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Le riz doré ou la lutte contre les déficiences en vitamine A

Texte d’opinion publié le 8 novembre 2013 dans Le Temps.

L’un des créateurs de cette variété de riz – Ingo Potrykus – avait la cinquantaine quand il commença à s’intéresser à la sécurité alimentaire. Âgé aujourd’hui de 80 ans, il ne désespère pas encore de voir un jour son riz accessible à la consommation humaine afin de lutter contre ce fléau dévastateur qu’est la déficience en Vitamine A. Car si son but est humanitaire, son innovation n’est pas du goût des activistes anti-OGM.

Depuis le début des années 1990, ils s’acharnent contre ce riz amélioré génétiquement. Au même titre, ils s’opposent depuis des années à la production d’organismes génétiquement améliorés en France. Leur pouvoir est si important qu’en dépit d’une décision récente du Conseil d’État invalidant l’interdiction de la mise en culture d’une semence de maïs génétiquement modifiée, les ministres de l’agriculture et de l’environnement français s’engageaient à maintenir le moratoire sur la mise en culture de ce type de semences.

Si l’intérêt de ces fruits, légumes et autres céréales aidées génétiquement échappe à nombre d’entre nous qui vivons en ville, c’est que nous ignorons souvent les raisons pour lesquelles ces organismes ont été créés et les problèmes qu’ils cherchent à résoudre. Le ventre bien rempli, nous avons du mal à imaginer que – même si les choses s’améliorent – un total d’environ 842 millions de personnes (une personne sur huit) souffrait encore entre 2011 et 2013 de sous-alimentation chronique (manque de nourriture empêchant de mener une vie active). Sans compter ceux qui souffrent de malnutrition.

C’est pour lutter contre ce fléau qu’au début des années 90, Ingo Potrikus et Peter Beyer se lancent dans un combat qui à l’époque semblait fou, celui d’éradiquer les déficiences en vitamine A. Leur idée est simple : s’assurer qu’un produit accessible aux personnes les plus pauvres puisse être enrichi en beta-carotène (précurseur de la vitamine A) afin que l’organisme puisse produire cette vitamine.

C’est chose faite en 1999. Sauf que depuis cette époque, ils subissent les attaques des activistes qui s’opposent de façon farouche à la production de ce riz, lui reprochant notamment de ne pas être efficace et lui préférant les méthodes alternatives traditionnelles, en particulier la distribution de capsules de vitamine A.

Si les chercheurs s’acharnent, c’est que la distribution de ces capsules – au programme depuis 15 ans de divers organismes comme l’Organisation mondiale de la santé ou Helen Keller International – n’a pas permis d’éradiquer le problème. Ce sont toujours 1 à 2 millions de personnes qui meurent par an et 500 000 enfants qui deviennent aveugles. Autant dire qu’ils sont convaincus de l’importance de leur découverte. Surtout qu’ils sont parvenus récemment à prouver au sein de l’université Tufts (États-Unis) qu’une portion de riz pouvait couvrir jusqu’à 60% des besoins journaliers en vitamine A. Une victoire qui continue d’être contestée par des groupes comme Greenpeace qui refusent obstinément de voir les milliers de morts dus à cette déficience et se contentent de l’approche précautionniste à leur égard.

Ce cas emblématique n’est que la partie émergée des bienfaits de certains organismes améliorés avec succès. Car ce que nous ignorons aussi, c’est que si nous ne mourrons en général plus de faim dans les pays développés, nous sommes néanmoins aussi les grands gagnants des gains de productivité réalisés en agronomie par le biais de semences plus résistantes, plus économes en énergie, etc.

Pour se faire une idée des bienfaits sanitaires, nutritionnels et environnementaux des progrès de l’agronomie sur les cinquante dernières années, on rappellera simplement que, sur cette période, la population mondiale a plus que doublé – et la production agricole quasiment triplé – tandis que les surfaces agricoles n’augmentaient que de 12%. Selon une récente estimation, les terres « épargnées » depuis les années 1960 (les meilleurs rendements ayant rendu superflue leur conversion à des usages agricoles) équivaudraient à la superficie des États-Unis, du Canada et de la Chine réunis. Sans être parfaites, les technologies et pratiques de gestion agricoles modernes ont tout de même généré d’importants bénéfices par rapport aux cultures et méthodes du passé.

Les cultures à ADN-recombinée de seconde génération promettent à présent d’améliorer la qualité des aliments de plusieurs manières : apport accru en vitamines, minéraux et protéines (par ex. ananas enrichi en lycopène) ; diminution des taux de toxines (par ex. manioc à moindre teneur en cyanure, pomme de terre à faible teneur en acrylamide) ou d’allergènes (par ex. arachide et blé) ; enrichissement en bons acides gras (oméga-3) ; et meilleure conservation des produits frais.

Les technophobies actuelles entraînent cependant des coûts et délais réglementaires croissants. Entre 2008 et 2012, le coût mondial moyen de commercialisation d’une nouvelle variété génétiquement améliorée s’élevait à 136 millions de dollars, dont 35 millions pour répondre aux contraintes réglementaires. Inutile de préciser que ces coûts supplémentaires, découlant généralement de revendications militantes, constituent une puissante barrière à l’entrée sur un marché auquel les écologistes reprochent volontiers un excès de concentration aux mains de quelques grands groupes.

Si l’on peut juger que les pays riches ont les moyens d’un tel luxe de précautions, il en va autrement dans les sociétés moins développées. Par conséquent, notre méconnaissance des biotechnologies moléculaires et une attitude ambiguë à leur égard qui nous les rend acceptable quand il s’agit de manipuler le génome à des fins médicales mais inacceptables quand il s’agit d’appliquer ce savoir à l’agriculture ont des conséquences très regrettables. Ces attitudes nous amènent à rejeter des moyens susceptibles de faire émerger des modes d’action meilleurs et moins nocifs, plus encore de sauver des vies.

Cécile Philippe et Hiroko Shimizu sont respectivement directrice générale et chercheuse associée à l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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