Un antidote contre l’idée que la délocalisation est mauvaise
Article paru dans l’Agefi le 19 juillet 2004.
Travailleur américain contre travailleur indien ou chinois: voilà un débat qui sévit depuis quelques mois aux États-Unis où le Congrès a récemment décidé de refuser les projets gouvernementaux aux entreprises qui choisiraient de délocaliser une partie de leurs activités à l’étranger.
Travailleur américain contre travailleur indien ou chinois: voilà un débat qui sévit depuis quelques mois aux États-Unis où le Congrès a récemment décidé de refuser les projets gouvernementaux aux entreprises qui choisiraient de délocaliser une partie de leurs activités à l’étranger. La logique voudrait que le Congrès accompagne cette décision d’une loi interdisant à des sociétés comme Toyota, Mercedes-Benz ou encore Nissan de poursuivre leurs activités sur le marché américain. Ces sociétés disposent, en effet, de sites de fabrication de voitures aux États-Unis, mais le Congrès n’a pas osé, jusqu’ici, proposer de renvoyer dans leur pays natal ces entreprises étrangères.
Le problème de la délocalisation impliquerait que, quelles que soient les économies que réalisent les consommateurs en achetant des biens moins chers, elles ne pourraient compenser – et de loin – la perte de revenu subie par les travailleurs qui ont perdu leur emploi du fait de cette délocalisation, ou par ceux qui ont perdu un revenu potentiel de l’investissement qu’ils n’ont pas pu réaliser.
Ce que les opposants à la délocalisation affirment, en fait, c’est que les économies réalisées par le consommateur qui accède à des biens meilleur marché importés de pays où la main-d’œuvre est moins chère sont largement inférieures aux pertes dues à la disparition au sein de l’économie de divers stades de production de valeur ajoutée. Ils doivent dans ce cas prouver que le processus de production dans une économie n’a d’autre but que lui-même, c’est-à-dire qu’il ne vise pas la satisfaction des consommateurs.
Une courte leçon d’économie autrichienne, en la personne de Carl Menger, permet de comprendre que, contrairement à ce que beaucoup d’économistes ont pu affirmer, la valeur d’un produit final ne résulte pas, en effet, d’une série de valeurs apparues aux différents stades de production et ajoutées les unes aux autres. Bien au contraire, la valorisation des facteurs de production trouve sa source de façon ultime dans la valeur que les consommateurs donnent au produit final. Ce sont les consommateurs qui, en valorisant un bien, déterminent indirectement la valeur de chaque facteur de production et de chaque niveau de production.
La valeur faible d’un baril de pétrole extrait mais non raffiné ne provient pas du fait qu’il n’est pas utilisable en tant que tel mais des services qu’on attend de lui une fois qu’il le sera. L’imputation de la valeur ne se développe pas du haut vers le bas, des facteurs vers le produit final mais de façon totalement inversée. Cette leçon d’économie est l’antidote nécessaire contre l’idée qu’une délocalisation est dangereuse pour une économie. Les opposants à la délocalisation affirment, en fait, que la source ultime de la richesse se trouve dans les coûts de production. Plus ceux-ci sont élevés, plus la société est supposée devenir riche.
L’application du principe de Menger, en revanche, indique que lorsqu’il existe un moyen moins coûteux de faire un produit, soit par l’utilisation de capital ou par le versement de plus faibles salaires, alors la valeur des facteurs utilisés pour ce bien change également. Une économie ne gagne rien à forcer le prix vers le haut de certains facteurs de production afin que leurs propriétaires puissent réaliser un gain. Il s’agit alors ni plus ni moins de protectionnisme. Par une telle action, l’économie entraîne au contraire une baisse du niveau de vie et une hausse du chômage.
Cécile Philippe est la directrice de l’Institut Economique Molinari