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Impôts, mais où va l’argent ?

Article de Cyrille Lachèvre et Raphaël Legendre publié le 9 septembre 2014 dans L’Opinion.

Paralysé par la crainte d’une fronde fiscale, incapable de réduire les dépenses, le gouvernement subit la dégradation des finances publiques et renonce à augmenter la TVA. Alerte rouge.

Les faits – Par peur d’une nouvelle révolte fiscale, en plein scandale Thévenoud, le gouvernement a renoncé le week-end dernier à augmenter la TVA l’année prochaine. Résultat, le déficit sera supérieur à 4 % en 2014, mais aussi en 2015, a révélé mardi Manuel Valls. Un laisser-aller que pourrait sanctionner l’agence de notation Moody’s, alors, qu’en parallèle, les dépenses publiques ne cessent d’augmenter. Et les Français n’en profitent pas ! Leur niveau de vie a reculé en 2012.

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Un an après l’éclatement de la révolte fiscale qui a vu s’enflammer les portails écotaxe de France et de Navarre, l’Élysée a tranché : il n’y aura pas de hausse de la TVA l’année prochaine. L’arbitrage a été rendu samedi. Une victoire pour Bercy, fermement opposé à toute hausse d’impôt. Un échec pour Manuel Valls, qui cherchait à dégager une quinzaine de milliards d’euros de marges budgétaires. Cette porte désormais fermée, reste deux options au gouvernement : faire davantage d’économies ou laisser filer les déficits. C’est malheureusement cette facilité qu’il semble avoir choisie. Michel Sapin a déjà prévenu que le déficit sera « supérieur à 4 % cette année ». La situation est en réalité bien pire ! Mardi, à la réunion de rentrée du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, le Premier ministre a affirmé aux députés que le déficit sera compris entre 4,1 % et 4,3 % cette année, et à nouveau « au-delà de 4 % en 2015 ». Bruxelles appréciera.

Cet aveu signe le constat d’échec de la politique économique gouvernementale, qui a fait le choix, depuis deux ans, d’une hausse massive de l’impôt – plus de 30 milliards d’euros – pour réduire les déficits. En 2012, les recettes fiscales nettes de l’État ont augmenté de 13,4 milliards d’euros alors que le déficit ne s’est réduit que de 3,5 milliards. Rebelote en 2013 où les impôts ont encore augmenté de 15,6 milliards supplémentaires. Las, le déficit ne s’est réduit que de 12,3 milliards. En deux ans, l’État, en augmentant les impôts, a donc engrangé près de 30 milliards de recettes fiscales supplémentaires, sans réussir à faire baisser de plus de 15,8 milliards le déficit. Et cette année, il pourrait même augmenter !

A l’heure où les contribuables reçoivent leurs avis d’imposition 2014, Bercy a publié, mardi, les chiffres du déficit de l’État à la fin juillet. Il s’est creusé de 3,3 milliards d’euros en un an, à 84 milliards d’euros. De quoi nourrir l’exaspération des 76 % de contribuables redevables de l’impôt qui voient leur facture fiscale s’alourdir une nouvelle fois cette année, sans que la situation du pays ne s’en trouve améliorée.

Où va l’argent ? Dans une dépense publique qui, malgré la dénonciation d’une pseudo-austérité stigmatisée par une partie de l’aile gauche de la majorité, n’a jamais cessé d’augmenter. « Durant les quatre dernières décennies, la dépense publique n’a jamais été contrôlée. Les seules périodes d’ajustement budgétaire connues sous Barre, Fabius ou Juppé, l’ont été par des hausses d’impôts. Ce système a encore marché de 2010 à 2011 sous le gouvernement Fillon [le déficit est alors passé de 150 milliards à 90 milliards d’euros, NDLR], mais aujourd’hui, il ne fonctionne plus », commente Pierre-François Gouiffès, maître de conférences à Sciences-Po et auteur de l’ouvrage L’âge d’or des déficits (La Documentation Française). La sphère publique doit désormais travailler à sa réduction, alors que la France affiche le deuxième plus haut taux de dépenses publiques de l’OCDE (après le Danemark) : près de 57 % du PIB quand la moyenne des pays de l’OCDE ne dépasse pas 45 %. Et occupe la première marche du podium pour les seules dépenses sociales (33 % du PIB).

Si l’État a engagé un travail de contrôle (les dépenses de personnels ont reculé de 0,2 % et les dépenses de fonctionnement de 6,4 % depuis un an), les dépenses de sécurité sociale et des collectivités locales continuent d’augmenter. La Sécu affichait encore un déficit de plus de 16 milliards en 2013 quand les collectivités ont augmenté, dans le même temps, leurs dépenses de 3,2 %. Pour quel résultat ? Vit-on mieux en France aujourd’hui qu’au début des années 2000, quand le pays affichait un taux de dépenses publiques inférieur à 52 % ? La réalité, c’est que la situation a plutôt tendance à s’aggraver. En témoigne une étude publiée mardi par l’Insee. Elle montre que le niveau de vie médian des Français a baissé de 1 % en 2012. C’est à partir de ce niveau que l’on peut calculer le seuil de pauvreté, fixé à 60 % du revenu médian. Selon l’Insee, 8,3 millions de Français vivaient sous ce seuil en 2012. Plus inquiétant, « l’intensité de la pauvreté » s’accroît : c’est ainsi que l’Institut qualifie le phénomène par lequel le niveau de vie des personnes pauvres s’éloigne du seuil de pauvreté. De fait, la moitié des Français pauvres vivent avec moins de 784 euros par mois, un niveau qui n’avait jamais été aussi bas depuis 2006.

Non contente de ne pas éviter la grande précarité, la dépense publique mal calibrée ne rime pas davantage avec efficacité. « Les Nations Unies classent la France en 20e position sur 177 pays dans leur indice de développement humain et la France est 8e au sein de l’Union européenne, rappelle Cécile Philippe, directrice générale de l’Institut Molinari. Une position qui n’est pas à la hauteur de nos dépenses publiques : des pays ayant une pression fiscale moindre, comme l’Autriche, la Finlande, la Slovénie ou le Danemark obtiennent en effet un indice de développement humain proche du nôtre ou même supérieur, comme en Allemagne ou aux Pays-Bas ». L’indice Better Life de l’OCDE place pour sa part l’hexagone en 18e position sur 36, preuve là aussi « que contrairement aux idées reçues, la pression fiscale et sociale française ne s’explique pas par une offre plus attractive des prestations », poursuit Cécile Philippe pour qui on peut lire ces indices de manière différente : « Ils prouvent que les prestations sociales et publiques françaises ne sont pas bon marché ».

Mais l’étude de l’Insee va plus loin. Elle montre que les familles mono parentales sont de plus en plus touchées par la pauvreté alors que comparativement, la situation des retraités s’améliore. La part des familles monoparentales dans la population pauvre passe de 20,6 % en 2011 à 22,3 % en 2012 – elles ne représentent pourtant que 8,6 % de la population française. « Leur revenu d’activité moyen diminue de 5 % si bien que la pauvreté s’accroît parmi les mères actives de familles actives, résume l’Insee. En outre le nombre de familles monoparentales percevant des minima sociaux est en hausse par rapport à 2011 ».

Par contraste le niveau de vie médian des retraités a progressé de +0,3 %, sous l’effet notamment de la revalorisation des pensions ainsi que l’amélioration de l’allocation de solidarité aux personnes âgées. Au final le taux de pauvreté des retraités continue de baisser, à 8,4 % contre 9,3 % en 2011. Un taux de pauvreté qui atteint en revanche 36 % des familles monoparentales, soit une sur trois ! Une preuve supplémentaire que la hausse des dépenses publiques ne se traduit pas automatiquement par une amélioration du niveau de vie des Français. Bien au contraire.

L’Institut économique Molinari

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