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L’obsolescence programmée : mythes et réalités

Texte d’opinion publié en exclusivité sur le site de l’Institut économique Molinari.

Comme le titrait Le Figaro du 25 juillet 2015, « L’obsolescence programmée est désormais un délit passible de prison ». En effet, la loi sur la transition énergétique qualifie l’obsolescence programmée d’infraction et punit les entreprises fautives de deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende.

Le quotidien rappelle que l’obsolescence programmée est « une technique imputée aux distributeurs pour réduire volontairement la durée de vie d’un produit et inciter le consommateur à acheter davantage ». Pour lutter contre cette « technique », le législateur français a donc prévu que tous les produits d’une valeur équivalente à 30 % du Smic devront afficher leur durée de vie.

Fallait-il une loi ? Fallait-il encore plus de contraintes, de paperasseries et de contrôles ?

On peut en douter. Deux ingénieurs des Mines ont travaillé sur le sujet pour leur mémoire[[On se réfèrera au n°81 (mars 2015) de La Gazette de la société et des techniques, intitulé « Obsolescence programmée des objets. Mythes et réalités ».]] de troisième année et remettent certaines idées à l’endroit.

Thomas Lombès et Bastien Poubeau rappellent ainsi que le concept d’obsolescence programmée n’est pas nouveau. Il est même « consubstantiel à l’innovation et à la mode qui constituent aujourd’hui le cœur de notre économie ». Le terme, indiquent les deux auteurs, a été inventé par Bernard London en 1932 « pour décrire une stratégie visant à sortir de la grande dépression : imposer une date de péremption légale aux objets afin de stimuler leur renouvellement ».

C’est pendant les années 1950 que l’idée d’obsolescence programmée se développe, non plus en limitant techniquement la durée de vie des produits, mais en accélérant le renouvellement des gammes. Comme le dit alors le designer industriel Brooks Stevens, il s’agit « d’inculquer à l’acheteur le désir de posséder quelque chose d’un peu plus récent, un peu meilleur et un peu plus tôt que ce qui est nécessaire ».

Dès les années 1960, cette « technique » fut critiquée à 2 titres : production de déchets et aliénation du consommateur. Dans les années 1970, écrivent Lombès et Poubeau, les sondages indiquaient que, selon les consommateurs, la durée de vie des produits diminuait.

Le sujet revient sur le devant de la scène médiatique depuis quelques années, sous l’angle d’une conspiration d’industriels poussant à la consommation et accentuant ainsi une crise économique et écologique.

Cette idée ne semble pas raisonnable pour les deux jeunes auteurs. En effet, selon eux, « seul un cartel d’industriels évoluant dans un marché saturé aurait intérêt à mener une telle stratégie et il resterait à la merci d’un nouvel entrant. Dans le contexte économique actuel fortement concurrentiel, les fabricants ont tout intérêt à soigner leur image de marque et à innover en proposant les meilleurs produits possibles. La stratégie de l’obsolescence programmée ne semble pas être une option réaliste ».

Lombès et Poubeau ne sont pas non plus convaincus par les preuves avancées de l’obsolescence programmée, en particulier le fameux exemple de l’ampoule. De quoi s’agit-il ? D’une ampoule qui installée dans la caserne des pompiers de Livermore en Californie en 1901 n’aurait presque jamais été éteinte et brillerait ainsi, quasiment sans discontinuité depuis cette date. Les pompiers ont installé une webcam qui filme continuellement l’ampoule, webcam qui n’a duré que trois ans et qu’ils ont dû remplacer. Cet exemple montrerait donc que les produits d’avant (l’ampoule) ont une durée de vie bien plus longue que ceux d’aujourd’hui (la webcam).

Ce que l’on ne dit généralement pas c’est que l’ampoule de Livermore avait une puissance de 60 watts en début de vie. Aujourd’hui, cette puissance n’est plus que de 4 watts. La luminosité de l’ampoule ne correspond plus qu’à 0,3 % de la valeur d’origine. Son rendement a été réduit par 24. En fait, l’ampoule produit beaucoup de chaleur et presque pas de lumière. On comprend mieux alors que la durée de vie des ampoules soit en fait « un compromis entre leur longévité et leur consommation électrique ».

Pour les auteurs de l’étude, « dans tous les exemples rencontrés, il est ainsi difficile d’être catégorique sur la volonté du fabricant de tromper l’acheteur en diminuant artificiellement la durée de vie du produit ».

En revanche, il est difficile de nier que les industriels cherchent à susciter, chez le consommateur, l’envie d’acheter. C’est d’ailleurs tout l’objet du marketing et de la publicité. Mais les industriels seraient coupables de trop renouveler leurs gammes jusqu’à faire de la « novation artificielle ». Et Lombès et Poubeau de rappeler que « l’acte d’achat reste avant tout un choix du consommateur, et ses critères ne se résument pas à la durabilité. Si de nombreuses voix s’élèvent contre un remplacement irrationnel et impulsif des produits, le fait de les jeter avant l’usure matérielle reste de la responsabilité des consommateurs, qui apparaissent autant complices que victimes des renouvellements de gammes ».

Sur l’impact écologique, il y a également besoin de faire la part des choses. Il est couramment admis que plus le produit dure longtemps, mieux c’est pour l’environnement. Prenons l’exemple des réfrigérateurs et des lave-linges : leur consommation d’électricité et d’eau a été divisée par deux en 15 ans. « Il peut donc s’avérer néfaste au plan environnemental de prolonger au maximum leur durée de vie ». De même, faire la chasse aux véhicules diesel comme le fait la Mairie de Paris, n’est-ce pas rendre prématurément obsolètes des voitures qui donnent entièrement satisfaction à leurs utilisateurs et dont la nocivité est loin de faire l’unanimité ?

Pour Lombès et Poubeau, la durée de vie d’un produit est une donnée complexe, difficilement mesurable a priori. Certes, avec des modèles prédictifs ou des tests simples, on peut faire des estimations. Mais cela vaut pour des produits simples. Pour les produits complexes, il faudrait « réaliser des campagnes de vieillissement accéléré – avec les biais d’appréciation qu’ils comportent – ou des suivis statistiques de parcs installés – procédé long et coûteux. À ces difficultés techniques s’ajoutent des difficultés organisationnelles » :

– les processus de fabrication sont souvent instables : des produits avec la même référence peuvent utiliser des pièces provenant de différents sous-traitants ; bref, les produits sont rarement homogènes ;

– les usages sont très différents d’un utilisateur à l’autre : quantitativement (un Français roule, en moyenne, 16 000 kilomètres par an, et un chauffeur de taxi jusqu’à 100 000 kilomètres) ; qualitativement (à kilométrage égal, un VRP roule à une vitesse moyenne beaucoup plus élevée qu’un chauffeur de taxi). Sans parler de l’entretien du produit qui diffère selon l’individu.

Il semblerait pourtant que les consommateurs veuillent disposer de produits ayant une durée de vie plus importante, produits que les industriels sont tout à fait capables de fabriquer. Pourquoi cela ne se réalise-t-il pas ? Tout d’abord, il y a la question du prix. De tels produits seraient plus chers. Les consommateurs sont-ils vraiment prêts à les payer ?

Ensuite, la difficulté à mesurer la durée de vie d’un produit d’une part, et l’absence d’informations sur l’utilisation future du produit par le consommateur d’autre part, font que la durée de vie ne peut pas être raisonnablement mise en avant par le fabricant. Donc, « l’acquéreur ne peut pas juger de la fiabilité du bien qu’il achète ». Il y a là une double asymétrie d’information.

À suivre…

Patrick Coquart est associé dans un cabinet de conseil en management.

Patrick Coquart

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