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Taxer pour empêcher de boire trop d’alcool? Non!

Interview publiée le 3 mai 2018 dans La Libre Belgique.

Le contexte : L’Écosse a introduit mardi la notion de prix minimum de l’alcool
pour lutter contre sa consommation excessive. Le prix tient à la fois compte du degré d’alcool et du volume du produit. La mesure fixe à 57 cents d’euro l’unité d’alcool. Une première mondiale prometteuse?


Augmenter le prix de l’alcool constitue une forme de “fiscalité comportementale”: il s’agit pour l’État de renflouer ses caisses en prenant l’argument d’une réduction du coût social. Outre le risque de marché noir, rien ne dit que les populations les moins aisées bénéficient de ce genre de mesures.

Interview avec Cécile Philippe, directrice générale de l’Institut économique Molinari.


Vous défendez l’idée qu’une augmentation des taxes sur l’alcool constitue une forme de “fiscalité comportementale”. En quoi est-ce néfaste selon vous?

L’argument selon lequel le coût social est moins élevé si on augmente les taxes est erroné. Quand on prend la durée de vie d’un individu, on se rend compte que les personnes qui ont une vie “saine” vont coûter plus cher que des personnes qui malheureusement peuvent avoir une espérance de vie plus courte, que ce soit en termes de retraite ou de soins de santé.

Si on suit votre raisonnement, vous dites que quelqu’un qui est en mauvaise santé coûte moins cher à la société que quelqu’un qui est en bonne santé?

Ce qu’on constate, c’est qu’effectivement, avoir une longue vie va être extrêmement coûteux: quand on tombe malade, si on se retrouve dans une situation de dépendance…

Même si les taxes supplémentaires sont réinjectées dans le circuit de la sécurité sociale?

Alors il faudrait augmenter les taxes de façon absolument draconienne. C’est un phénomène complexe que de nombreux intervenants en la matière ne semblent pas comprendre : tant qu’il y a une demande de la part des consommateurs, vous ne pouvez pas éliminer facilement cette demande. Il faut que ce soit une décision des individus. Sinon, vous favorisez le marché noir. Du coup, les rentrées fiscales sont moindres. Par ailleurs, elles sont rarement réinjectées dans la sécurité sociale.

En somme, vous dites que ces mesures de fiscalité comportementale rapportent plus à l’État qu’aux citoyens?

C’est certain. A priori, ce genre de mesure est censé avoir un effet “désincitatif”: si vous augmentez le prix c’est pour que les gens y recourent moins. Mais pour cela, il faudrait vivre dans un monde où la demande est parfaitement élastique. Et encore, il faudrait une augmentation drastique du prix. Et c’est sans compter ce qu’on observe, par exemple, sur le marché du travail; dès lors que vous augmentez la fiscalité, les gens travaillent au noir. Parce qu’il faut continuer de travailler, même si cela devient véritablement prohibitif. On l’a vu notamment en France, avec la refiscalisation des heures supplémentaires. L’effet a été immédiat. Toutes les heures supplémentaires sont repassées au noir.

Pourtant on a observé que des mesures prohibitives ponctuelles, par exemple sur le tabac en France, ont eu un impact sur la consommation, qui a baissé.

Peut-être, mais les derniers chiffres montrent que cela repart à la hausse. Alors qu’on a depuis 2004 une fiscalité qui a pour le coup vraiment progressé.

En Belgique, où il y a une culture particulièrement liée à l’alcool et où l’on trouve de nombreux brasseurs, quel pourrait être l’impact de taxes supplémentaires?

Là, vous aurez du marché noir. Surtout sur la bière…

Ce genre de mesure devrait pourtant avoir un impact sur les classes défavorisées, plus durement touchées par l’alcoolisme, non?

Dans la mesure où il faut faire cesser ces comportements malsains, ce sont des choses qu’il faut discuter. Est-ce qu’on doit respecter la liberté de choix des individus… Ce type de fiscalité va en général avoir un impact sur “le consommateur responsable”, celui pour qui l’alcool est un “petit” péché mignon.

Et pour ceux qui ont un problème avec l’alcool?

Pour ceux qui sont des sujets à risque et qui ont besoin de soutien pour arrêter de boire, c’est un type de politique qui est lointaine, peu focalisée sur des cas individuels. Cela ne peut pas être efficace. Il y a un souci avec les préférences manifestées par les individus : que ce soit pour l’alcool, le tabac… On ne peut pas éradiquer cette demande d’un coup de baguette magique. Le problème est plus complexe que ça.

Propos recueillis par Clément Boileau.

Cécile Philippe

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