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La réduction du déficit de l’État n’est pas pour 2019

Texte d’opinion publié le 27 novembre 2018 dans La Tribune.

La dernière étude publiée par l’Institut économique Molinari montre que l’administration centrale française a vécu à crédit 47 jours l’an passé. Elle épuisait toutes ses ressources dès le 15 novembre, un mois avant les autres États de l’Union européenne, équilibrés jusqu’au 13 décembre. Au sein de l’Union européenne, elle figurait dans le trio des États les plus déséquilibrés avec la Pologne et la Roumanie, épuisant leurs recettes respectivement les 10 et 13 novembre. Cette contreperformance est inquiétante à de multiples titres.

Tout d’abord, elle est exceptionnellement longue. Depuis 1980, tous les budgets ont été déséquilibrés, ce qui atteste d’une incapacité structurelle à rééquilibrer les comptes, source d’une grande fragilité dans un pays extrêmement centralisé. Si, dans son histoire, la France a connu bien des vicissitudes budgétaires, il est rare, si ce n’est exceptionnel, de trouver des périodes déficitaires aussi longues sans qu’en même temps elles soient associées à des périodes de conflits. Autrement dit, c’est inédit en période de paix.

Une situation qui s’aggrave depuis 1980

D’autre part, la tendance n’est pas à l’amélioration. La date à laquelle toutes les ressources de l’État sont consommées a avancé de 1,25 jour par an en moyenne depuis 1980. L’administration centrale n’a plus la capacité d’être un « stabilisateur automatique ». Elle laisse dériver ses déficits en temps de crise et ne les résorbe jamais en période de reprise.

Depuis quarante ans, chaque phase de « consolidation » est même plus précaire que la précédente. L’embellie de la fin des années 1970 avait permis d’équilibrer les comptes. Depuis, cette configuration ne s’est jamais reproduite. Les phases d’amélioration sont systématiquement associées à des déséquilibres toujours plus importants : une vingtaine de jours de déficit à la fin des années 1980, une trentaine de jours à la fin des années 1990, une quarantaine de jours au milieu des années 2000 pour culminer à une cinquantaine de jours aujourd’hui.

Une façon de faire radicalement différente de nos voisins de l’UE ayant mis à profit les périodes de reprises, et notamment les 8 dernières années, pour résorber les déficits des administrations centrales. L’an passé, le mouvement de rééquilibrage des comptes post-crise était significatif, avec 9 États réalisant des excédents (dont l’Allemagne, le Danemark, les Pays-Bas ou la Suède) et 13 pays épuisant leurs recettes en décembre. En France, le rééquilibrage des comptes s’est arrêté plus vite qu’ailleurs, dès 2014. Ce qui explique pourquoi l’État continue d’épuiser ses ressources dès novembre et vivait à crédit 47 jours par an, soit 29 jours de plus que la moyenne de l’Union européenne.

Pas d’amélioration en 2019

En dépit d’une conjoncture toujours favorable, le budget en préparation ne marque pas d’amélioration significative. Les projections de l’Institut économique Molinari montrent qu’il pourrait y avoir 67 jours de dépenses non financées en 2019. Même en mettant de côté les 26 milliards de dépenses exceptionnelles liées à la transformation du CICE en baisse pérenne de charges sociales, l’impasse financière est de l’ordre de 52 jours.

Certes, au-delà de l’État, les finances locales et des administrations de sécurité sociale sont désormais à l’équilibre, ce qui nous permet d’afficher des déficits des administrations publiques en deçà de 3 %. Mais la situation des finances publiques françaises reste extrêmement précaire et atypique. Selon les derniers chiffrages d’Eurostat, le déficit public représentait 2,5 % au 2e trimestre 2018 en France, contre 0,3 % dans l’Union européenne et 0,1 % dans la Zone euro. Les 20 autres pays pour lesquels les chiffres étaient disponibles faisaient mieux, à l’exception du Portugal (-2,7 %).

Certains pensent que ces déficits, loin d’être inquiétants, font sens. Une partie de l’endettement des administrations serait lié à la nécessité de préparer le futur, en finançant des « investissements d’avenir ». Mais les données à disposition ne corroborent pas cette vision.

D’une part, le patrimoine des administrations publiques françaises décline. Il a été divisé par 7 depuis 2007 et ne représente plus que 8 % du PIB. Il est même devenu négatif si l’on intègre les engagements au titre des retraites de la fonction publique. D’autre part, ces déficits ne coïncident pas avec un enrichissement collectif plus rapide qu’ailleurs. La richesse globale par habitant progresse moins vite en France que dans le reste de l’Union européenne. Sur 20 ans, nous sommes 23e sur 27 en termes de progression du PIB par habitant. Seuls le Royaume-Uni, l’Italie et la Grèce font moins bien. Les administrations publiques créent de la dette pour financer les dépenses courantes, loin de l’image d’Épinal d’une action publique préparant l’avenir.

Pas de supplément de bien-être associés aux déficits

Ajoutons que, contrairement à une idée parfois mise en avant, le manque de rigueur dans la gestion des finances publiques n’est pas associé à un supplément de bien-être immédiat. Plusieurs statistiques axées sur la qualité de vie montrent que la situation française n’est pas optimale. La dernière livraison de l’« indicateur du vivre mieux » de l’OCDE atteste même de performances françaises médiocres. La moyenne des différents critères proposés par l’OCDE positionne la France 18e sur 38 pays étudiés. Nous sommes 11e sur les 21 États de l’Union européenne notés. Dix pays ressortent mieux, dont notamment les pays du nord conjuguant tradition sociale et rigueur financière (Danemark, Finlande, Pays-Bas, Suède…). Il est donc bien difficile d’affirmer que les déficits sont la conséquence d’une politique sociale générant un supplément de bien-être significatif ou préparant le long terme.

La remise en ordre des comptes des administrations centrales reste donc une priorité non traitée. Or, l’expérience malheureuse de nos voisins du Sud montre qu’on ne peut pas infiniment vivre avec des déséquilibres sans s’exposer à des lendemains qui déchantent associés à un coût social exorbitant. Espérons donc qu’il nous reste du temps avant la prochaine crise, et que ce message soit entendu à temps.

Nicolas Marques est directeur de l’Institut économique Molinari.

Nicolas Marques

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