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Venezuela : l’inéluctable échec des mesures contre l’hyperinflation

Texte d’opinion publié le 17 septembre 2018 sur The Conversation.

À Caracas, la lutte contre l’hyperinflation est la grande priorité. Il y a quelques semaines, le président vénézuélien, Nicolás Maduro, a annoncé une nouvelle série de mesures économiques visant à stabiliser une situation hors de contrôle : une poussée de 1 000 000 % d’ici la fin de l’année est anticipée. Or, ces mesures s’avéreront probablement inutiles… comme toutes les mesures précédentes du gouvernement Maduro en la matière.

La première mesure emblématique du gouvernement a été d’enlever cinq zéros des billets du « bolívar fuerte » qui, pour l’occasion, a changé de nom pour devenir le « bolívar soberano ». Objectif : simplifier la vie quotidienne des Vénézuéliens, qui utiliseront des liasses moins épaisses pour payer leurs courses. Mais cette mesure n’est qu’un palliatif. Rappelons que le bolívar fuerte était déjà une version de la monnaie précédente dont les billets avaient été allégés de trois zéros, en 2008… Si la hausse folle des prix se poursuit, les Vénézuéliens seront donc bientôt à nouveau obligés de faire leurs courses munis de liasses de billets conséquentes.

Caracas lâché par ses alliés

Dans les années 1990, l’Argentine et le Brésil avaient eux réussi à stabiliser l’hyperinflation. Contrairement au Venezuela, ils avaient réuni toutes les conditions nécessaires à cet objectif. D’abord, ils ont porté la création monétaire à des niveaux extrêmement bas. Or, il y a fort à parier que le gouvernement Maduro continuera à recourir à la planche à billets, ne serait-ce que pour financer un déficit budgétaire qui atteint depuis longtemps près de 20 % du PIB par an. Le gouvernement n’a en effet plus accès au crédit car il a perdu toute crédibilité sur les marchés financiers internationaux – nous y reviendrons. Même la Russie et la Chine, ses alliés de longue date, l’ont lâché…

En outre, ces déficits risquent d’augmenter, car l’autre mesure phare du gouvernement est la hausse de 3 300 % du salaire minimum, en bolívares soberanos bien sûr. Cette hausse ne fera que nourrir l’inertie hyperinflationniste, puisqu’elle sera subventionnée en activant, une nouvelle fois, la planche à billets.

Des réserves en dollars très faibles

Les plans brésilien et argentin doivent leur succès dans les années 90 à une autre condition que l’on ne retrouve pas au Venezuela : ils avaient indexé leur monnaie nationale, le real brésilien et le peso argentin, à une valeur stable et forte, le dollar américain, pour rétablir la confiance. Autrement dit, les banques centrales argentines et brésiliennes soutenaient un taux de change fixe entre le dollar et leurs monnaies. Pour ce faire, les deux pays avaient accumulé suffisamment des réserves de dollars pour soutenir la convertibilité. Ce que n’a absolument pas fait le Venezuela dans un contexte de relations glaciales avec Washington.

Aujourd’hui, les réserves accumulées en dollars atteignent à peine 9 milliards de dollars à Caracas. C’est très peu pour un pays dont la dette excède 150 milliards de dollars et qui multiplie les défauts de paiement. En outre, le gouvernement a préféré au dollar le petro, la cryptomonnaie officielle de l’État, comme référence d’indexation. Or, le cours du petro est lui-même indexé sur le pétrole. Un soutien bien fragile… cela fait en effet plusieurs années que la capacité de production et raffinement de pétrole au Venezuela a baissé de presque 50 %, à cause notamment de l’utilisation politique de l’entreprise pétrolière d’État, PDVSA. N’oublions pas non plus que le petro n’a pratiquement aucun volume de transaction connu dans les marchés. Il faut dire qu’il est peu pratique pour un citoyen lambda de négocier du pétrole tout seul…

En 1992 pour l’Argentine, et en 1994 pour le Brésil, la situation d’hyperinflation, qui se situait entre 800 et 1 000 % annuels, a pris fin en quelques semaines. Depuis, les deux pays enregistrent des taux d’inflation à deux chiffres tout au plus. Si ces deux pays n’ont pas réussi à maintenir leur stabilité monétaire ces dernières années, c’est justement par manque de respect des conditions préalablement citées.

Le bolívares soberanos déjà déprécié

À l’époque, l’Argentine et le Brésil devaient impérativement rétablir la confiance des marchés financiers internationaux pour éviter les attaques spéculatives contre leur nouvelle monnaie. Ils l’ont fait grâce à des accords passés avec le FMI et leurs principaux créanciers, des banques américaines et européennes. Ces acteurs ont même fourni une partie des réserves nécessaires aux plans de stabilisation de ces deux pays. Sans oublier de mettre de l’ordre dans les finances publiques, réduisant à pratiquement rien le déficit budgétaire pour ainsi éviter toute tentation de surendettement et un nouveau recours à la planche à billets. Aujourd’hui, le Venezuela fait exactement le choix inverse.

Sans diminution de la création monétaire ni responsabilité budgétaire, sans crédibilité sur les marchés, et sans réserves en dollars, le plan contre l’hyperinflation semble économiquement voué à l’échec. Et les dernières mesures en date risquent bien de venir s’ajouter à la longue série de fanfaronnades si chères aux pouvoirs publics vénézuéliens depuis Hugo Chávez. D’ailleurs, depuis l’annonce des mesures, fin août, le dollar est passé de 60 bolívares soberanos à plus de 100 ! Une dépréciation de 37,5 % en quelques jours seulement…

Gabriel A. Giménez-Roche est chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

Gabriel A. Giménez-Roche

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