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La France, ultralibérale ou ultraétatiste?

Texte d’opinion publié le 4 novembre 2014 dans Figaro Vox.

Dans son dernier livre, Trop tard pour la France?, l’économiste Cécile Philippe s’interroge sur la question de la place de l’État dans notre société. Celui-ci en fait-il trop ou pas assez?

Selon une idée répandue en France, nous vivons l’ère du libéralisme triomphant. Or, les données empiriques indiquent, au contraire, que la tendance marquante des dernières décennies est la montée en puissance de la sphère publique.

Il est vrai qu’au cours des dernières décennies, des changements majeurs ont laissé plus de place aux libertés civiles et économiques, qu’il s’agisse des pays d’Europe de l’Est qui ont vu en 1989 la fin du communisme, des membres de l’Union européenne qui ont joui d’une plus grande liberté de mouvement des biens et des personnes en son sein ou de la Chine et de l’Inde qui s’ouvrent au développement.

Sauf que ces évolutions n’ont aucunement empêché de voir se poursuivre l’augmentation de la taille et de la puissance des États au XXe-début XXIe siècle. En fait, la plupart des gens ont tendance à croire qu’ils vivent dans une société du « tout capitaliste » ou « tout libéral » parce que les termes s’y référant sont régulièrement employés, y compris dans des secteurs qui – loin de se libéraliser ou de se privatiser – continuent sur la voie de l’étatisation (comme le secteur de la santé en France).

Au début du XXe siècle, les dépenses publiques en France ne représentaient qu’un peu plus de 10 % du PIB français. Au cours du siècle, le poids relatif de l’État n’a jamais cessé d’augmenter. C’est dans les années 1980 que la barre symbolique des 50 % est franchie. Si la croissance de l’État s’est ensuite ralentie, le ratio n’a pas diminué et atteignait un nouveau record en 2013 de 57,1 % du PIB.

Or, quand les dépenses publiques représentent plus de la moitié du PIB, est-il légitime de parler de libéralisme ou de capitalisme triomphant ? La dépense publique est financée pour la plus grande partie par le prélèvement d’impôts ou de charges. Cela signifie concrètement que les choix publics se substituent aux choix privés au fur et à mesure que le poids des dépenses publiques augmente.

Le système français offre des prestations spécifiques en échange du prélèvement de certaines charges comme les cotisations sociales. Ainsi, en échange de leur paiement, les individus ont droit à des prestations santé ou retraite. Il n’en demeure pas moins que les individus au sein d’une telle organisation – à la différence d’un système libre – se voient dans l’impossibilité de disposer d’une partie de plus en plus large de leurs revenus tandis que les prestations, dans le meilleur des cas, restent stables et sinon diminuent.

Le citoyen-contribuable peut certes tenter d’orienter la prise de décision collective, par exemple en votant ou en adhérant à un syndicat, mais son influence est diluée. Il n’a plus la possibilité de décider individuellement combien il souhaite allouer globalement au titre des services financés par ses impôts et charges. De même, il ne peut plus imposer ses préférences, en donnant la priorité à un service public ou social plutôt qu’à un autre. Ceci est d’autant plus vrai que l’inflation réglementaire est sans borne. La législation française est en augmentation de sept pour cent par an. Les Français vivent sous l’empire de onze mille lois – dont certaines dépassent les deux cents pages – et de cent trente mille décrets.

Ainsi, au fur et à mesure que le ratio dépense publique/PIB augmente, le mode d’organisation économique de la France s’éloigne d’un mode libre pour se tourner toujours plus vers des prises de décisions publiques plutôt que privées. En ce sens, le XXe et le début du XXIe siècle révèlent un recul spectaculaire du système fondé sur les droits de propriété au profit d’une croissance ininterrompue de la sphère publique. C’est le monde dans lequel vivent les Français depuis les années 1980 et c’est visible à tous les niveaux de notre société puisque nous avons adopté en France une gestion publique de nos risques santé, retraite, chômage et même technologique avec l’inscription en 2005 du principe de précaution dans notre constitution.

De fait, la réalité française est plutôt celle de l’étatisme triomphant et c’est peut-être une des raisons du mal être français face à un monde qui change rapidement. Les structures publiques n’ont pas les capacités d’adaptation nécessaires aux évolutions actuelles. Elles se révèlent incapables de fournir des prestations bon marché, notamment parce qu’elles ont éliminé un élément fondamental au fonctionnement de notre économie : la concurrence.

Depuis des décennies rien n’a empêché la réduction comme peau de chagrin de notre sphère d’autonomie. Il est donc peut-être temps de regarder la réalité et cesser de prendre le libéralisme comme bouc émissaire de l’échec de nos politiques publiques.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari et auteure de Trop tard pour la France? Osons remettre l’État à sa place (Les Belles Lettres, 2014).

Cécile Philippe

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