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Taxes sur les huiles : les limites de la fiscalité comportementale

Texte d’opinion publié le 16 juin 2014 dans Les Échos.

Le projet de taxe sur l’huile de palme pourrait ressortir à l’occasion de la loi de santé publique préparée par la ministre de la Santé Marisol Touraine. Baptisée « taxe Nutella » du nom de la célèbre pâte à tartiner qui en contient, la proposition n’avait finalement pas été retenue. Elle n’a cependant jamais été oubliée par le Sénateur Daubigny qui s’est entiché du sujet et a produit un rapport avec Catherine Deroche défendant cette fois une proposition plus subtile, à savoir l’harmonisation des taxes sur les huiles en France.

Comme on peut le lire dans le rapport « une harmonisation de la taxation des huiles permettrait […] d’inciter industriels et consommateurs à diversifier leur consommation. » Puis de citer le professeur Jean-Michel Lecerf qui explique « Il n’y a pas d’huile parfaite. […] Une bonne alimentation suppose de consommer un peu de toutes les matières grasses. Une consommation excessive d’une seule d’entre elle serait péjorative. » Dans cette logique, il est effectivement difficile d’expliquer pourquoi certaines huiles seraient plus taxées que d’autres.

C’est d’ailleurs là un intérêt du rapport que de faire remarquer cette incohérence de la fiscalité française. « Selon la réglementation en vigueur, un kilo d’huile d’olive est aujourd’hui taxé 53 % de plus qu’un kilo d’huile de colza, 42 % de plus qu’un kilo d’huile de palme et 40 % de plus qu’un kilo d’huile de coprah ou de palmiste. De même, l’huile de tournesol est taxée plus de 40 % de plus que l’huile de pépins de raisins, près de 25 % de plus que l’huile de palme et 23 % de moins que les huiles de coprah ou de palmistes. » D’où l’idée d’harmoniser les taxes puisqu’il faudrait consommer un peu de toutes les matières grasses. Il est clair que ce régime fiscal entraîne des distorsions économiques difficilement explicables.

Seulement, voilà. L’idée des sénateurs est d’harmoniser à la hausse les taxes sur les huiles plutôt qu’à la baisse, ce qui pourrait amener à taxer toutes les huiles à hauteur de l’huile d’olive, soit 18,542 euros pour 100 kg. Cette hausse de la taxation s’explique par la croyance en l’efficacité d’une fiscalité comportementale qui détournerait les industriels et les consommateurs de produits mauvais pour la santé, en l’occurrence ceux qui contiennent une grande quantité d’acides gras saturés.

À ce compte là, il faudrait d’ailleurs aussi envisager d’augmenter les taxes sur le beurre doux. Alors qu’il contient plus d’acides gras saturés que l’huile de palme (54,9g contre 49,36), il continue de bénéficier de la TVA à taux réduit (5,5%) alors que les margarines et matières grasses végétales se voient imposer la TVA à taux normal, soit 20%.

On y gagnerait sans doute en cohérence mais pas en efficacité. Car si harmonisation, il doit y avoir, c’est plutôt à la baisse qu’il faudrait l’envisager afin de supprimer des distorsions économiques inexplicables et acter des limites d’une fiscalité comportementale qui n’a pas fait ses preuves en termes de santé publique.

Cette fiscalité, qui nuit au pouvoir d’achat des plus modestes, présente l’inconvénient de susciter une multitude d’effets pervers inattendus, comme les substitutions, le développement du commerce transfrontalier ou le recours au marché noir.

Le tabac fournit un parfait exemple de substitution. Face à la hausse des taxes sur les cigarettes en France, les fumeurs ont eu tendance à se tourner davantage vers le tabac à rouler. Or ses effets sur la santé sont au moins aussi nocifs que ceux des cigarettes. Ce phénomène est aussi attesté depuis des décennies aux États-Unis. Dans ce pays où une taxe soda existe depuis les années 1920, des experts ont conclu à l’absence d’impact réel sur le surpoids et l’obésité. Du fait d’un changement des comportements face à la politique fiscale, les jeunes se sont en effet mis à consommer plus de calories provenant de boissons meilleur marché.

Au Danemark, premier pays à avoir imposé une taxe sur les graisses saturées, on a constaté une croissance importante du commerce transfrontalier vers l’Allemagne et la Suède. Conséquence la taxe en question a été supprimée dans la foulée.

Enfin, cette fiscalité présente l’inconvénient de nourrir les marchés noirs, qui n’offrent pas de garanties aux consommateurs. Plus la part de la fiscalité dans le prix final est significative, plus cela offre des opportunités sur les marchés illégaux. L’économie souterraine, qui permet aux individus de limiter l’érosion de leur pouvoir d’achat, gagne mécaniquement du terrain. Le sujet est loin d’être anecdotique, l’économie souterraine étant évalué à 18,5% du PIB européen.

Il y a une certaine ironie à vouloir charger la barque de la fiscalité nutritionnelle quand dans le même temps, le gouvernement français annonce des mesures fiscales visant à favoriser les revenus faibles ou s’alarme de l’essor de la fraude.

Il serait temps de montrer un peu de cohérence, en commençant par harmoniser à la baisse les taxes plutôt qu’à la hausse.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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