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Répression ou libéralisation du marché du tabac ?

Texte d’opinion publié le 31 mai 2013 dans l’Agefi.

La journée mondiale sans tabac célébrée le 31 mai de chaque année vise à sensibiliser la population aux dangers du tabac. Le rêve de ceux qui ont oeuvré à cette journée est de voir un jour le monde débarrassé de ce produit qu’ils considèrent comme néfaste pour la santé et donc inutile. Le problème qu’ils rencontrent dans cette lutte, c’est que tout le monde ne voit pas les choses de la même façon et la demande pour le tabac reste forte.

Du coup, tous les moyens semblent bons pour stopper ce « fléau » et les dispositions réglementaires et fiscales de s’accumuler au fil du temps. Sauf que les expériences en la matière confirment le raisonnement économique : l’hyper-réglementation et la sur-taxation du marché légal rendent profitable l’émergence d’une économie souterraine qui prospère au fur et à mesure que les « bonne intentions » des anti-tabac asphyxie le marché légal.

Les pouvoirs publics ont clairement fait le choix au cours des dernières années de réglementer davantage le marché légal du tabac. Sans qu’il soit question à proprement parler de prohibition – même si le Bhoutan a tenté la chose – tout est fait pour « dénormaliser » l’offre du tabac. Images-chocs, paquet générique, ventes sous le comptoir, les réglementations vont bon train sans compter les taxes qui pèsent sur les produits du tabac. En France, ces taxes représentent près de 80% du prix des cigarettes.

Or, les débats récents sur les fraudes en général, de la contrebande aux trafics illicites en passant par les fraudes fiscales laissent entendre que le seul moyen de lutter contre ces trafics est d’augmenter la répression, y compris quand il s’agit d’échanges de produits et de services qui n’ont par ailleurs rien d’illicite. L’idée est que la contrebande constitue un manque à gagner très important pour les pouvoirs publics. Évalué par la Commission européenne à 1000 milliards d’euros, la répression est considérée comme une solution aux déficits chroniques des États actuels.

Sauf que cette vision des choses est incomplète voire erronée car elle oublie les raisons qui ont permis à ces trafics illicites de se développer et de prospérer en marge de la légalité alors qu’ils ont de ce fait nombre d’inconvénients : produits de moindre qualité, manque de transparence, etc.
Dès lors que la demande pour les produits visés par la réglementation et la taxation continue d’exister, qu’il s’agisse de tabac, d’alcool, d’aliments jugées trop « gras » ou trop « sucrés », des marchés parallèles chercheront à y répondre. La question est de savoir si ces marchés demeureront légaux ou s’ils deviendront illégaux.

Dès lors que le marché légal se trouve freiné par une avalanche de réglementations ou des taxes jugées trop élevées par les consommateurs, alors un trafic illégal a les moyens de se développer. Et c’est ce qu’on voit dans un très grand nombre de cas.

Quand le marché du travail se révèle trop rigide, le marché au noir se développe. Quand le Danemark impose des taxes de plus en plus nombreuses sur les aliments, les Danois font leurs courses en Allemagne. Depuis que la France a augmenté très fortement les taxes sur le tabac en 2003-2004, 20% des cigarettes sont vendues en dehors du réseau officiel. De même, quand au début des années 90, la fiscalité sur le tabac a subi au Québec des hausses importantes, le trafic illicite a explosé. Il était estimé début 1994 à 65% des cigarettes achetées au Québec, soit deux cigarettes sur trois. En l’espace de quelques années, les ventes officielles se sont effondrées, avec une baisse de plus de 61%.

Or ces marchés noirs n’offrent absolument pas les mêmes garanties que les marchés légaux. Comme le montre la littérature sur la prohibition, l’économie souterraine n’est pas une panacée puisque des produits de moins bonne qualité peuvent s’y développer sans aucun recours pour les consommateurs. Au contraire, sur les marchés légaux, les fournisseurs, les entreprises ont une responsabilité et une réputation à maintenir. Le consommateur est ainsi bien mieux protégé.

Il est donc utile de vouloir lutter contre les fraudes en général mais il ne faut pas perdre de vue que les consommateurs sont « rois » et que s’ils ne consentent pas aux taxes et aux réglementations, ils n’hésiteront pas à se fournir « au noir ». Dans un sondage de 2007, 78% des Allemands interrogés indiquaient ainsi qu’ils ne feraient pas appel au marché officiel si le marché parallèle disparaissait, les prix y étant trop élevés.

Par conséquent, avant de durcir les moyens de répression – coûteux et bureaucratiques – ne faudrait-il pas envisager de rendre tout d’abord sa vigueur et sa compétitivité au marché légal ce qui du coup supprimerait de facto l’avantage comparatif des marchés parallèles ? Le gouvernement du Québec en faisant le choix d’une réduction drastique de la fiscalité sur le tabac en 1994 a anéanti le marché noir, permettant au marché légal de « reprendre » la main. Il serait utile que cette journée mondiale sans tabac soit l’occasion d’ouvrir un débat réel sur cette question épineuse.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari. Valentin Petkantchin est chercheur associé à l’IEM.

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