A la UneNotes et baromètresPublications

Les impôts de production, un mal français

Les entreprises sont soumises à des impôts et charges au titre de leur activité. Ils sont constitués de deux grandes familles : l’impôt sur les sociétés (IS) et les impôts de production dits « autres ». La France pâtit d’un recours massif à ces impôts de production qui représentent l’essentiel de la fiscalité sur les entreprises, bien avant l’impôt sur les sociétés.

Selon Eurostat, les impôts de production autres représentaient 109 milliards d’euros en 2018 (rubrique D29). L’essentiel de ces impôts porte sur les entreprises, avec 75 milliards d’euros. C’était deux à trois fois plus que les recettes nettes d’impôt sur les sociétés (27 milliards d’euros en 2018 et 31 milliards pour 2019).

Les impôts de production représentaient le même montant en France que dans 23 pays de l’UE additionnés, Allemagne comprise.

En relatif, les impôts de production « autres » représentaient 4,6 % du PIB, dont 3,2 % payés par les entreprises, contre 2,4 % dans l’UE à 27, dont 1,6 % payés par les entreprises. Ils étaient 7 à 8 fois plus élevés en France qu’en Allemagne avec 0,7 % du PIB, dont 0,4 % sur les entreprises. Ces impôts regroupent notamment des taxes sur la masse salariale, sur l’outil de production, sur la valeur ajoutée voire sur le chiffre d’affaires.

Ils contribuent négativement à l’attractivité de la France, en freinant par exemple le développement de son tissu de PME et d’ETI par rapport à nos voisins allemands[1].

Contrairement à l’IS, assis sur les bénéfices, les impôts de production reposent sur des assiettes en amont du résultat.

Leurs assiettes dépassent la seule création de richesse relevant de l’entreprise. Elles n’offrent pas d’indications sur la performance et la capacité contributive des acteurs économiques, ce qui rend ces impôts « insensibles à la situation financière des entreprises »[2].

Ce type de fiscalité est particulièrement « distorsive eu égard à la grande variabilité des ventes réalisées selon les différents secteurs et l’organisation productive des filières », comme l’a rappelé un groupe de travail présidé par Yves Dubief et Jacques Le Pape[3].

Ces impôts génèrent une multitude d’effets indirects. Ils réduisent la compétitivité et fragilisent du tissu productif lorsque l’impôt n’est pas reporté vers les consommateurs[4].

Les impôts de production touchent à ce titre « plus particulièrement les secteurs exposés à la concurrence internationale »[5]. Un impôt tel que la C3S « réduit la compétitivité des entreprises jouant comme une taxe sur les exportations et une subvention aux importations », « tour de force » qu’aucune autre taxe ne réussit, comme le souligne une note récente du Conseil d’analyse économique[6].​

Les impôts de production sont aussi connus pour favoriser l’intégration verticale, en incitant les acteurs à se concentrer afin de limiter les empilements de fiscalité[7].

Une des grandes évolutions françaises des Trente Glorieuses avait justement consisté à réduire la dépendance aux impôts de production.

Comme l’explique l’économiste Jean-Marc Daniel, tout le monde était conscient des inconvénients des impôts de production « il est admis après 1954 par tous les fiscalistes … que les taxes sur le chiffre d’affaires ont fait leur temps et qu’il faut qu’elles… disparaissent »[8].

D’où l’instauration de la TVA, invention française qui sera imitée dans le monde entier. La TVA a le grand avantage d’être « neutre au regard des méthodes et de l’organisation de la production ; neutre quels que soient la forme et le nombre des intermédiaires des circuits de distribution ; neutre enfin quels que soient les choix des consommateurs face à des produits de même type »[9].

Dès 1954, Maurice Lauré avait imposé cette nouvelle forme de fiscalité moderne, permettant ainsi de limiter le recours aux impôts de production, collectés par les entreprises sur une partie de l’activité qui ne leur incombe pas.

Si cette voie a été suivie massivement chez nos voisins, qui ont profité de la montée en puissance de la TVA pour réduire leurs impôts de production, tel n’a pas été le cas en France. La France a toujours recours à une fiscalité de production significative et hors normes. Cela pèse sur sa compétitivité et contribue à la persistance d’un chômage plus élevé que chez ses voisins.

NOTES

[1] Voir par exemple COE REXECODE (2018), « Le poids et la structure des prélèvements obligatoires sur les entreprises industrielles »Document de travail n°68, mai 2018, 106 pages.

[2] GUERINI Mattia, GUILLOU Sarah, NESTA Lionel, RAGOT Xavier, SALIES Evens (2018), « Impôt sur les sociétés : état des lieux et effets différenciés de la réforme », OFCE Policy brief 38, 16 octobre, page 1.

[3] Groupe de travail présidé par DUBIEF, Yves et LE PAPE, Jacques (2018), « La fiscalité de production, Document de consultation », Ministère de l’économie et des finances, avril 2018, page 15.

[4] L’analyse montre que le contribuable « statutaire » ou « juridique » est rarement celui qui assume l’impôt d’un point de vue économique. Comme le soulignent Kotlikoff et Summers, « la reconnaissance du fait que la charge de l’impôt n’est pas nécessairement supportée par ceux sur lesquels elle est perçue » constitue une « contribution distinctive de l’analyse économique ». Dès 1840, Jean-Baptiste Say notait que « L’impôt que le producteur est obligé de payer fait partie de ses frais de production … Et comme il ne peut continuer à produire qu’autant que tous ses frais de production se trouvent remboursés, il faut bien qu’il augmente le prix de ses produits ; et de cette manière fasse supporter au moins une forte partie de l’impôt à ses consommateurs ».

[5] GUERINI Mattia, GUILLOU Sarah, NESTA Lionel, RAGOT Xavier, SALIES Evens (2018), « Impôt sur les sociétés : état des lieux et effets différenciés de la réforme »OFCE Policy brief 38, 16 octobre, page 1.

[6] MARTIN Philippe et TRANNOY Alain (2019), « Les impôts sur (ou contre) la production », notes du conseil d’analyse économique n° 53, juin 2019, page 9.

[7] L’OCDE met en garde périodiquement les pays continuant de s’appuyer sur des taxes sur le chiffre d’affaires. S’agissant du Brésil, elle écrivait par exemple en 2014 : « Les contributions supplémentaires prélevées sur le chiffre d’affaires … ne peuvent qu’accentuer les distorsions induites par la fiscalité des sociétés, en modifiant l’intégration de la chaîne de valeur dans le sens d’une intégration verticale plus poussée ». OCDE (2014), Études économiques de l’OCDE : Brésil 2013, 29 août 2014, page 32.

Pour une estimation d’effet cascade français voir MARTIN Philippe et TRANNOY Alain (2019), « Les impôts sur (ou contre) la production », Les notes du conseil d’analyse économique, n° 53 juin 2019 page 8.

Pour une analyse théorique voir ALFARO Laura, CONCONI Paola, FADINGER Harald et NEWAMAN Andrew F. (2014), « Do Prices Determine Vertical Integration ? », NBER Working Paper N°16118 révisé en février 2014 ou BERLINGIERI Giuseppe, PISCH Frank et STEINWENDER Claudia (2019), « Organizing Global Supply Chains: Input Cost Shares and Vertical Integration », NBER Working Paper N°25286 révisé en avril 2019.

[8] DANIEL, Jean-Marc Daniel (2017), Les impôts : Histoire d’une folie Française, Tallandier, 224 pages.

[9] DELORME, Guy (2000). De Rivoli à Bercy : Souvenirs d’un inspecteur des finances 1952-1998, Institut de la gestion publique et du développement économique.

20200610-LePointSur-les-Impots-de-production Télécharger la version pdf de cette note

Vous pourrez aussi aimer

Bouton retour en haut de la page