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5 questions à Cécile Philippe

Entretien publié le 13 décembre 2014 sur le site de Vu de France.

Bonjour. Pourriez-vous prendre la peine de vous présenter pour ceux qui ne vous connaissent pas et pour ceux qui croient vous connaître?

Je suis économiste (doctorat de l’université Paris-Dauphine) et j’ai créé, en 2003, l’Institut économique Molinari, un institut de recherche qui vise à comprendre et à expliquer les conséquences de l’intervention des pouvoirs publics dans nos vies.

S’il est un trait qui me caractérise, c’est celui de (vouloir? essayer? de) comprendre le monde dans lequel je vis et j’avoue que pendant de très nombreuses années, ce fut comme une boîte noire. Je n’y comprenais pas grand-chose, sauf peut être qu’en France il fallait un bon diplôme pour obtenir un bon job. D’où mes études à Dauphine. Reste que je n’y trouvais pas vraiment mon compte jusqu’à ce que : 1) je suive la maîtrise création d’entreprise et 2) je découvre enfin en 5ème année l’école d’économie autrichienne. Ce fut comme une révélation. Je trouvais enfin des auteurs – Friedrich A. Hayek, Ludwig von Mises, Carl Menger – que je comprenais et qui m’apprenaient comment fonctionne une économie complexe, le rôle des institutions, de la monnaie, etc.

Autant dire qu’il n’en fallait pas plus pour que je me plonge dans ce nouveau monde, décide d’écrire une thèse pour le plaisir de croiser chaque jour ces auteurs et d’approfondir mes connaissances. J’ai ensuite eu la chance de bénéficier d’une bourse à l’Institut Mises aux États-Unis où j’ai pu découvrir le monde des think tanks américains. À mon retour en Europe (plus exactement à Bruxelles), j’ai alors joint les deux cordes à mon arc : ma fibre entrepreneuriale et mon amour des idées en créant l’Institut économique Molinari. Après trois années passées en Belgique, j’ai retrouvé Paris que j’affectionne particulièrement. Évidemment, la France est un pays qui manque d’entrain et d’optimisme mais c’est aussi pour cela que nous nous activons au sein de l’Institut. J’espère que ce n’est pas trop prétentieux de dire qu’on aimerait bien redonner le sourire aux Français.

Vous êtes la dirigeante de l’Institut Molinari. Pour quelles raisons l’avez-vous fondé? Quels sont vos objectifs?

Je dirige effectivement l’IEM que j’ai fondé en 2003. J’étais alors à Bruxelles et l’institut était hébergé par un autre think tank ce qui me permettait de travailler à mi temps pour celui-ci et de commencer à développer les activités de l’IEM. Je me rappelle des conversations que nous avions à ce moment-là à propos de l’institut et une chose revenait systématiquement dans mon discours : on ne peut pas accepter une société qui exclut près de 10% de la population de son marché du travail (pour un chiffre plus significatif encore, j’ajouterais bien le taux du chômage des jeunes : plus élevé, c’est sexy et ça montre bien les difficultés à entrer en société).

Je crois que c’est sans doute la chose qui me révoltait le plus à l’époque et celle qui continue à susciter le plus d’indignation de ma part. Je suis d’ailleurs aujourd’hui convaincue que c’est au cœur du pessimisme français. On ne peut pas vivre sereinement dans un pays qui depuis trente ans subit les affres d’un chômage durable. En 1993, Alain Duhamel mentionnait déjà la peur du chômage comme l’une des grandes Peurs françaises (Flammarion, 1993). Vingt ans plus tard, les choses n’ont pas changé. La peur du chômage reste une tendance lourde de la société française avec son lot de conséquences sociales et psychologiques. Le taux de chômage en France n’est plus passé sous la barre des 4,5% de la population active depuis 1978. Il atteint aujourd’hui plus de 10%.

Il faut sans doute un petit grain de folie pour créer un institut de toutes pièces sans argent ni réseau (et d’ailleurs il a fallu beaucoup de temps pour donner une certaine visibilité à l’Institut) mais je ne me voyais pas professeur au sein de l’université française car je voulais à tout prix vivre selon le crédo que je défends, à savoir au sein d’une structure fondée sur des bases volontaires. Je les crois essentielles à la vie en société et elles sont justement fortement menacées par la croissance ininterrompue de la sphère publique.

Enfin, après avoir découvert un courant d’économie passionnant, je voulais continuer à l’explorer et le faire partager à d’autres.

J’ai assisté à la troisième et à la quatrième édition de l’Université d’automne en économie autrichienne. Serait-il possible d’expliquer pour quelles raisons vous avez décidé de créer cet événement? D’une manière générale, est-ce que vous êtes une « autrichienne »?

L’IEM a pour vocation de faire comprendre l’économie à des personnes intéressées mais non expertes. Dès le début, le projet a eu une dimension éducative. À travers l’analyse des questions de politiques publiques, nous essayons d’expliquer comment fonctionnent nos économies, ce qui n’est pas toujours évident tant les choses sont devenues entremêlées. Or, pour ce faire, il nous faut bien sûr les comprendre nous-mêmes et du coup lors de la création de l’IEM, j’ai immédiatement fondé un séminaire que nous avons appelé séminaire Action Humaine.

Il s’agissait d’étudier chaque semaine un chapitre du volumineux ouvrage de Ludwig von Mises lui-même intitulé L’Action Humaine. Ce séminaire a attiré entre 10 et 15 personnes chaque semaine pendant deux ans. Certains des participants – étudiants à l’époque – sont depuis devenus des professeurs et il a finalement été possible d’envisager un projet de plus grande envergure, à savoir une université d’automne autour de cette école que nous trouvons particulièrement utile à la compréhension des phénomènes économiques.

Ce projet, c’est aussi celui du professeur Guido Hülsmann que j’avais rencontré au Mises Institute et qui, devenu professeur à Angers, souhaitait créer en France une université qui pourrait ressembler à celle du Mises et qui avait fait notre admiration à tous. Enfin, c’est la rencontre avec Éric Lemaire de 24hGold (un de ces entrepreneurs intellectuels) qui a permis de concrétiser le projet. En 2015, nous organiserons la 5ème édition de cette université. Elle comprend systématiquement des conférences pour ceux qui veulent comprendre les fondamentaux de l’école autrichienne et des conférences qui portent sur un thème plus spécifique. Cette année, nous avons ainsi parlé du thème de la pauvreté.

Cette université d’automne s’inscrit donc dans la continuité du séminaire Action Humaine. Ce projet éducatif a été rendu possible grâce à ces rencontres amicales et professionnelles autour d’un constat : les enseignements de l’école d’économie autrichienne sont essentiels à une bonne compréhension des phénomènes économiques et sociaux.

Pour ma part, je me sens proche de cette école que je considère comme la plus pertinente en matière d’économie mais je ne saurais m’y cantonner dans la mesure où ce qui m’intéresse fondamentalement, c’est l’être humain sous toutes ces dimensions et je suis convaincue de l’intérêt d’une approche transversale des choses. Du coup, je m’intéresse tout particulièrement à la psychologie, à l’épistémologie, à la philosophie, à la théorie politique afin de faire avancer mes recherches.

Vous venez de publier Trop tard pour la France, osons remettre l’État à sa place. Justement, quelle est, selon vous, la place que doit occuper l’État dans notre système politique?

La place de l’État devrait définitivement être moindre. Mon livre s’adresse aux Français qui s’interrogent, qui comprennent que tout ne tourne pas rond, sans être pour autant des spécialistes.

Il propose des pistes de réflexion sur des sujets au cœur de l’actualité qui suscitent beaucoup d’inquiétude. En particulier, il suggère que la société française souffre avant tout de son État qui à force de croître à tort et à travers, à force d’intervenir pour un oui ou pour un non, empêche les autres institutions concurrentes de jouer leur rôle et les individus d’exprimer leurs choix, d’être en contrôle de leur vie.

Ces institutions, de la coopérative fondée sur l’autogestion, à l’entreprise, à la famille, aux syndicats, en passant par les associations sans but lucratif et autres mutuelles, reposent sur l’échange volontaire. Or, sans qu’on s’en rende vraiment compte, plus on avançait dans le 20ème siècle et plus le pouvoir de chacune de ces entités diminuait.

C’est ainsi que l’État s’occupe de la santé, des retraites, de la gestion des risques, du système de chômage, de l’éducation, des infrastructures routières, des services postaux, des voies ferroviaires, etc. Il n’y a presque plus aucun domaine de la vie qui soit laissée à l’initiative individuelle et à la responsabilité. En particulier, il y a un domaine où l’État a maintenu une chape de plomb et autorisé tous les dérapages : le monde bancaire et financier. Si le problème des banques n’est toujours pas résolu aujourd’hui, c’est parce que notre État est accro à l’endettement et a laissé les banques faire des profits incroyables en même temps qu’elles lui faisaient crédit. Résultat, nous traversons cycle économique après cycle économique, ce qui en plus d’opérer des redistributions financières injustes, laisse nos économies en difficulté. Nous ne sommes toujours pas sortis de la dernière crise en date, à savoir celle de 2008, et nous risquons bien d’en traverser de nouvelles.

Ceci a permis à l’État de croître tout au long du 20ème siècle et début du 21ème sur le dos d’institutions volontaires pourtant efficaces. Prenons le cas des retraites.

La lecture de l’Humanité fondé par Jean Jaurès en 1904 est bien plus stimulante que toute une série de lectures modernes. Pourquoi, parce qu’à l’époque on débattait encore des vrais questions, avec une vigueur qui a de quoi à surprendre aujourd’hui. Qu’y trouve-t-on? Du pragmatisme et du débat. Dès le début du 20ème une série d’initiative proposent de généraliser la capitalisation. Jean Jaurès, le fondateur de l’Humanité se range au côté de ceux qui considèrent que la capitalisation constituait pour l’assurance retraite « un gage plus certain, une base plus solide ». Selon lui, la capitalisation est « en soi est parfaitement acceptable et peut même, bien maniée, par un prolétariat organisé et clairvoyant, servir très substantiellement la classe ouvrière. » On sait que l’Histoire ne lui donna pas raison et en 1945-46, la France se dote d’une organisation monopolistique issue de la nationalisation des caisses d’obédience mutualiste, syndicales et l’expropriation des assureurs qui ôte tout choix individuel.

Autre exemple, celui de la santé. Aujourd’hui, les gouvernements successifs se battent pour la maîtrise comptable des coûts face au dérapage des déficits du système santé depuis sa création. Concrétisée par l’Ondam, elle est supposée incarner de nouvelles valeurs : productivité, efficacité, la rationalisation à toutes les sauces. Ce faisant, le système de santé s’étatise toujours davantage. Or, comme le montrent les exemples des systèmes 100% étatisés, Canada et Angleterre, ils coutent chers et créent des listes d’attente très longues. Au point que la Cour suprême du Canada a reconnu dans un arrêt historique de 2005 que des patients meurent « en raison de listes d’attente pour la prestation de soins de santé publics ».

On ne sortira pas de la spirale inflationniste des coûts si on refuse de dissocier l’accès des plus faibles à la santé et la production de santé. Pour nous y aider, il suffit de faire un retour en arrière et regarder l’expérience française de financement et de fourniture de soins au 19ème siècle. Les sociétés de secours mutuel et les sociétés d’assurance qui ont précédé la création de la Sécurité sociale en 1946 ont permis un essor de la prévoyance individuelle. Elles ont mis au point des techniques performantes et innovantes afin de faire payer à chacun le prix juste et éviter l’explosion des coûts. Elles ont ainsi multiplié les contrats, fait varier le degré de couverture des risques à l’aide de différentes techniques comme le ticket modérateur ou le partage des frais. Elles ont négocié des tarifs préférentiels ou des abonnements annuels avec les praticiens, implanté des centres de consultations, des dispensaires, des cliniques dentaires, des sanatoriums. Les mutualistes vont aussi être actifs dans les négociations d’achats de médicaments ou la création d’officines spécialisées. La maîtrise comptable des coûts risque de sacrifier la santé sur l’autel des coûts alors qu’en réintroduisant une véritable concurrence dans le système – et en aidant les plus modestes – on peut sortir de la spirale actuelle.

Pour finir, beaucoup estiment que notre système économique touche à sa fin, qu’il faut acheter de l’or pour protéger son épargne et patrimoine. Qu’en pensez-vous?

J’ai toujours pensé que l’or faisait partie d’une stratégie d’épargne saine, à savoir qu’il offre une certaine sécurité dans un contexte de bouleversements monétaires et financiers importants. J’ai l’habitude de dire que cela devrait constituer 15% du patrimoine des gens mais quand je dis cela, je le dis à titre personnel. Je ne suis en aucun cas conseillère financier. Cela me semble tout simplement raisonnable eu égard aux errements financiers des dernières décennies et ce à quoi nous préparent les politiques monétaires des grandes banques centrales – Banque du Japon, BCE, Fed, etc.

Propos recueillis par Franck ABED

L’Institut économique Molinari

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