » présumé est apparemment que les titres de propriété d’Arcelor ne restent pas dans des mains européennes. Cependant, si des actionnaires d’Arcelor tiennent vraiment à ce que cette firme reste européenne, il leur est tout à fait possible de refuser la vente à des étrangers. Et si d’autres Européens sont animés par un tel « patriotisme économique », il leur est possible de devenir actionnaires d’Arcelor, en surenchérissant sur l’offre de Mittal Steel. S’ils ne le font pas, c’est que la « nationalité » d’Arcelor leur importe peu ou ne vaut pas cette somme à leurs yeux.

Une autre raison pour laquelle «un fleuron de l’industrie européenne» serait « en danger » est la crainte que Mittal mette à mal l’entreprise qu’il achèterait. Résumant cette peur, le Premier ministre français Dominique de Villepin a jugé sur France 2, le 31 janvier, que l’offre manquait d’un « projet industriel ». Si le succès d’une entreprise ne peut pas être garanti à l’avance, il ne faut pas oublier que M. Mittal engage ses propres biens dans cette affaire, de sorte que c’est lui qui subira personnellement l’essentiel des pertes financières en cas d’échec. Il a donc tout intérêt à ce qu’Arcelor prospère de plus belle une fois sous son contrôle, et soit réellement un fleuron de l’industrie européenne et mondiale.

En revanche, on peut émettre des réserves quant aux conséquences d’une intervention politique sur ce dossier. Tout d’abord, on n’a aucune raison de penser que les décideurs politiques, qu’ils soient Français, Luxembourgeois ou Européens, sont des spécialistes de la production d’acier ni même de la gestion d’entreprise en général. Dans une économie développée où la division du travail est intense, il est pour le moins présomptueux de la part de personnes n’ayant aucune expérience dans le domaine sidérurgique de porter un jugement tranché sur la qualité du projet industriel de Mittal.

Plus important encore est le fait que les décideurs politiques n’engagent pas leurs propres ressources dans cette opération. Par conséquent, leur approche du risque est fortement biaisée. En effet, s’ils parviennent à empêcher l’OPA, ils ne perdront pas un euro à titre personnel, mais ils auront lésé les milliers d’actionnaires d’Arcelor qui auraient été bien aises de vendre leurs titres à bon prix. En outre, les gains de productivité et les synergies qui auraient été déployées par le nouveau groupe n’auront pas lieu. Les baisses de prix auxquelles ils auraient conduit et dont les consommateurs auraient profité ne se matérialiseront pas.

Mais toutes ces pertes pourront passer inaperçues du fait de leur étalement dans l’espace et le temps. N’étant que des manques à gagner, leur existence même pourra être ignorée ou mise en doute. Les décideurs politiques n’auront donc pas intérêt à en tenir compte, comme si ces manques à gagner n’existaient pas.

A l’inverse, si l’OPA a lieu et qu’elle échoue, provoquant des pertes financières pour Arcelor et des licenciements massifs, ce sont bien les décideurs politiques qui risqueront d’être montrés du doigt, car les effets seront matérialisés, concentrés et donc bien visibles. Que n’ont-ils pas, dira-t-on, prévenu la catastrophe en entravant l’OPA! Même si ce risque est faible, c’est le seul en réalité qui menace les décideurs politiques. Ils auront donc intérêt à empêcher l’OPA, accordant une importance disproportionnée au risque de son échec et négligeant complètement le risque très probable évoqué précédemment, celui d’empêcher des créations de richesse profitant à des millions d’Européens, actionnaires et consommateurs. C’est là que réside le danger.

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