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L’« helicopter money »… jusqu’où ira le délire monétaire?

Texte d’opinion publié le 15 avril 2016 dans l’Opinion.

Apparemment l’activisme monétaire ne connaît plus aucune limite et visiblement personne – et surtout pas les dirigeants des banques centrales – ne semble prêt à admettre que la politique monétaire au mieux est inefficace au pire délétère. En effet, ce début d’année très chaotique a redonné du grain à moudre aux interventionnistes de tout poil… en particulier aux artificiers de la politique monétaire. Se discute de plus en plus ouvertement dans les milieux autorisés l’idée de mettre en œuvre le concept d’« helicopter money » – jusqu’à Mario Draghi qui a ouvertement admis que le projet était sérieusement discuté au sein de la BCE.

La paternité de l’expression revient à Milton Friedman qui dans son traité sur la monnaie The Optimum Quantity of Money (1969) l’utilise comme métaphore afin d’illustrer l’idée forte de la théorie quantitative de la monnaie, à savoir que l’inflation est avant tout un phénomène monétaire. En effet, si l’ensemble de la population se retrouvait avec une augmentation de leurs avoirs monétaires alors elle dépenserait ce supplément en biens de consommation ce qui conduirait toutes choses égales par ailleurs – la quantité de production restant inchangée – à une augmentation généralisée des prix immédiate. Dans l’esprit de Friedman, l’« helicopter money » n’a aucune valeur prescriptive. Aujourd’hui les plus acharnés activistes de la politique se sont empressés de transformer cette métaphore en recommandation d’action politique. Les frontières de l’illusion monétaire sont repoussées toujours plus loin aussi bien par les théoriciens de la monnaie que par les politiques très heureux de reprendre cette idée à leur compte.

Plus de limite à la déraison monétaire…

Mais pourquoi un tel acharnement à entretenir l’illusion selon laquelle la création de richesses peut se décider par la Banque Centrale ? Comment peut-on imaginer – après ces années d’injection monétaire continue qu’elle s’appelle Quantitative Easing ou politique monétaire non orthodoxe – que la réponse à la stagnation de la croissance puisse être apportée par une politique monétaire encore plus agressive et interventionniste ? L’absence de résultats de ces dernières années n’inspire donc aucune réflexion sur le constat d’échec. Pire, à l’âne qui ne veut pas boire, on propose désormais de lui mettre un entonnoir pour le forcer à boire. En effet puisque l’activité économique ne veut pas redémarrer alors donnons de l’argent directement aux consommateurs finaux pour qu’ils puissent le dépenser, cela va bien finir par marcher !

Des erreurs conceptuelles fatales

Cette pensée unique commet plusieurs erreurs théoriques fondamentales. La première est de considérer que la monnaie est créatrice de richesse. La monnaie ne crée rien, la monnaie est un moyen d’échange, elle facilite les transactions économiques. En réalité, la création de richesses émane des entreprises qui investissent. Certes le taux d’intérêt joue un rôle important mais il n’est pas la variable clef surtout dans des périodes de crises et de forte incertitude. L’investissement requiert une confiance dans l’avenir, en particulier cela vaut la peine d’investir si les opportunités de profits dans l’économie sont bonnes. Or c’est là que le bât blesse et cela pour au moins deux raisons. La première est que justement les perspectives de profit sont faibles dans nos pays développés dans la mesure où le fardeau réglementaire et fiscal qui pèse sur les entreprises est devenu trop lourd. La seconde – et sans doute la plus importante aujourd’hui – est que nous sommes entrés dans une période de désendettement net des entreprises.

Ce phénomène, décrit par l’économiste Richard C. Koo, est contraire au fonctionnement normal des entreprises qui généralement s’endettent pour investir. Il est néanmoins la conséquence normale d’un surendettement massif au cours des dernières décennies qu’il faut maintenant épurer. Nombre d’entreprises ont réalisé que la valeur de leurs actifs était surévaluée, elles ont vu leurs profits diminué et dans la mesure où elles sont encore capables de fonctionner, elles préfèrent se désendetter plutôt que de repartir à l’aventure. Ce désendettement caractérise l’économie japonaise depuis maintenant 25 ans. La zone euro est maintenant dans la même phase et les Etats-Unis sont en passe de l’être.

Donc quand bien même les banques voudraient octroyer des prêts, la demande pour ces derniers n’est tout simplement pas suffisante par manque d’appétence des entreprises. Ajoutons à cela qu’elles font face à de nouvelles contraintes réglementaires qui peuvent entraver l’octroi de prêt.

En bout de ligne, les grands bénéficiaires de la politique monétaire ultra-accommodante sont les acteurs du marché financier et bien sûr les gouvernements qui peuvent s’endetter à moindre frais et qui de fait se substituent aux acteurs privés. Une autre erreur est de croire que les injections massives de monnaie n’ont pas d’impact, la preuve étant qu’il n’y a pas d’inflation. Nous faisons face ici à une contradiction: les activistes monétaires partent du principe que la monnaie n’est pas neutre. Or s’ils concluent que les injections monétaires n’ont pas d’impact sur l’économie, c’est qu’implicitement ils supposent une forme de neutralité. La neutralité est ou n’est pas, il faut choisir ! Quant à la soi-disant disparition de l’inflation, rien n’est moins sûr. Cette conclusion découle d’une analyse très superficielle et simpliste de l’inflation.

L’inflation, l’Arlésienne

L’inflation s’observe à travers la hausse généralisée des prix mais quid de l’inflation, résultat de la non-déflation ou inflation négative ? En effet, ce thème n’est jamais abordé par les spécialistes, pourtant il mériterait qu’on y accorde une attention particulière. Les politiques monétaires de Quantitative Easing ont eu comme principal résultat d’empêcher la baisse massive du prix des actifs sous-jacents à la crise des subprimes et par conséquent de limiter la baisse du niveau général des prix atténuant la gravité de la récession. En effet, au regard de la sévérité de la crise, la déflation n’a presque pas eu lieu aux États-Unis. Le soutien artificiel apporté par ces politiques n’a pas permis « la purge » de l’économie US. Le problème est que des ressources « mal employées » le sont restées au lieu d’être libérées pour d’autres utilisations. De même, le maintien de la politique de Quantitative Easing a aggravé la mauvaise allocation des ressources puisqu’elle maintient le taux d’intérêt à des niveaux artificiellement bas et le prix des actifs artificiellement élevés. Le processus de désendettement à l’œuvre aujourd’hui est justement une tentative graduelle des entreprises d’assainir leurs bilans qu’elles savent surévalués du fait de la politique monétaire.

La mise en œuvre de l’« helicopter money » ne ferait qu’aggraver davantage la mauvaise allocation des ressources et ferait pour le coup apparaître une réelle augmentation généralisée des prix des biens de consommation courante. Aujourd’hui, tous les experts semblent d’accord pour faire le constat que l’inflation aurait disparu. Seulement, ils oublient de prendre en compte le fait que les prix des actifs auraient dû chuter et surtout qu’elle est bel et bien à l’œuvre dans certains secteurs, en particulier les marchés financiers. Si elle n’apparaît pas aujourd’hui dans le prix des biens à la consommation, c’est que les entreprises nettoient actuellement les désastres d’un surendettement passé. L’« helicopter money », dans l’hypothèse où les consommateurs se montreraient plus confiants que les entreprises, pourrait provoquer l’inflation voire l’hyperinflation du prix des biens avec son lot d’effets pervers.

La politique monétaire impuissante… changeons de modèle !

Si le constat d’impuissance est partagé, la solution ne se trouve pas dans la mise en œuvre de l’« helicopter money ». Il serait bienvenu que Mario Draghi se serve de son pouvoir pour forcer les gouvernements à faire les réformes structurelles qu’ils tardent à faire. Il pourrait inviter un Quantitative Easing où le montant de la dette publique achetée serait fonction de la mise en œuvre de réformes structurelles. Quitte à être créatif, autant mettre sa créativité au service d’une politique qui serve les intérêts de tous !

Nathalie Janson est économiste professeur associé à la Neoma Business School et chercheure associée à l’Institut économique Molinari. Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari. Gabriel A. Giménez-Roche est professeur associé à ESC Troyes et chercheur associé à l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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