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En finir avec la planche à billets!

Texte d’opinion de Nathalie Janson.

À l’occasion du lancement du QE[[Quantitative Easing. Vaste programme d’assouplissement quantitatif qui porte essentiellement sur des rachats d’emprunts souverains.]], lundi 9 mars, les journaux ont rivalisé d’articles pédagogiques sur le QE à la mode européenne. Le problème est que la pédagogie a une portée limitée dans ce domaine tant la politique monétaire est un sujet difficile à vulgariser. Le terrain était donc propice au colportage de contre-vérité, au premier chef, la planche à billets, l’arme fatale dégainée par Mario Draghi. Mais qu’est-ce que la planche à billets et pourquoi le QE serait l’illustration de ce principe?

Remontons aux sources …

L’expression de « planche à billets » s’est développée dans un contexte monétaire basé sur l’or et il évoquait l’idée que si la banque centrale créait de la monnaie sans contrepartie « or », elle créait la monnaie sans contrepartie réelle. On peut d’ailleurs très facilement imaginer que dans ces temps anciens les épisodes de planche à billets sévissaient surtout dans des moments où l’État avait besoin d’argent pour financer les guerres et demandait à la banque centrale – à l’époque plutôt appelée banque nationale – d’imprimer des pays en échange de créances sur l’Etat voire même de ligne de crédit. Mais depuis maintenant 40 ans – depuis la fin de Bretton Woods, le système monétaire n’est plus basé sur l’or mais sur un système de monnaie fiduciaire. Autant dire que cela fait longtemps qu’on est dans un gigantesque système de planche à billets si l’on pense qu’imprimer de la monnaie banque centrale en échéance de créances papiers symbolise la planche à billets !

Comment fonctionne une banque centrale dans un environnement normal ?

Tout d’abord dans un tel système monétaire la banque centrale créée de la monnaie – sous forme de pièces et billets mais surtout sous forme électronique – en contrepartie de créances à son actif (base monétaire), ses créances étant plutôt de nature souveraines – bons du Trésor en particulier parce que la préoccupation de la banque centrale est d’accepter en contrepartie des créances dont le risque est le plus faible possible ce qui explique le choix de titres émis par les États et la courte maturité, les bons du Trésor ayant une maturité inférieure à 1 an. Il est crucial pour la banque centrale que la valeur de ce qu’elle possède à l’actif soit stable afin de ne pas avoir de « déconnexion » entre la valeur de la monnaie créée et la valeur des actifs acceptés en contrepartie.

Traditionnellement aux USA la Federal Reserve achète majoritairement des bons du Trésor parce que la marché est profond et les achats par la banque centrale de ces titres ne le déséquilibre pas. Pour cette raison, la panoplie de titres que la BCE achète est beaucoup plus large et depuis sa naissance la BCE n’achète pas exclusivement des titres souverains – contrairement aux USA. Par ailleurs, il faut savoir que la Banque centrale crée de la monnaie principalement dans le cadre du refinancement des banques en accord avec ses objectifs de politique monétaire. Depuis les années 1990, dans la plupart des pays occidentaux, les actions de la banque centrale sont menées à travers ce qu’on appelle des opérations d’open market ce qui signifie que lorsque la banque centrale fournit des liquidités aux banques commerciales sans communiquer au préalable les montants (pas de programme établi comme aujourd’hui), elle le fait à travers l’achat de titres de marché comme les bons du Trésor de façon temporaire : on appelle ces opérations des opérations de prise en pension.

En d’autres termes, dans un contexte de politique monétaire « conventionnel », la banque centrale apporte des liquidités aux banques de façon temporaire et c’est ce dernier point qui différencie une politique monétaire « non conventionnelle » comme nous la voyons pratiquer aujourd’hui dans laquelle les achats sont « fermes » et non plus « temporaires ». Dans le cadre d’une politique monétaire conventionnelle, le bilan de la banque centrale augmente faiblement puisque les opérations de refinancement des banques sont des opérations temporaires et en simplifiant l’augmentation de l’offre de monnaie accompagne la croissance économique. Cette ligne de conduite est cohérente avec l’objectif de stabilité des prix que la plupart des banques centrales poursuivent.

En quoi une politique monétaire non conventionnelle diffère-t-elle ?

Tout d’abord une politique monétaire non conventionnelle s’inscrit dans un contexte de crise où les taux d’intérêt sont à des niveaux proches de 0 ou égaux à 0. Face à la crise de 2007, la Federal Reserve, la première concernée par la crise, baisse son taux dans une fourchette de 0-0.25% qui prévaut toujours aujourd’hui et au vue de l’ampleur de la crise décide d’adopter une politique non conventionnelle qui se caractérise par un programme d’achat ferme dont les montants sont communiqués d’avance avec un calendrier établie. Les achats de titres ne sont donc plus temporaires et ne se portent plus exclusivement sur des bons du Trésor mais aussi sur des portefeuilles hypothécaires titrisés – les fameux MBS, mortgage Backed securities – et d’obligations du Trésor américain de maturités plus longues, une vraie révolution pour la FED qui fait entrer des titres du secteur privé et des obligations longues du Trésor.

Pour la BCE, le passage au QE s’est fait graduellement. Avant le programme lancé lundi 9 mars, la BCE avait procédé à des opérations de refinancement à long terme non récurrentes – les LTRO – dont le terme initial d’un mois s’est transformé avec la crise de la dette souveraine en 3 puis 4 ans, mais dont le principe de fonctionnement se rapproche du QE puisque ce sont des achats massifs – de l’ordre de 1 000 milliards d’Euros – et de maturité plus longue mais pas indéfinie comme dans le QE. Avec le nouveau programme annoncé le 22 janvier, Mario Draghi cette fois adopte un vrai QE dans la mesure où le programme lancé lundi 9 mars 2015 est un programme cette fois récurrent la BCE achètera de façon ferme 60 milliards d’Euros de titres majoritairement souverains.

Pour autant peut-on en conclure que le QE ou la politique monétaire conventionnelle est une version moderne de planche à billets? Non, tant que la valeur des actifs achetés n’est pas déconnecté de la valeur de la monnaie créée par la Banque Centrale ce qui est le risque auquel est confronté tout système monétaire fiduciaire. Tout au plus, pourrait-on dire que notre nouvel ordre monétaire depuis l’abandon de Bretton Woods est une vaste planche à billets et qu’aujourd’hui elle se trouve en surchauffe!…

Nathalie Janson est économiste et professeur associée à Neoma Business.

L’Institut économique Molinari

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