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Les limites d’un plafond constitutionnel aux déficits

Texte d’opinion publié le 17 février 2011 dans La Tribune.

La crise véritable se trouve dans la banalité et la permanence des déficits et des dettes publics qui sont à la base des politiques économiques des pays occidentaux depuis plus de quarante ans.

Jusqu’à la crise grecque, déficits et dettes publics étaient vus comme des instruments importants mis à la disposition des gouvernements pour relancer l’activité ou encore limiter les effets négatifs du cycle économique. Cette approche des finances publiques a cependant créé une dynamique destructrice à long terme.

Avec 150 milliards d’euros de déficit (soit 7,7 % du PIB) et 1.600 milliards d’euros de dette publique (soit plus de 83 % du PIB), la France se trouve dorénavant accoutumée à l’emprunt comme un fumeur l’est au tabac : la dette sert à financer les dépenses courantes ! La faible croissance économique tend à augmenter le risque de défaut et avec lui le coût de la dette.

En réaction, le gouvernement Fillon propose une règle budgétaire pour permettre une meilleure maîtrise des finances publiques. Imitant les Allemands qui ont récemment amélioré leur règle d’or, la France adopterait une règle qui, selon Nicolas Sarkozy, «ferait obligation à chaque gouvernement issu des urnes de s’engager pour cinq ans sur une trajectoire de déficits».

L’opposition refuse d’approuver la réforme, bloquant ainsi potentiellement l’amendement constitutionnel. Les socialistes pensent que toute règle sera violée et n’a donc que peu d’utilité. «La nécessaire réduction du déficit est une affaire de volonté et pas de Constitution», explique le secrétaire national du Parti socialiste à l’économie, Michel Sapin.

En un sens, l’opposition a raison. L’augmentation des dépenses publiques en termes de PIB depuis la fin des années 1960 est une conséquence directe de la dynamique démocratique parlementaire. Les politiques achètent des votes grâce aux dépenses publiques, ce n’est un secret pour personne. Cette tendance balaye tout sur son passage et la plupart des règles – qui souffrent d’exceptions réduisant leur efficacité – sont contournées.

Malgré sa règle d’or, l’Allemagne a vu un triplement de sa dette publique depuis les années 1970. Même la Nouvelle-Zélande, qui a connu dix-sept années d’excédent budgétaire grâce à son «Public Finance Act», doit maintenant faire face à un déficit et une dette publics en augmentation.

L’expérience universelle montre que l’inclination naturelle des gouvernements est de dépenser toujours plus. Les périodes de vaches grasses budgétaires, comme la fameuse cagnotte du gouvernement Jospin, ne sont généralement pas le résultat d’une prudence gouvernementale, mais celui d’une croissance imprévue.

Ainsi, personne ne veut d’une règle trop contraignante. La majorité veut pouvoir continuer à dépenser pour gagner les prochaines élections et l’opposition désire faire des promesses pour les mêmes raisons. Mais ce n’est pas une fois que les sirènes ont commencé à chanter que l’on s’attache au mât ; il faut le faire avant.

En effet, et contrairement aux affirmations de Michel Sapin, des mécanismes institutionnels peuvent permettre la maîtrise des finances publiques. L’expérience montre que la règle la plus efficace est constitutionnelle et utilise la démocratie directe. Le «Taxpayer’s Bill of Rights» dans l’État du Colorado aux États-Unis en est le meilleur exemple.

Sous ce régime, les dépenses publiques ne peuvent augmenter qu’en proportion de l’inflation et de la population. Tout accroissement supplémentaire est soumis automatiquement à un référendum. Cette règle a limité l’accroissement des dépenses de l’État entre 1992 et 2006 en dessous du taux de croissance de son PIB (28 % contre 30 %), permettant ainsi un surcroît de revenus pour les ménages.

Consulter les contribuables permet de savoir s’ils veulent vraiment payer pour des nouvelles dépenses. Mais ce qui fait son succès limite aussi son adoption. Une telle contrainte ne peut être choisie que si les électeurs désirent une stricte limitation des dépenses publiques, ce qui est rare. Ils peuvent aussi parfois changer d’avis et amender la règle ; ce qu’ils ont fait au Colorado en 2005 et qui a permis au gouvernement de garder 1,3 milliard de dollars d’excédent l’année suivante qu’il aurait sinon rendu aux contribuables.

Le projet de loi du gouvernement Fillon est loin de ressembler à l’amendement constitutionnel du Colorado, mais c’est tout de même un pas dans la bonne direction.

Frédéric Sautet est économiste, consultant et auteur. Il est professeur associé à l’Université Catholique de Washington.

Frédéric Sautet

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