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Ce ministre qui prenait les libertés qu’il nous refusait

Texte d’opinion publié dans l’Agefi Suisse le 23 avril 2013.

Alors que l’affaire Cahuzac continue de faire couler de l’encre et que sous le coup de l’émotion, une batterie de mesures en faveur de la transparence a déjà été proposée, il n’est pas simple d’analyser les choses sereinement. Pourtant le sujet en vaut la peine. Mais, comme souvent, on risque de traiter sous l’angle exclusivement « people » et superficiel un problème bien plus profond, nous touchant directement ou indirectement.

Il est certain que Jérôme Cahuzac est coupable de mensonges répétés. Il s’est aussi comporté de façon immorale en ce qu’il n’a jamais cessé de défendre et mettre en œuvre des hausses d’impôts, quand il ne s’appliquait pas la chose à lui-même et pratiquait l’évasion fiscale. Ce double discours n’est pas tenable et il est sain qu’il ait été épinglé. Une bonne chose de faite.

Cependant, les cris d’orfraie à l’égard d’une regrettable affaire ne doivent pas occulter une spécificité française, le poids des impôts et des charges. Les propositions formulées dans les derniers jours et le discours du président le mercredi 10 avril – moyens supplémentaires pour lutter contre les fraudes, haro sur les paradis fiscaux, harmonisation fiscale, etc. – ne répondent pas à cette réalité intenable.

Comme nous l’avons montré dans une étude publiée en collaboration avec Ernst & Young, le poids des charges et impôts est en France l’un des plus lourds de l’Union européenne. La France arrivait l’an passé en 26ème position, juste avant la Belgique pour la fiscalité pesant sur le salarié moyen. Il est malheureusement peu probable que les choses s’améliorent dans le futur. D’une part nous sommes incapables d’équilibrer nos comptes publics depuis 1974. D’autre part les mesures fiscales annoncées ou déjà mises en œuvre pénalisent à multiples titres les ménages, qu’il s’agisse des revenus de leur travail ou de leur épargne ou des taxes sur leur consommation.

L’évasion fiscale est devenue le symptôme d’une société française malade d’une fiscalité trop gourmande. Or, à ce jour, la question est systématiquement abordée de façon idéologique. Se contenter de condamner les exilés fiscaux, sans même s’interroger sur les raisons de leurs actes, serait une erreur.

Il est urgent de se demander, dans un pays qui prélève toujours plus d’impôts, si le fardeau fiscal est juste et supportable ? C’est d’ailleurs ce que nous a invité à faire le Conseil constitutionnel. Il a ainsi sanctionné des mesures du gouvernement actuel, après avoir posé ouvertement la question de savoir « si le nouveau niveau de certaines impositions faisait peser sur les contribuables concernés une charge excessive au regard de leur faculté contributives. » C’est la question que se posent nombre de français qui – sans nécessairement se mettre hors-la-loi – décident de réduire la voilure en travaillant moins, ou de quitter le navire en s’expatriant.

Ajoutons que les seuls taux d’imposition ne donnent pas une image complète de la situation française. En effet, l’autre caractéristique de l’environnement fiscal français est plus qualitative, comme l’explique l’avocat fiscaliste Jean-Philippe Delsol. Elle est liée à l’instabilité intrinsèque des codes des impôts, de la sécurité sociale ou du travail. Cette instabilité crée un climat d’incertitude extrêmement pernicieux pour le développement des affaires, et donc de la croissance économique et sociale.

Quand on joint les deux éléments ensemble, on comprend mieux pourquoi des citoyens français font le choix de travailler moins pour payer moins d’impôts, de travailler au noir, d’ouvrir un compte à l’étranger ou tout simplement de quitter la France.

La question de la fraude fiscale gagnerait donc à être appréhendée de façon plus pragmatique. La fraude n’est pas seulement un problème moral et un manque à gagner de recette fiscale, mais aussi la réaction d’individus découragés par un niveau de fiscalité jugé confiscatoire et un climat incertain.

L’affaire Cahuzac ne devrait pas être l’arbre qui cache la forêt et le grave problème moral de notre société n’est pas là où on le pense. Le phénomène de la fraude fiscale n’est pas exclusivement le fait d’individus immoraux et cupides. Il est le symptôme d’une société qui prive ses concitoyens de libertés fondamentales : celles de produire dans un contexte stable et de conserver une partie suffisante des fruits de leur travail. Il est dommage que, dans le pays des droits de l’homme, l’on puisse se contenter de stigmatiser des comportements sans être capable d’agir sur leurs causes réelles.

Cécile Philippe est directrice générale de l’Institut économique Molinari.

Cécile Philippe

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