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Dividendes de Carrefour : les gros oublis de l’ONG Oxfam

Texte d’opinion publié le 7 septembre 2018 dans Capital.

L’ONG d’origine britannique Oxfam vient d’épingler Carrefour, numéro un européen de la grande distribution. Les motifs ? L’ampleur des dividendes versés et le recours à une filiale basée en Suisse. Mais pour notre chroniqueur Nicolas Marques, directeur général de l’Institut économique Molinari, les données mises en avant sont loin d’être objectives.

Récemment, le journal Libération nous apprend que Carrefour ayant « généré plus de 7 milliards de bénéfices entre 2009 et 2017 » aurait reversé plus de 80 % de ces gains aux actionnaires sous forme de dividendes. L’article sous-titré « impôts baladeur » s’appuie sur des données d’Oxfam, ONG présentée comme « très affûtée sur les questions financières et fiscales ». Il insiste sur le comportement hors norme du grand distributeur en question ayant, facteur aggravant, recours à une filiale Suisse.

Cette démarche s’apparente au « name and shame », visant à « nommer et couvrir de honte » des comportements déviants pour les livrer au jugement populaire. Elle pourrait aussi être considérée comme informative si les faits étaient établis. Mais, la réalité est bien plus complexe. Carrefour n’a jamais reversé 80 % de ses profits aux actionnaires sous forme de dividendes. C’est 39 % si l’on considère les profits avant impôts sur les résultats. C’est 69 % si l’on se contente de regarder les profits une fois les impôts acquittés.

Soucieuse de pointer du doigt les pratiques d’optimisation fiscale, l’ONG oublie, en effet, toute la fiscalité assise sur les résultats. Elle n’a pas tenu compte des impôts sur les bénéfices, soit 5,6 milliards d’euros 2009 et 2017 pour Carrefour. Un oubli d’autant plus regrettable que cette somme est comparable aux dividendes versés (4,9 milliards d’euros). Oxfam n’a pas tenu compte, non plus, de la fiscalité sur les dividendes qui représente une recette significative pour les Etats.

Ces oublis sont efficaces lorsqu’on souhaite accréditer dans le grand public l’idée que les entreprises n’enrichissent que les actionnaires, mais contestables sur le fond. L’analyse montre que les profits n’enrichissent pas que les actionnaires, loin de là. En 2016, les premiers bénéficiaires des résultats des grandes entreprises du CAC 40 étaient les Etats, avec 41 milliards de gains liés aux impôts sur les résultats (28 milliards), à la fiscalité sur les dividendes (10 milliards) et aux dividendes des Etats actionnaires (3 milliards). Les actionnaires traditionnels n’arrivent qu’ensuite, avec 32 milliards d’euros de dividendes une fois déduits ce qui revient aux administrations publiques et aux salariés.

Reste l’accusation de disposer une filiale en Suisse, « Etat où le climat fiscal est particulièrement doux » selon Libération. C’est vrai, mais pour autant le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements considère son cadre légal conforme aux standards internationaux d’entraide depuis plus de 3 ans.

On sait que le recours à l’indignation est très tentant. Ce puissant moteur interpelle, aide à vendre ou à attirer les donations. Il est aussi de nature à faciliter les actions de lobbying destinées à influencer les choix des décideurs politiques. Et c’est d’ailleurs, toujours selon le journal Libération, l’objectif recherché par Oxfam.

Pour autant, quoi qu’on pense des préconisations de l’ONG, la démarche est risquée. Céder au sensationnel, c’est courir le risque de mal expliquer les enjeux et de générer des réactions contreproductives d’un point de vue sociétal. Crier au loup sans précautions, cultiver l’indignation à tour de bras risque d’accréditer l’idée d’une sphère économique asociale, de dresser les uns contre les autres en polarisant les débats. C’est aussi courir le risque de passer à côté des vraies questions. En empêchant un débat constructif, l’abus d’indignation risque d’éroder la cohésion qui, plus que jamais, constitue un enjeu sociétal.

Nicolas Marques est directeur général de l’Institut économique Molinari.

Nicolas Marques

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