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Le débat Macron-Le Pen : des hostilités qui en disent long

Texte d’opinion publié le 5 mai 2017 dans La Tribune.

En écoutant les commentaires à propos du débat télévisé entre les deux candidats à la présidentielle française – Marine Le Pen et Emmanuel Macron -, il semblerait que ce dernier sorte vainqueur. Plus précisément, comme l’indique Mathilde Siraud journaliste politique au service du Figaro, « sur la forme et la communication politique, c’est Marine Le Pen qui a mené le débat, mais sur le fond, elle a montré ses lacunes sur un certain nombre de sujets … donc sur le fond je dirai que c’est Emmanuel Macron qui l’a emporté. »

Cette distinction entre la forme et le fond est très intéressante, car elle peut aisément se raccrocher à une distinction souvent faite à l’égard de la nature humaine, celle qui distingue le corps de l’esprit. Elle a un nom : le dualisme cartésien qui veut que l’un et l’autre soient faits de substances complètement différentes.

Le corps serait le lieu des émotions et l’esprit celui du raisonnement. Les deux seraient opposés un peu comme sur ce plateau télé où l’une aurait incarné les émotions violentes d’une partie de la France et l’autre la pensée réfléchie, argumentée et posée d’une autre partie de la France.

Les choses ne sont évidemment pas aussi simples. Aujourd’hui, cette vision duale schématique a été supplantée par une vision dans laquelle les deux aspects fonctionnent l’un avec l’autre. Le neurologue Antonio Damasio a ainsi montré dans son livre L’erreur de Descartes que le raisonnement suppose l’émotion ou la passion.

Au final, il n’y aurait que des processus cognitifs. Il y a cependant moyen de les distinguer. Les uns sont rapides, automatiques et intuitifs. Les autres sont plus lents et décrivent comment nous arrivons à un jugement. La question qui se pose alors est de savoir comment ces processus s’organisent et si l’un domine l’autre. Faut-il penser comme David Hume que la raison est l’esclave de la passion ?

Le psychologue Jonathan Haidt, auteur d’un livre passionnant sur les questions morales, répond par la négative. Il démontre de façon persuasive que si les processus intuitifs automatiques et rapides sont certainement plus puissants que les autres processus cognitifs. Nous utilisons notre pensée pour rationaliser des intuitions,pas toujours fondées, mais il n’en demeure pas moins qu’il est possible d’entendre raison.

En quoi cela nous donne-t-il des clés pour comprendre le débat d’entre les deux tours ? Une chose est sûre, Marine Le Pen a davantage fait appel aux instincts et aux intuitions du public. Emmanuel Macron, de son côté, a misé sur le raisonnement et les explications.

Mais dans un cas comme dans l’autre, chacun a parfaitement joué sa partition eu égard à son électorat. Emmanuel Macron a ainsi essayé de privilégier au maximum le débat et la conciliation au service d’un programme qui veut avant tout « renouer le fil de notre Histoire ». Marine Le Pen, à l’inverse, a choisi une forme agressive et hostile en accord avec un programme qui avive les tensions et désigne des coupables.

Cette forme agressive et hostile – qu’instinctivement nous rejetons, car elle est opposée à la coopération sociale et à la vie dans de grands groupes sociaux – révèle une sorte de désinhibition de la colère et des peurs qui la nourrissent.

Celles-ci ne sont pas nouvelles. Elles faisaient déjà l’objet d’un livre d’Alain Duhamel en 1993 intitulé Les peurs françaises. Les peurs du chômage, du déclassement, des migrants, de l’immigration, des OGM, des perturbateurs endocriniens, de la dette publique, de la faillite, du terrorisme imprègnent tout le tissu social. Au point que les colères qui les accompagnent s’incarnent dans une candidate qui a réussi à passer le premier tour.

Il peut sembler tentant d’écarter d’un revers de main tout le discours de Marine Le Pen. Ce n’est cependant pas comme cela qu’on va pouvoir réconcilier les Français. Car si une chose ressort bien de ce duel, c’est justement qu’il acte un clivage profond au sein de notre société. Le dialogue n’y a pas eu sa place et encore moins le débat.

Ce clivage ne peut servir aucun projet social constructif. Il me semble crucial de bien mesurer la chose, à savoir qu’il va falloir trouver les moyens au cours du prochain quinquennat de rétablir le dialogue.

Si le candidat d’En Marche est le mieux placé pour ce faire, n’en sous-estimons pas pour autant les difficultés. Au cours des 5 prochaines années, il faudra poursuivre sans relâche le débat, les interactions, l’écoute et les politiques susceptibles d’apaiser les peurs des uns et des autres.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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