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Après le currency board, le fiscal board : la souveraineté budgétaire existe-t-elle?

Texte d’opinion publié le 20 juillet 2015 dans La Tribune.

Après le Currency Board (caisse d’émission monétaire) mis en place dans des pays comme l’Argentine où l’instabilité monétaire endémique enfonçait le pays toujours plus dans le cycle infernal de l’hyperinflation, voilà venu le temps du « fiscal board » avec la Grèce. Il s’agit de la mise sous tutelle des finances publiques grecques dans le but de rompre cette fois avec le cycle infernal de l’hyper endettement. À l’origine, le même mal en cause: l’incapacité des gouvernements à gérer de manière disciplinée leur budget.

En effet, l’hyperinflation est en général l’expression de finances publiques non maîtrisées qui conduisent inéluctablement à l’indiscipline monétaire à travers la monétisation de la dette. Dans le cas de la Grèce, l’indiscipline budgétaire a trouvé en l’euro une limite qui l’a empêchée de monétiser sa dette – même si parfois le Quantitative Easing (QE) de Mario Draghi peut y ressembler.

La souveraineté fiscale n’a-t-elle aucune limite ?

Il faut en finir une bonne fois pour toutes avec l’idée que les États sont souverains absolus en matière budgétaire. Leur marge de manœuvre varie en réalité avec le système monétaire dans lequel ils évoluent. Elle est plus grande lorsque le pays appartient à un régime de changes flottants puisque sa souveraineté monétaire peut lui permettre d’accompagner ses choix budgétaires.

Si l’on prend le cas des États-Unis depuis la crise, il a souvent été souligné que la Réserve Fédérale facilitait le financement des déficits publics compte tenu de l’ampleur de sa politique de Quantitative Easing. Il est vrai qu’en ayant acheté 80 milliards de dollars de titres souverains tous les mois pendant plusieurs années, la Fed a grandement facilité l’émission de bons du Trésor américain.

Cependant, cette apparente souveraineté n’est pas sans limite. La première limite est posée par la capacité d’absorption des marchés. Si les États-Unis ont pu mener cette politique sans être inquiétés, c’est parce que les opérateurs sur les marchés financiers restent confiants dans la capacité de remboursement du pays. En outre, le dollar étant toujours la monnaie internationale dominante et les marchés financiers américains restant très attractifs, la demande de titres souverains américains est soutenue.

La même chose peut être dite à propos du Japon à ceci près que la demande de titres souverains n’émane pas des mêmes opérateurs. La dette nippone est essentiellement détenue par les résidents. En résumé, la souveraineté budgétaire va de pair avec la souveraineté monétaire et ne vaut que parce que les acteurs économiques jugent crédible la soutenabilité de la dette.

Qu’en est-il dans un système de taux de changes fixes et a fortiori dans le cas d’une monnaie unique qui n’est qu’une forme de changes fixes irrévocables ? À partir du moment où des monnaies sont liées entre elles, soit de manière révocable, soit de manière irrévocable, les politiques monétaires des pays membres ne sont désormais plus indépendantes les unes des autres. Des divergences récurrentes de politique monétaire se traduisent par des crises de change régulières comme celles qu’on a pu connaître du temps du Système monétaire européen (SME).

Il est illusoire de penser que dans un système de changes fixes la souveraineté monétaire continue d’exister. La souveraineté est de fait gérée au niveau collectif et ceci est encore plus vrai dans le cadre d’une monnaie commune. La souveraineté monétaire de chaque pays membre de la zone euro a ainsi été transférée au niveau de l’eurosystème qui prend les décisions de politique monétaire en accord avec le mandat qui lui a été confié. Dans une telle perspective, la marge de manœuvre de chaque État membre en matière budgétaire est réduite étant donné que l’arme ultime de financement des déficits – à savoir la monétisation de la dette n’est plus de son ressort. Aujourd’hui, même si le programme de Quantitative Easing de Mario Draghi et les opérations de refinancement à long terme qui ont précédé sont une forme de monétisation de la dette, aucun État membre ne peut directement contrôler cette décision. Dans le meilleur des cas, il peut l’influencer.

Pourquoi la dérive grecque ?

Compte tenu des principes énoncés, comment se fait-il que la Grèce ait pu ainsi dériver financièrement puisqu’en théorie, la souveraineté budgétaire n’est plus de mise dans le cadre d’une monnaie commune. C’était sans compter sur les externalités positives générées par la création d’une monnaie unique et le manque d’expérience des opérateurs de marché. La Grèce partage une monnaie commune dont la réputation a essentiellement reposé sur le rôle de leader joué par l’Allemagne qui n’a jamais failli à sa réputation en matière de rigueur monétaire. Les dérapages grecs ont été possibles car les investisseurs ont considéré que la zone euro était un tout homogène.

Qu’on se le dise une fois pour toutes, la souveraineté budgétaire n’existe pas plus que la souveraineté monétaire au sein d’une monnaie commune. Les Grecs risquent de l’apprendre au prix fort. Il est urgent que les hommes politiques à la tête des pays de la zone euro expliquent clairement ces principes économiques à leurs électeurs. Cela évitera les confusions et les désillusions. Messieurs les dirigeants… un peu de leçon de choses !

Nathalie Janson est économiste, professeure associée Neoma Business School et chercheure associée à l’Institut économique Molinari.

Nathalie Janson

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