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La fiscalité nutritionnelle relève d’un dangereux paternalisme

Texte d’opinion publié le 10 octobre 2014 dans Le Temps.

Le but des taxes sur les vices est de générer plus de recettes fiscales pour un État surendetté. Une fiscalité nutritionnelle augmenterait les contraintes qui pèsent sur l’économie française sans pour autant générer les effets attendus en termes de santé publique.

Pierre Moscovici a récemment déclaré que le déficit du gouvernement français – revu à 4,4% pour 2014 – était un «problème sérieux». Un aveu important de la part de l’ancien ministre des Finances, mais qui embarrasse sans doute son successeur qui ne sait comment redresser les comptes publics.

Dans un tel contexte, toutes les sources de recettes sont bonnes à prendre, surtout si elles offrent un bénéfice social. Ce serait le cas des taxes pesant sur les «vices» de comportement des consommateurs. Le tabac et l’alcool (mis à part le vin) sont déjà fortement taxés en France, mais il reste une nouvelle tentation, si l’on peut dire, pour le gouvernement: la fiscalité nutritionnelle.

Cette fiscalité est en croissance dans le monde. La Finlande, la Hongrie et le Mexique, pour ne citer que quelques exemples, taxent les boissons sucrées. La France pour sa part impose un prélèvement de 7,45 €/hl sur les boissons contenant des sucres ajoutés ou des édulcorants ainsi qu’une taxe de 1 €/l sur les boissons énergisantes. Mais d’autres aliments, particulièrement ceux contenant du gras, du sel ou de la caféine, pourraient aussi faire l’objet d’un prélèvement.

C’est en tout cas ce que prônent deux rapports par les sénateurs Daudigny et Deroche et par le professeur Hercberg. Ils mettent en avant les problèmes de santé publique liés à l’accroissement du tour de taille. Le phénomène est mondial, et la France n’est pas épargnée. Les adultes considérés comme obèses y représentent 15% de la population alors qu’ils n’étaient que 8,5% en 1997. La consommation d’aliments jugés de mauvaise qualité nutritionnelle est tenue principalement pour responsable. La solution fiscale aurait le double avantage d’améliorer la santé publique et de générer, de façon inavouée, des recettes fiscales.

Bien qu’attractive, une telle politique serait peu efficace.

Tout d’abord, les causes de l’obésité sont complexes et pas uniquement liées à la pauvreté nutritionnelle des aliments. La hausse du poids est en partie causée par l’accroissement de la valeur du temps, la diminution des travaux pénibles et la baisse du prix de la nourriture depuis les années 1950. De plus, il est faux de penser que les personnes obèses représenteraient un surcoût pour la société. Lorsque les coûts de l’obésité sont mesurés sur la durée de vie entière, les personnes obèses généreraient en fait 12% de coûts en moins que celles de poids normal.

Mais le problème majeur de la fiscalité nutritionnelle est d’estimer son impact sur les comportements. Ainsi, une taxe pourrait générer une forte réponse de la part de ceux qui consomment modérément des graisses saturées sans pour autant réduire la consommation de ceux qui en abusent. En outre, la répercussion des taxes sur les prix de vente est loin d’être assurée. Les producteurs peuvent réduire leur marge, voire modifier les caractéristiques de leurs produits pour réduire le poids des taxes.

De surcroît, les consommateurs cherchent souvent à fuir l’impôt. Lorsque la «fat tax» était en place au Danemark, jusqu’à 48% des Danois allaient faire leurs courses en Allemagne et en Suède. Mais une fiscalité en hausse contribuerait surtout à développer un marché noir, comme c’est maintenant le cas pour le tabac et l’alcool.

Tout aussi problématique pour le législateur sont les réactions de substitution aux prélèvements fiscaux. Les consommateurs pourraient remplacer les aliments taxés par des marques moins chères mais tout aussi pauvres d’un point de vue nutritionnel.

Dans tous les cas, les ménages les plus impécunieux seraient plus affectés par le fardeau fiscal car les denrées alimentaires représentent une plus grande proportion de leur budget que pour les ménages plus aisés. Cela semble incohérent au vu des baisses d’impôts et de charges de 3,5 milliards d’euros annoncées dans le pacte de responsabilité et de solidarité!

C’est qu’il faut comprendre que la fiscalité nutritionnelle relève avant tout d’un paternalisme bienveillant qui, pourtant, présente bien des dangers. Ainsi, l’État ignore les solutions qui émergent naturellement, telles que le développement du «food conscious eating» aux États-Unis.

Plus important encore, le législateur fait preuve d’une présomption confondante quant aux effets des aliments dits nutritionnellement pauvres. Il n’est pas certain que les acides gras saturés aient les effets négatifs tant décriés. Un nombre croissant d’études rejette le lien entre ces graisses et les maladies cardio-vasculaires.

Mais ne nous cachons pas la face, le but des taxes sur les vices est de générer plus de recettes fiscales pour un État surendetté. Une fiscalité nutritionnelle – avec des taux minimums de 20%, selon le rapport Hercberg – augmenterait les contraintes qui pèsent sur l’économie française sans pour autant générer les effets attendus en termes de santé publique.

Frédéric Sautet est chercheur associé à l’Institut économique Molinari et auteur de «La fiscalité nutritionnelle : outil peu efficace de politique de santé publique».

Frédéric Sautet

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