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Reinhart & Rogoff au cœur du débat sur l’austérité en Europe

Texte d’opinion publié le 25 juin 2013 sur 24hGold.

En 2010, les économistes de l’Université du Maryland, Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff (R&R) publient une étude qui va connaitre un succès mondial. Elle montre le rapport inverse qui existe entre niveau d’endettement public et croissance économique[1].

Cette étude a servi à justifier des politiques de redressement budgétaire très controversées en Europe. Or, en avril de cette année, les économistes de l’Université du Massachusetts Amherst, (Thomas Herndon, Michael Ash et Robert Pollin ou HA&P), ont montré que l’étude comporte des erreurs de calcul, qui une fois corrigés, remettraient en question la relation entre endettement et croissance[2].

La presse et les politiciens, surtout en France, ont immédiatement saisi cette occasion trop belle de pointer du doigt le dogme de l’austérité préconisé par les pays du Nord (Allemagne, Autriche, Finlande, Grande Bretagne et Scandinavie). Ils sont sans doute allés un peu vite en besogne.

Car l’interprétation des travaux de R&R, comme celle de leurs détracteurs, a été mal comprise. Si bien qu’en fin de compte, la discussion autour de ces études, loin d’avoir rendu le débat sur l’austérité plus lisible, a encore ajouté de la confusion. Le tableau ci-dessous indique les chiffres qui ont posé problème dans l’étude R&R et les corrections apportées par HA&P.

Tableau 1: Croissance du PIB réel selon le niveau d’endettement publique pour 20 pays[3]

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Cette présentation permet d’énoncer clairement les principales conclusions de l’étude de R&R:

1) la croissance économique du PIB réel est plus forte si elle s’accompagne d’un endettement publique très bas (en dessous de 30% du PIB) ;

2) Cette croissance est moindre mais stable si elle s’accompagne d’un endettement allant de 30 à 90% du PIB;

3) La croissance devient négative si l’endettement dépasse 90% du PIB.

Leur recommandation, à l’égard des pays qui ont un endettement « moyen », est d’équilibrer leur budget. Ils conseillent un surplus budgétaire à ces pays qui flirtent avec un endettement proche des 90% de leur PIB. Après avoir récupéré les données[4], HA&P les ont corrigé et élargi l’étude en y incluant des données sur d’autres périodes. Ils arrivent ainsi à une conclusion différente mais pas diamétralement opposée. En effet, ils trouvent aussi qu’un faible endettement est lié à plus de croissance. Mais, leurs données montrent que cette relation est moins forte au fur et à mesure qu’on prend en considération les périodes les plus récentes. En outre, la croissance reste positive avec un endettement supérieur à 90% du PIB. HA&P en concluent que l’équilibre/surplus budgétaire n’est pas nécessaire pour stimuler la croissance de l’économie.

Lors de la sortie de cette étude, nombre de politiciens et de journalistes se sont emparés des résultats pour dénoncer des plans d’austérité européens qu’ils considèrent comme dangereux. Ce faisant, ils se sont trompés quant à l’interprétation de ce travail. Il est vrai que HA&P montrent qu’un endettement supérieur à 90% ne s’accompagne pas d’une croissance négative. Ils ne démontrent pas pour autant qu’elle atteint un taux supérieur à celui qu’il est possible d’obtenir à des niveaux d’endettement inférieurs. Au contraire, leur travail montre clairement que la croissance au-dessus du seuil de 90% est nettement inférieure (de 50 à 100%) à celle qu’on peut trouver à des niveaux d’endettement inférieurs à 30% si on intègre les années 1950 et 1960 au calcul.

De plus, au cours de ces années, le niveau de fiscalité total (incluant les cotisations sociales) était très inférieur à ce qu’il est aujourd’hui. En fait, les données de HA&P permettent même de montrer que la hausse progressive de la fiscalité au fil des années a réduit le potentiel de croissance des économies qui avaient un niveau d’endettement en dessous de 30% du PIB. Le constat est implacable. Le niveau de la fiscalité commence à augmenter dans les années 70. Que constate-t-on ? La croissance des pays dont l’endettement est compris entre 30 et 90% commence à diminuer légèrement. Quant à celle des pays dont l’endettement est inférieur à 30%, elle diminue aussi au point de se rapprocher de celle des pays plus endettés. C’est effectivement le nivellement par le bas !

Autrement dit, HA&P ne remettent pas totalement en cause l’étude effectuée par R&R. En fait, leurs résultats corrigent et améliorent les résultats de Reinhart et Rogoff, en ce sens qu’ils affinent leurs conclusions. Ceci ne veut pas dire pour autant que les recommandations de R&R sont sans reproches. Car elles ne précisent pas un élément crucial de la question de l’« équilibre » ou du « surplus » budgétaire. En effet, R&R ne font aucune distinction entre les effets concrets d’un équilibre/surplus obtenu par une baisse des dépenses publiques et un autre obtenu par une hausse de la fiscalité. Peu importe la méthode. Seul compte le résultat qui est de passer à un endettement inférieur à 90%. Dans un cas comme dans l’autre, la baisse de l’endettement doit, selon eux, améliorer la croissance.

Ces auteurs laissent croire qu’il n’y a aucune différence entre consommation et investissement privés ou publics. Or, nous verrons dans le prochain billet que cette différence est réelle et fondamentale pour comprendre l’impact des décisions publiques sur l’économie privée.

Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l’analyse économique de l’entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.

Notes

[1] Reinhart, Carmen M., and Kenneth S. Rogoff (2010). «Growth in a time of debt», The American Economic Review 100 (2), pp. 573-578.

[2] Herndon, Thomas, Michael Ash, and Robert Pollin (2013). «Does high public debt consistently stifle economic growth? A critique of Reinhart and Rogoff», Working Paper Series of the Political Economy Research Institute of the University of Maryland Amherst No. 322, pp. 1-25.

[3] Allemagne, Australie, Autriche, Belgique, Canada, Danemark, Espagne, Etats Unis, Finlande, France, Grèce, Irlande, Italie, Japon, Norvège, Nouvelle Zélande, Pays Bas, Portugal, Royaume Uni, et Suède.

[4] Il est pertinent de remarquer que HA&P n’ont pas accusé R&R de mauvaise pratique ou malhonnêteté. Les données de l’article de R&R ont été spontanément fournies à HA&P ainsi que tout leur appendice statistique. HA&P ont tout simplement observé que R&R ont mal introduit des lignes dans le fichier Excel utilisé pour le traitement des données et ont négligé d’inclure certaines années d’observation dans leur calcul.

Gabriel A. Giménez-Roche

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