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Islande : les erreurs conceptuelles fatales du rapport Sigurjonsson

Texte d’opinion publié le 23 mai 2015 dans La Tribune.

La réforme monétaire préconisée par le rapport Sigurjonsson, remis au premier ministre islandais, recommande de mettre fin à la création monétaire par les banques commerciales en leur interdisant de prêter sur la base des comptes courants. La création monétaire devrait être le privilège exclusif de la banque centrale, le gouvernement se chargeant de l’allocation de la monnaie nouvellement créée.

Penser qu’une telle réforme mettra un terme aux excès du système bancaire et financier est une illusion. En effet, le rapport commet deux erreurs d’analyse fondamentales : la première relative au fonctionnement des banques à réserves fractionnaires et la seconde relative à la réelle capacité de la banque centrale et du gouvernement à pouvoir créer une monnaie « neutre » et « stable ». Sans les excuser, d’autres théoriciens et non des moindres – comme Milton Friedman – ont commis cette même erreur d’analyse.

Les banques à réserves fractionnaires, un bouc émissaire facile ?

Le mal absolu se trouverait dans la nature même des banques à réserves fractionnaires. Il suffirait donc de les interdire pour que le système monétaire retrouve un fonctionnement sain. Il n’est pas certain que la solution soit aussi simple… Frosti Sigurjonsson revisite ici une tradition([[Les tenants modernes appartiennent à l’école autrichienne incarnée par Mises. La solution préconisée est de n’avoir que des banques de dépôts à 100% de réserves. Murray Rothbard était l’un des plus ardents défenseurs des banques à 100% de réserves or.]]) qui s’est marginalisée au cours du vingtième siècle et qui considère les banques à réserves fractionnaires comme intrinsèquement instables. S’il est certain qu’elles représentent une source d’instabilité additionnelle, elles n’en ont pas l’exclusivité.

Les intermédiaires bancaires tels qu’ils sont envisagés dans le rapport Sigurjonsson le sont également. En effet, lorsque les banques prêtent sur la base de dépôts à terme, il n’est pas exclu qu’elles prennent des risques en transformant « trop » les maturités, c’est-à-dire en prêtant à long terme des ressources à court terme. En caricaturant à l’extrême, si une banque utilise un dépôt à terme d’une durée de 60 jours pour financer un prêt immobilier, elle s’expose évidemment à un risque d’illiquidité majeur. L’interdiction de prêter des dépôts courants ne garantit pas contre la crise de liquidités.

Par contre, il est vrai qu’un système bancaire uniquement composé de banques intermédiaires éradique le risque de « course aux guichets » puisque les ressources sont à terme. Néanmoins, il convient de noter que dans la majeure partie des pays les déposants sont couverts par une forme d’assurance des dépôts qui prévient tout mouvement de panique – on l’a bien observé pendant la dernière crise.

Par ailleurs, il est faux d’affirmer – comme le fait le rapport Sigurjonsson – que les banques à réserves fractionnaires sont systématiquement source d’excès de création monétaire. Il est vrai que les banques n’attendent pas d’avoir des réserves excédentaires comme l’explique la théorie du multiplicateur de dépôts pour accorder des crédits. Elles prêtent en fonction d’un calcul coût- bénéfice qui tient compte des moyens de se procurer les financements nécessaires. Si les banques à réserves fractionnaires prêtent de façon excessive, c’est parce qu’elles peuvent se procurer des liquidités « facilement » et à un coût inférieur au rendement attendu du prêt. Avant de condamner les banques à réserves fractionnaires, il vaudrait mieux réfléchir au rôle de la banque centrale dans la détermination des taux de refinancement et de la liquidité disponible.

Preuve supplémentaire : la faible augmentation de l’activité de prêts depuis 2007 malgré l’abondance des liquidités apportées par les banques centrales. Enfin, il ne faut pas oublier que les banques peuvent également prendre des risques parce que leur structure de gouvernance à responsabilité limitée les y encourage.

La stabilité monétaire garantie par un conseil monétaire indépendant et par l’État

La deuxième erreur conceptuelle du rapport Sigurjonsson est de croire que l’offre de monnaie est stable dès lors qu’elle est exclusivement déterminée par la banque centrale sur les recommandations d’un conseil scientifique indépendant. Par indépendant, on entend indépendant de toute influence gouvernementale. Dans l’énoncé de ce principe, on reconnaît bien l’idée monétariste selon laquelle la stabilité monétaire est garantie par une offre de monnaie qui croît au rythme de la croissance économique.

Mais l’analyse de Sigurjonsson est plus naïve que celle de Milton Friedman. En effet, ce dernier conscient des pressions politiques, recommandait une règle monétaire indexée sur le stock d’or dépolitisant ainsi la question. Après tout ce qu’a écrit et théorisé par l’école Public Choice, il est difficile de se convaincre qu’il existe une vraie indépendance qu’elle soit au niveau de la banque centrale ou bien du comité scientifique indépendant qui déterminerait le taux de croissance de l’offre de monnaie. D’autant que dans le système préconisé par le rapport Sigurjonsson la monnaie nouvellement créée est ensuite allouée à l’État directement afin qu’il la diffuse dans l’économie à travers notamment les dépenses publiques ou encore le remboursement de sa dette ce qui suggère un possible retour à la monétisation de la dette.

Quand on regarde l’histoire des finances publiques en France, on est en droit de nourrir certaines craintes… Si la seule indépendance est garantie par le recours aux experts, il est malheureusement à craindre que les garanties ne soient pas suffisantes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder le comportement de la Banque centrale européenne depuis le début de la crise en 2007. Pourtant toutes les assurances d’avoir une banque centrale indépendante étaient réunies, en particulier le fait qu’elle est au-dessus des États membres et qu’elle a un mandat hiérarchique avec un objectif de stabilité des prix qui prime en principe sur tout autre. Cela ne l’a pourtant pas empêché d’acheter de la dette souveraine grecque à un prix surévalué par rapport au marché, ni d’adopter le Securities Markets Program qui lui permet d’acheter de la dette des États membres en cas de crise, ni même d’avoir effectué des LTRO jusqu’à 3 ans. Autant de dispositions qui indiquent bien la limite de l’indépendance. Il semble que le rapport Sigurjonsson tombe dans le piège de l’illusion – oh combien contrariée par les faits – d’une administration centrale qui agirait pour l’intérêt commun. Cette approche naïve consiste à penser que dès lors qu’un individu endosse les habits de fonctionnaire d’État, il serait à la fois en mesure et incité à agir pour le bien commun. Or, à bien y penser, il est difficile sinon impossible d’avoir une définition a priori du bien commun.

Comme de nombreux théoriciens monétaires qui voyaient le mal incarné dans les banques à réserves fractionnaires, Frosti Sigurjonsson ne va pas assez loin dans l’analyse des raisons de leur prise de risque excessive. Il aurait été plus intéressant de questionner la responsabilité de la banque centrale et des autorités bancaires plus généralement pour en arriver peut-être à la conclusion que le secteur bancaire ne doit pas faire exception à la règle et doit fonctionner librement… Mais cette idée est sans doute trop dérangeante pour être ouvertement discutée.

Nathalie Janson est économiste, professeure associée Neoma Business School et chercheure associée à l’Institut économique Molinari.

Nathalie Janson

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