Notes et baromètres

Le règlement des différends entre investisseurs et États : entre mythes et réalité

Briefing de l’Epicenter/IEM — Janvier 2015

Le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE; ISDS en anglais) est un mécanisme clef pour protéger les investisseurs étrangers des actions étatiques arbitraires sans compensation adéquate.

Le règlement des différends entre investisseurs et États facilite le commerce international en abaissant la prime de risque pour les investisseurs, garantissant que le coût de la réglementation publique reflète tous les coûts imposés à la société, sans pour autant diminuer la capacité du gouvernement de légiférer.

Entre 1990 et 2013, le nombre d’affaires en règlement des différends investisseurs-États a été multiplié par six, autant que le montant d’investissements directs à l’étranger (IDE) au niveau mondial. Il n’y a pas eu d’« explosion » du nombre d’affaires jugées futiles, comme c’est parfois suggéré.

Le règlement des différends investisseurs-États offre la possibilité de régler de façon pacifique des conflits, empêchant de transformer les conflits économiques en véritables conflits politiques et diplomatiques entre les États.

Quarante-deux pour cent de ces affaires impliquent des litiges intra-UE. Au niveau mondial, 43 % des décisions juridiques sont en faveur de l’État, et 31 % en faveur des investisseurs.

RECOMMANDATION : Avec des volumes d’échanges transfrontaliers atteignant chaque année de nouveaux sommets, et avec des gouvernements souvent prompts à réglementer, un système de règlement des différends entre investisseurs et États efficace, transparent, indépendant et rapide est nécessaire. L’Accord économique et commercial mondial (AECD; CETA en anglais), le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (PTCI; TTIP en anglais) et les accords commerciaux futurs devraient contenir un chapitre sur le règlement des différends investisseurs-États.


Le règlement des différends entre investisseurs et États (RDIE) fait référence à une disposition trouvée régulièrement dans les traités bilatéraux d’investissement (TBI; BITs en anglais) et dans les accords commerciaux régionaux qui permettent aux investisseurs étrangers d’intenter une action directement contre un État devant un tribunal arbitral, lorsque cet État est jugé avoir rompu les conditions établies préalablement dans l’accord.(1)

Le RDIE est une caractéristique des TBI depuis les années 1950 et son emploi a été de plus en plus courant (en particulier pour l’accord de libre-échange nord-américain; ALENA ou NAFTA en anglais) dans les années récentes.(2) Le RDIE a récemment été sous le feu des activistes et des politiciens qui prétendent que cela porterait atteinte à l’autonomie des gouvernements en matière d’élaboration des politiques publiques, compromettant les initiatives qui cherchent légitimement à protéger l’intérêt général lorsque les intérêts particuliers sont affectés.(3) Ils soutiennent que cela est notamment visible dans « l’explosion » supposée des affaires de RDIE dans les dernières années,(4) ce qui reflèterait l’abus des investisseurs vis-à-vis de clauses qui appellent à un traitement « juste et équitable » par les gouvernements.

Ce qui suit répond à la plupart des plus saillantes revendications faites contre les procédures de RDIE.

Le RDIE est une procédure de compensation, pas un blocage de la réglementation publique

Les critiques soutiennent que le RDIE met en péril la capacité des gouvernements à réglementer, même lorsque l’intervention est justifiée par l’intérêt général dans des domaines comme l’environnement et la santé publique.

Cependant, il n’y a rien dans les procédures de RDIE qui empêchent les gouvernements de réglementer,(5) même quand de telles actions causent un dommage sévère aux intérêts des investisseurs étrangers, comme dans le cas des expropriations ou de l’interdiction de certaines activités commerciales. Par exemple, l’affaire d’arbitrage en cours entre Vattenfall et l’État allemand (un exemple souvent cité) n’a pas dissuadé l’Allemagne de procéder à l’élimination progressive de l’énergie nucléaire d’ici 2022, encore moins de réduire sa capacité à réglementer, à exproprier et à interdire.(6)

L’arbitrage en RDIE concerne strictement la garantie d’une compensation adéquate vis-à-vis de l’action publique, alors que la capacité et la décision finale d’agir reposent entièrement dans les mains de l’État.

Le RDIE reflète le véritable coût de la réglementation de l’économie, aidant à la prise de décision publique

Alors que les États conservent la capacité de réglementer et d’exproprier avec ou sans RDIE, ils peuvent faire face à des coûts supplémentaires lorsque des investisseurs étrangers ont la possibilité de porter plainte devant des tribunaux internationaux dès lors qu’ils se sentent inadéquatement compensés par une législation défavorable.

De cette manière, le RDIE aide à créer les incitations pour une meilleure prise de décision publique en reflétant le véritable coût de la réglementation publique. En proposant de nouvelles législations et réglementations, les gouvernements sont souvent prompts à souligner les bénéfices supposés des actions proposées, que ce soit un environnement plus propre, une population en meilleure santé ou une économie plus durable. Ils ont tendance à négliger les coûts réels de la réglementation, par exemple les coûts de la réduction de la concurrence, de la perte d’emplois, de l’altération de l’innovation et de l’élimination des perspectives de profits futurs pour les acteurs potentiels et existants — en particulier lorsque ces coûts reposent sur des entités étrangères sans représentation dans le pays en question.

Dans l’affaire Vattenfall contre l’Allemagne, la demande de la société d’électricité suédoise d’une compensation de 3,7 milliards de dollars, en raison de la décision de l’État allemand de supprimer graduellement l’énergie nucléaire, a suscité un certain tollé. Pourtant, en considérant que Vattenfall exploite deux usines nucléaires sur le sol allemand, et qu’ils ont estimé leurs pertes sur l’année financière 2011-2012 à 1,18 milliard d’euros,(7) le montant demandé se semble pas si disproportionné. De plus, si on tient compte du fait qu’en 2010, l’État allemand a voté pour l’extension de la vie des usines nucléaires de huit à quatorze ans, il est équitable de dire que l’élimination progressive a perturbé les plans d’activité des opérateurs nucléaires en Allemagne. La demande de compensation de l’entreprise représente donc le coût économique véritable de la réglementation publique. Si la compensation n’est pas accordée, ce coût sera d’une façon ou d’une autre répercuté sur les consommateurs et restera caché. Le RDIE rend explicite les coûts de l’action réglementaire et peut donc améliorer la prise de décision.

L’augmentation du nombre d’affaires d’arbitrage dans les dernières années reflète l’augmentation du nombre d’IDE et la transparence

Les critiques des RDIE citent souvent la croissance du nombre d’affaires d’arbitrage entre investisseurs et États comme un exemple du fait que les avocats d’affaires profitent des clauses d’investissement et poursuivent des affaires futiles contre une action publique pleinement justifiée.(8)

Pourtant, l’augmentation des litiges entre investisseurs et États (moins de 10 en 1993 et au moins 57 en 2013(9)) est largement corrélée avec la croissance énorme des investissements directs à l’étranger (IDE; FDI en anglais) dans les deux dernières décennies,(10) à la suite de l’ouverture des pays anciennement communistes et d’un encouragement général des IDE par les gouvernements des pays en voie de développement. Ainsi, lorsqu’on la considère en termes relatifs, l’augmentation des affaires de RDIE a été bien plus faible qu’elle n’est communément supposée, même si elle a réellement eu lieu.

Il faut aussi noter que les statistiques portant sur les litiges entre investisseurs et États n’incluent que les affaires connues dans a mesure où il n’existe pas de registre public de l’ensemble de ces arbitrages.(11) Le mouvement des dernières années en faveur de la transparence a pu favoriser l’arrivée à la surface d’un plus grand nombre de litiges et ainsi expliquer une partie de l’augmentation des procédures de RDIE.

Enfin, les deux dernières décennies ont témoigné d’un activisme sans précédent de la part des gouvernements occidentaux dans les domaines de la santé publique et de la politique énergétique et environnementale, ce qui peut avoir joué un rôle dans le recours croissant à un arbitrage en RDIE de la part des entreprises affectées. Il est intéressant de souligner que fin 2013, 43 % des 274 affaires résolues à l’échelle internationale ont été favorables à l’État, 31 % à l’investisseur, et dans 26 % des cas, il y a eu une négociation à l’amiable.(12)

Le RDIE est un outil important dans les relations entre les pays développés, ainsi qu’entre les pays en voie de développement

Le RDIE et son inclusion dans les TBI a démarré dans les années 1950, alors que les anciennes colonies nouvellement indépendantes ont cherché à rassurer les investisseurs étrangers qu’ils seraient protégés et adéquatement compensés en cas d’expropriation.(13)

Cela a conduit les critiques de ces règlements à soutenir que s’ils font sens dans le cadre d’accords commerciaux et d’accords d’investissement avec des pays qui ont un bilan médiocre en matière de respect de l’État de Droit, ils ne sont pas appropriés pour les traités entre les nations occidentales où la violation des principes fondamentaux du droit international est hors de question. Cela est particulièrement pertinent dans le contexte du Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre les États-Unis et l’Union européenne.(14)

Cependant, avec 42 % de procédures de RDIE en 2013 concernant des litiges intra-UE (c’est-à-dire des affaires portées par des investisseurs basés au sein de l’UE contre des États-membres de l’UE) et les pays européens en tête de liste des États à l’origine aussi bien des défendeurs que des investisseurs,(15) il semble y avoir une réelle demande pour un mécanisme de RDIE, y compris quand cela ne concerne que des pays développés.

En outre, l’élimination progressive du nucléaire en Allemagne et l’expropriation en 2012 de Yacimientos Petrolíferos Fiscales (YPF) en Argentine montrent que les expropriations et les interdictions restent assez ordinaires. Or, c’est largement grâce au TBI entre l’Espagne et l’Argentine que le litige YPF ne s’est pas envenimé.(16)

Le RDIE n’est pas un facteur décisif pour les IDE — mais cela ne mène pas non plus à un investissement sous-optimal

Certains critiques des procédures de RDIE ont prétendu qu’elles conduiraient à des décisions commerciales sous-optimales par les multinationales, guidées non par les forces de marché mais par des jugements politiques dans la mesure où elles auraient recours aux RDIE.(17)

Cependant, le constat que les RDIE ont un impact significatif sur les IDE est mitigé.(18) Certaines études ont trouvé que des règles d’admission souples étaient le facteur principal de la promotion des IDE, les RDIE ne jouant qu’un rôle mineur.(19) En outre, on a constaté que l’impact des RDIE sur les IDE varie significativement entre les secteurs : ceux qui sont sujets à une réglementation et à une intervention politique plus importantes (par exemple les services publics, les ressources naturelles, l’immobilier) sont plus susceptibles d’être affectés par les TBI que ne peuvent l’être les secteurs où les forces de marché jouent un rôle plus important.(20)

NOTES

1. European Commission, « Factsheet on Investor-State Dispute Settlement », 3 octobre 2013. Disponible à: http://trade.ec.europa.eu/doclib/docs/2013/october/tradoc_151791.pdf

2. Simon Lester, « Liberalization or litigation? Time to rethink the international investment regime », Policy Analysis No. 730 (Washington DC, Cato Institute, 2013), p. 2-5.

3. Pour une liste des arguments communément cites contre les procédures de RDIE, voir : http://corporateeurope.org/international-trade/2014/07/ttip-debunking-business-propaganda-over-investor-rights.

4. Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED), « Recent developments in investor-state dispute settlement (ISDS) », IIA Issues Note No. 1 (New York, UNCTAD, 2014), p. 2.

5. Daniel Ikenson, « A compromise to advance the trade agenda: purge negotiations of investor-state dispute settlement », Free Trade Bulletin No. 57 (Washington DC, Cato Institute, 2014), p. 2.

6. Nathalie Bernasconi-Osterwalder et Rhea Tamara Hoffmann, « The German nuclear phase-out put to the test in international investment arbitration? Background to the new dispute Vattenfall v. Germany (II) » (Berlin/ Amsterdam, PowerShift, 2013).

7. Ibid., p. 2.

8. Op. cit., note 2, p. 9.

9. Op. cit., note 4, p. 2.

10. Roderick Abbott, Fredrik Erixon et Martina Francesca Ferracane, « Demystifying investor-state dispute settlement (ISDS) », ECIPE Occasional Paper No. 5 (Brussels, ECIPE, 2014).

11. Voir note 10, ibid., p. 8.

12. Op. cit., note 4, p. 10.

13. Op. cit., note 10, p. 4-5.

14. Op. cit., note 2, p. 6-7.

15. Op. cit., note 4, p. 2-4.

16. Fredrik Erixon, « The ‘Repsol case’ against Argentina: lessons for investment protection policy », ECIPE Bulletin No. 4 (Brussels, ECIPE, 2014).

17. Op. cit., note 2, p. 9.

18. Voir Abbott et al., « Demystifying ISDS », p. 15-19, pour une revue succincte de la littérature sur la relation entre les TBI et les IDE.

19. Axel Berger, Matthias Busse, Peter Nunnenkamp et Martin Roy, « Do trade and investment agreements lead to more FDI? Accounting for key provisions inside the black box », Staff Working Paper ERSD-2010-13 (Washington DC, Organisation mondiale du commerce, 2010), p. 18.

20. Op. cit., note 10, p. 18-19.

RÉFÉRENCES

– Abbott, Roderick, Fredrik Erixon et Martina Francesca Ferracane. « Demystifying investor-state dispute settlement (ISDS) », ECIPE Occasional Paper No. 5/2014, Bruxelles, European Centre for International Political Economy, 2014.

– Berger, Axel, Matthias Busse, Peter Nunnenkamp et Martin Roy. « Do trade and investment agreements lead to more FDI? Accounting for key provisions inside the black box ». WTO Staff Working Paper ERSD-2010-13. Washington DC, Organisation mondiale du commerce, 2010.

– Bernasconi-Osterwalder, Nathalie, et Rhea Tamara Hoffmann. « The German nuclear phase-out put to the test in international investment arbitration? Background to the new dispute Vattenfall v. Germany (II) ». Berlin/Amsterdam, PowerShift, 2013.

– Erixon, Fredrik. « The ‘Repsol case’ against Argentina: lessons for investment protection policy ». ECIPE Bulletin No. 04/2014. Bruxelles, European Centre for International Political Economy, 2014.

– Ikenson, Daniel. « A compromise to advance the trade agenda: purge negotiations of investor-state dispute settlement ». Free Trade Bulletin No. 57. Washington DC, Cato Institute, 2014.

– Lester, Simon. « Liberalization or litigation? Time to rethink the international investment regime», Policy Analysis No. 730. Washington DC, Cato Institute, 2013.

– Conférences des Nations Unies sur le Commerce et le Développement (CNUCED). « Recent developments in investor-state dispute settlement ». IIA Issues Note No. 1, New York, CNUCED, 2014.

L’Institut économique Molinari

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