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Phébé – L’incroyable frilosité de la génération Internet

Article de Cécile Philippe, présidente de l’Institut économique Molinari, publié le 11 décembre 2017 dans le n°22 de la Revue Phébé (Le livre dont tout le monde parle à Washington). Il s’agit d’une critique de iGen: Why Today’s Super-Connected Kids Are Growing Up Less Rebellious, More Tolerant, Less Happy–and Completely Unprepared for Adulthood–and What That Means for the Rest of Us, un ouvrage de Jean M. Twenge (Atria Books, 2017).

Les premiers membres de la génération internet (iGen) ont commencé à entrer sur le marché du travail. Représentant 20% de la population en France et 24% aux Etats-Unis, leur arrivée dans le monde dit adulte va nécessairement avoir un impact sur notre culture, nos institutions et nos façons de faire. Comme pour les générations qui l’ont précédée, il va être nécessaire de s’adapter à leur mode de fonctionnement et à leurs attentes. Jean A. Twenge a, pendant 4 ans, analysé de nombreuses données pour décrire le profil de cette nouvelle génération. Il en résulte des constats qui peuvent nous aider à mieux comprendre les interactions possibles avec celle-ci et une alerte à propos de cette cohorte de jeunes qui serait beaucoup plus vulnérable que les précédentes.

La génération Internet, celle qui fut un temps baptisée la génération Z, est constituée de l’ensemble des personnes nées entre 1995 et 2012. Avant elle, on trouve rétrospectivement les Millenials, la Genération X et les babyboomers.

Pour analyser cette population, l’auteure s’est appuyée sur 4 bases de données, avec au total 11 millions de participants. La première est une enquête de l’université du Michigan auprès des élèves de 4ème, seconde et terminale. La seconde est réalisée par les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies depuis 1991 auprès des lycéens. La troisième gérée par UCLA depuis 1966 est une enquête auprès des élèves entrant au lycée. Enfin, l’Enquête sociale générale de l’université de Chicago réalisée auprès des adultes de 18 ans depuis 1972 offre des données qui, ajoutées aux autres, permettent de comparer une génération à une autre au même âge. Grâce à toutes ces données, il est possible de cerner ce que ces jeunes pensent d’eux-mêmes. Et certains résultats sont stupéfiants.

Tout d’abord, si la génération dont il est question a été baptisée génération Internet, c’est qu’elle est la première à n’avoir pas connu un monde sans le net. Ses membres les plus vieux étaient tout juste adolescents quand l’iphone est sorti en 2007. Les écrans sous toutes leurs formes semblent avoir un impact considérable sur leur comportement. Dans le domaine de l’activisme politique, cette génération qui montre à la fois un très faible intérêt et un niveau de confiance bas à l’égard du gouvernement, préfère les hashtags ou les images sur Facebook pour faire pression.

Les objets rectangulaires semblent aussi participer de leur conception de l’agression. Passant beaucoup de temps en ligne, les discours, les idées, les déclarations apparaissent au moins aussi dangereuses que les menaces physiques dont ils ont été protégés depuis l’enfance. Ils veulent ainsi en être protégés au sein de leur université et au sein de la société. 40% des jeunes de la génération Internet et des Millenials déclarent vouloir que le gouvernement empêche les gens d’exprimer des idées intolérantes à l’égard de minorités. Ils n’étaient que 24% chez les boomers et 27% parmi la génération X. Leur conception de la liberté d’expression est ainsi beaucoup plus restrictive.

Préférant souvent les échanges virtuels, il se montrent très prudents dans leurs relations aux autres et, en particulier dans leurs relations romantiques. L’auteure indique ainsi que ces jeunes ont une vie sexuelle beaucoup moins active. Par ailleurs, le mariage et la famille sont aujourd’hui classés en 4ème position après « trouver un emploi stable », « réussir au travail », « donner à ses enfants de meilleures opportunités que les siennes. »

Contrairement à une idée fort répandue mais conformément à leur aversion pour le risque, la nouvelle génération n’indique pas d’appétence particulière pour l’entrepreneuriat, poursuivant ainsi une tendance lancée par les Millenials. Qu’en est-il de leur éthique au travail ? Là encore, la génération Internet retourne la tendance qui voudrait que les jeunes veuillent avant tout un travail gratifiant et intéressant. En fait, ils voudraient surtout un travail qu’ils ne détestent pas et expriment clairement leur préférence pour une sécurité matérielle et financière plutôt que du sens à ce qu’ils font.

Enfin, les données confirment, à l’instar d’autres études, que cette génération serait sujette à une grave crise liée à la santé mentale. Celle-ci s’expliquerait justement et en grande partie par le temps que passe ces jeunes devant des écrans et, en particulier sur les media sociaux. En effet, ce temps passé sur des écrans (environ 6 heures par jour) a remplacé en grande partie le temps passé avec des amis et peut expliquer en partie le syndrome de dépression dont souffre cette génération.

Au final, Jean A. Twenge conclut que la génération Internet est sans doute la génération la plus sécurisée sur le plan physique mais aussi la plus fragile sur le plan mental. Son besoin de sécurité émotionnelle indique sa grande vulnérabilité. Ceci pourrait en grande partie s’expliquer par le fait qu’elle grandit beaucoup plus lentement que les précédentes et que les écrans ont envahi leur vie, exacerbant le processus. Si tel est le cas, les universités et les entreprises vont devoir s’adapter et prolonger le cocon familial de ces jeunes de sorte que, prêts à travailler et désireux de réussir, ils puissent à terme développer la résilience et la maturité qui permettent une réelle prise de responsabilité au sein de la société.

L’auteur

Jean M. Twenge est professeur de psychologie à l’université d’Etat San Diego en Californie. Elle est l’auteur de plus de 120 publications scientifiques. Spécialiste de la question du narcissisme, elle s’est fait connaître pour son travail sur les plus jeunes générations avec notamment la publication en 2007 de Generation Me : Why Today’s Young Americans Are More Confident, Assertive, Entitled–and More Miserable Than Ever Before.

Pour aller plus loin

Démographie – nombre de naissances vivantes – France métropolitaine, Insee, 27/07/2017 disponible à  https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/000436391

Monitoring the Future, Université du Michigan, http://www.monitoringthefuture.org/

Youth Risk Behavior Surveillance System, Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, https://www.cdc.gov/healthyyouth/data/yrbs/index.htm

The American Freshman Survey, UCLA, https://heri.ucla.edu/cirp-freshman-survey/

The General Social Survey, Université de Chicago, http://gss.norc.org/

Holly B. Shakya, Nicholas A. Christakis, “A New, More Rigorous Study Confirms: The More You Use Facebook, the Worse You Feel”, Harvard Business Review, avril 2017. Disponible à:

Morten Tromholt, Marie Lundby, Kjartan, Andsbjerg et Meik Wiking, The Facebook experiment. Does Social Media Affect The Quality of our Lives?, The Happiness Research Institute, 2015.

Cécile Philippe

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