Dans les médias

Sanctionner, renoncer et se recentrer

Texte d’opinion publié le 7 décembre 2018 dans La Tribune.

Le mouvement des gilets jaunes montre que les raisons du mal-être sont profondes et que les remèdes classiques ne fonctionnement plus. Que faire?

Dans une société civilisée, les exactions, les incendies, les vols, les destructions ainsi que toutes les autres violences physiques et matérielles ne devraient pas être acceptées. Elles devraient être sanctionnées moralement, par tous ceux qui croient au règlement pacifique des conflits, et par les autorités. Il ne s’agit pas de minimiser la peine, la peur ou l’exaspération de ceux qui manifestent depuis plusieurs semaines, mais de rappeler que la résolution consensuelle et pacifique des conflits est une clef du vivre ensemble. C’est dans ce cadre que le renoncement du gouvernement à des réformes inutiles, complexes et coûteuses permettra un recentrage nécessaire autour du vrai enjeu, la baisse de la dépense publique.

Il faut expliquer la paix

On oublie trop souvent que c’est un véritable miracle de pouvoir sortir de chez soi sans craindre que quelqu’un vous cherche des ennuis voire d’être assassiné par un rôdeur. Plus encore, c’est un accomplissement sans précédent que de parvenir à coopérer avec de parfaits étrangers. Grâce à nos règles morales, nos conventions, nos institutions, nous sommes en mesure de dépasser nos instincts tribaux privilégiant les liens du sang. Cela nous permet d’élargir nos loyautés à des groupes beaucoup plus larges allant jusqu’à la Nation, voire plus loin. Dans un grand nombre de cas – notamment dans les échanges commerciaux internationaux -, nos loyautés sont mondiales. Bref, dans le règne animal, nous sommes une exception, comme le souligne à juste titre Steven Pinker. La violence est naturelle et c’est donc la paix qu’il faut expliquer. Quand on en bénéficie, on devrait veiller à la protéger en comprenant justement ce qui est important à sa préservation.

L’un de ces éléments, c’est l’emploi des forces de l’ordre pour cesser la violence physique, tout en permettant à la violence verbale de s’exprimer. C’est faire en sorte que les gilets jaunes puissent clamer leur exaspération face à un pouvoir d’achat en berne, sans que cela dégénère dans la rue. Car qui en France peut nier qu’il y a un problème de pouvoir d’achat ? Comment certains peuvent-ils encore défendre l’idée qu’il est possible d’augmenter les taxes ? Dans un pays champion de la fiscalité sur le salarié moyen, il est clair que nos pouvoirs publics détiennent la palme de l’optimisation fiscale. Il n’y a plus de marge pour augmenter les prélèvements obligatoires. Les déplacer crée des mécontents et réduit les rentrées fiscales, en diminuant encore davantage les incitations à créer de la richesse.

La mauvaise idée du prélèvement à la source

Par conséquent, les récents renoncements fiscaux du gouvernement Philippe sont de bon augure. Ils sont sans doute insuffisants. Pensons à ce qui risque de se passer en janvier avec la mise en place du prélèvement à la source et une opinion publique chauffée à blanc. Mauvaise idée dès le départ, cette réforme l’est encore plus aujourd’hui. Quand nous allons recevoir nos nouvelles fiches de paie et constater visuellement – en l’absence d’une remise en ordre des dépenses publiques – l’importance du fardeau fiscal, la colère risque de gagner encore en intensité.

Véritable serpent de mer, le prélèvement à la source a été appliqué en France de 1940 à 1948 avant d’être abandonné en raison de sa complexité. Près de vingt ans plus tard, Michel Debré avait lancé une initiative en faveur de sa réintroduction en 1966. Elle avait été abandonnée suite à l’hostilité des organisations syndicales à l’égard de cette mesure réduisant facialement les salaires nets. Valery Giscard d’Estaing a été tenté, lui aussi, par la démarche en 1973. À nouveau, le gouvernement recula de peur que le prélèvement à la source n’entraîne des revendications généralisées de la part de salariés qui auraient pu considérer, à la lecture de leur feuille de paie, que leur pouvoir d’achat était en berne. Plus proche de nous, Thierry Breton avait travaillé sur la question en 2007, tout comme Jean-Marc Ayrault en 2013, avant que Manuel Valls remette le sujet en selle en 2015. Le président Emmanuel Macron a hérité d’un cadeau empoisonné de l’ère Hollande. Il ferait bien d’y renoncer pour se recentrer…

Renoncer n’est pas capituler

Car renoncer n’est pas capituler mais, au contraire, revisiter ses priorités et modes d’actions. Le mouvement des gilets jaunes montre que les raisons du mal-être sont profondes et que les remèdes classiques ne fonctionnement plus. La méthode traditionnelle, le déplacement de fiscalité entre catégories de contribuables, s’est enrayée. Il va falloir traiter différemment le mal français, trop de dépenses publiques, trop de charges et un Etat qui vit à crédit. C’est avant tout parce que nous avons choisi de confier la protection sociale à un monopole coûteux. Mieux payé que le Suédois ou le Danois, le salarié moyen français dispose de 21 % de pouvoir d’achat en moins que le premier et de 33 % en moins que le second. À elles seules, les charges sociales (28.039 euros pour un salarié moyen, 1er rang de l’UE) représentent plus que le pouvoir d’achat réel (24.582 euros, 11e rang).

Cette façon de faire est unique. Elle réduit par ailleurs considérablement les capacités d’action de l’Etat, dont les ressources sont diminuées à due proportion de celles accaparées par la protection sociale. La situation est d’autant plus tendue que notre système coûteux ne délivre plus ses promesses : les retraites et les soins de santé sont en voie de rationnement administratif. Les « assujettis » se rendent compte que le rapport coût/qualité n’est plus au rendez-vous. Première de l’Union européenne en taux d’imposition réel du salarié moyen, la France n’est que 12e en termes de santé perçue et de satisfaction vis-à-vis de la vie.

Il est donc urgent que le gouvernement revisite ses priorités et modes d’actions. Il est l’indispensable de baisser la dépense publique et les impôts, afin de redonner du pouvoir d’achat aux Français et des marges de manœuvre financières à l’Etat. Pour cela, le gouvernement devrait renoncer aux réformes inutiles et coûteuses pour se mettre en ordre de marche pour baisser la dépense publique, en s’appuyant plus sur les mécanismes concurrentiels qui fonctionnent chez nos voisins. C’est ce qui permettra d’annoncer une baisse radicale de la fiscalité et de restituer du pouvoir d’achat aux Français.

Cécile Philippe est présidente de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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